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Blanche Weber : «Avec la guerre, tout s’est accéléré»


«Peu importe quelle est la qualité du travail fourni par les ministres de déi gréng, des jalons essentiels doivent également être posés dans d’autres ministères, occupés par le DP ou le LSAP», fait remarquer Blanche Weber. (Photo : didier sylvestre)

L’invasion russe en Ukraine peut-elle être un grand mal pour un bien? Blanche Weber, la présidente du Mouvement écologique, répond que les problèmes énergétiques auxquels l’Europe est confrontée étaient prévisibles depuis longtemps. Or le camp politique n’aurait pas bronché.

Le Mouvement écologique et sa cheffe de file Blanche Weber espèrent que la crise énergétique, venue succéder à la crise sanitaire, va enfin amener la société, mais aussi l’économie, à emprunter la voie vers un monde plus durable. Il existe toutefois encore des doutes. Une chose est sûre : l’ONG ne compte pas abdiquer sur le long chemin visant à créer un «modèle de vie plus social et écologique».

Jeudi, le rabais à la pompe de 7,5 centimes d’euro a été aboli au Luxembourg. Le Mouvement écologique n’a jamais caché son opposition à cette mesure. Êtes-vous soulagée que cette ristourne étatique n’a pas été prolongée au-delà du 31 août?

Blanche Weber : On aurait souhaité que ce rabais n’ait jamais été introduit. Sincèrement, je pense que la volonté pour prolonger le rabais n’est pas si importante que d’aucuns veulent le faire croire. Il s’agit, en effet, d’une mesure complètement inadaptée. Il est très rare qu’un instrument soit à la fois insensé d’un point de vue écologique, social et économique.

Le rabais rend moins coûteux l’énergie fossile, alors que cette dernière devrait être plus chère. Il n’est pas ciblé socialement. Ceux qui ont le plus d’argent sont ceux qui consomment le plus de carburant, ils devraient, donc, payer le prix juste et non être subventionnés par l’État. Et en fin de compte, le rabais n’a eu aucun apport économique, mais bien un lourd impact sur les finances publiques.

Malgré tous les investissements dans les transports publics, il est cependant incontestable qu’une frange de la population doit continuer à recourir à sa voiture, ne serait-ce que pour aller travailler. Pouvez-vous dès lors comprendre que, dans la situation actuelle, l’État doive subventionner le trafic automobile?

Nous avons déjà thématisé il y a plusieurs années en arrière qu’il est essentiel d’inclure les gens avec des revenus moins importants dans la transition écologique. Cette thématique ne nous est pas tombée dessus du jour au lendemain. Il est effrayant de constater que les responsables politiques ne se sont pas consacrés plus tôt à cette problématique. Tout s’accentue désormais avec cette guerre abjecte, mais cela n’enlève rien au retard pris pour mettre en place des mesures afin de permettre à tout un chacun de réussir à engager le virage écologique.

Il est grand temps de juger les avantages et les inconvénients des différents outils qui peuvent être déployés, que ce soit un chèque énergie, un crédit d’impôt ou un autre mécanisme. Et qu’on prenne très rapidement une décision, ceci non seulement en relation avec le coût de l’énergie, mais aussi au niveau de l’assainissement énergétique et d’autres mesures pouvant réduire l’empreinte carbone. L’enjeu écologique est aussi social.

La question qui doit primer est celle-ci : en quoi consiste vraiment le bien-être?

Il semble qu’il a fallu le déclenchement de la guerre en Ukraine pour que l’on se rende compte de la trop forte dépendance de l’Europe en termes de fourniture d’énergie fossile livrée par la Russie. Comment expliquer cette naïveté?

Toute somme faite, il s’agit d’une situation dramatique. Personne ou presque n’a vraiment vu venir cette guerre. Par contre, chacun avait conscience que nous allions être confrontés tôt ou tard à une hausse des prix de l’énergie fossile. C’est simple : un bien qui devient plus rare voit son prix augmenter. On le savait très bien – ne rappelons que l’analyse du Club de Rome il y a plus de 50 ans – mais on a avancé les yeux fermés vers la catastrophe. L’espoir demeure que le camp politique et les gens tirent des leçons de leurs erreurs.

Il nous faut, donc, éviter de courir une nouvelle fois les yeux fermés vers la prochaine catastrophe, ou, pire encore, l’aggraver. Je songe bien à la crise climatique, qui dans les faits est déjà une catastrophe climatique. Je citerai aussi le financement de notre système de pensions qui repose sur le besoin d’une croissance soutenue. Une récente étude démontre que même si l’on maintenait une croissance à outrance, il est inévitable qu’à terme ce ne soit plus qu’un salarié actif qui finance la pension d’un retraité. Pourtant, personne ne remet en question le financement de notre modèle de sécurité sociale.

Vous espérez donc que la thématique de la croissance devienne un enjeu clé des élections législatives en 2023?

Nous allons tout faire pour que ce soit le cas. Le défi est de réussir à mener un débat serein sur les choix fondamentaux qui se posent à notre société, avec en toile de fond, un monde devenant de plus en plus complexe. Je suis toutefois convaincue qu’un nombre grandissant de personnes en viennent à la conclusion que les choses doivent changer. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont de plus en plus oppressants : changement climatique, perte de biodiversité, stress émotionnel et physique… Un été caniculaire, comme on vient de le vivre, interpelle encore davantage de gens, mais est aussi un des éléments montrant qu’il faut changer de modèle sociétal et économique.

Il est indispensable d’assurer ce débat serein sur les questions clés, dont dépend non seulement notre bien-être, mais aussi celui des générations futures et en fait de l’humanité entière. Nous sommes convaincus qu’un point central est de s’engager enfin vers un modèle sociétal et économique qui ne repose plus sur une croissance aveugle.

Une ONG comme la vôtre mobilise depuis des décennies, aux côtés de nombreuses autres organisations environnementales. N’est-il pas frustrant de constater qu’il a fallu que l’on se retrouve dans une crise aussi grave pour commencer à se bouger?

Oui, cela est frustrant. Mais cela ne change absolument rien à notre engagement afin de réussir à prendre en main la conception du futur, sans répéter les fautes commises par le passé. Il n’est cependant pas sûr que l’on apprenne vraiment de nos erreurs. Il existe des acteurs qui refont la promotion de l’énergie nucléaire, alors que cette technologie présente toujours les mêmes problèmes et dangers. On entend aussi des acteurs réclamer haut et fort des prix de carburants qui doivent rester au plus bas. Ceux-là restent enfermés dans une logique du passé.

Quel est le modèle que vous promouvez?

Je vous donne un exemple : il ne suffit pas de miser sur des voitures électriques, qui en fin de compte ne font que remplacer une technologie par une autre. Le moteur électrique est certainement moins nuisible que les moteurs thermiques. Néanmoins, ce genre d’avancées, bien qu’importantes, n’est nullement suffisant. Nous avons besoin d’une tout autre politique de mobilité. Malgré les importants investissements consentis, on est toujours très loin d’atteindre nos objectifs.

Le Plan de mobilité 2035 du ministre François Bausch est gigantesque. En y regardant de plus près, la très ambitieuse stratégie qu’il promeut aura néanmoins pour résultat une hausse supplémentaire du trafic individuel. D’un point de vue écologique et de la qualité de vie, cela n’est plus acceptable. Nous avons l’impression que toutes les crises et catastrophes n’ont pas encore permis de se poser les questions vraiment fondamentales.

À plus court terme, les gens s’inquiètent bien plus sur comment ils vont pouvoir passer l’hiver au vu de la crise énergétique. Au gouvernement, déi gréng ont pris les devants pour réclamer de nouvelles aides substantielles pour permettre aux ménages qui se chauffent au gaz de pouvoir passer l’hiver au chaud. Pouvez-vous comprendre que de telles mesures sont nécessaires dans cette période de flambée généralisée des prix?

C’est la chose la plus naturelle au monde que les gens se demandent comment ils vont passer l’hiver. Je répète néanmoins qu’il aurait déjà fallu il y a des années en arrière s’attaquer à la question suivante : comment assurer la transition vers des énergies plus durables et définir quels outils doivent être mis en œuvre afin de permettre aux gens avec moins de revenus d’y participer. Tout le monde savait que les prix de l’énergie fossile allaient augmenter. Avec la guerre, tout s’est accéléré. Cela ne change rien au fait que le camp politique a été plongé dans un sommeil profond. Il est dès lors grand temps de mettre en œuvre des instruments très ciblés.

Le vent semblait pourtant tourner au plus fort de la crise sanitaire lorsque les gens ont redécouvert la nature, mais aussi une autre mobilité et un autre train de vie. Tout cela est-il oublié aujourd’hui?

C’est surtout lors de la première année de pandémie que beaucoup d’analyses sont venues démontrer que les gens ne voulaient plus forcément retourner dans le monde d’avant. Ils ont plaidé pour un autre modèle de société, car ils ont redécouvert l’apport d’un meilleur vivre ensemble. Un autre modèle économique a aussi été réclamé, car les gens ont remarqué que la consommation à outrance n’était pas si importante que cela et que la globalisation démesurée est hautement problématique.

Il semble toutefois que le milieu politique n’ait toujours pas perçu ce message. Pourtant, je reste d’avis que beaucoup de gens ont gardé à l’esprit ce souhait d’un autre monde. Il est de notre responsabilité, mais aussi des syndicats et d’autres associations comme, par exemple, Caritas, de garder cette idée vivante. La question qui doit primer est celle-ci : en quoi consiste vraiment le bien-être, au Luxembourg et à l’échelle internationale? Car on doit se rendre compte que notre train de vie a des répercussions substantielles dans les pays de l’hémisphère sud.

La base pour réussir le virage durable que vous réclamez reste donc présente?

En effet, la volonté d’aller de l’avant reste présente. Néanmoins, le camp politique ne s’est pas encore engagé sur le chemin vers un autre modèle de société. Il est très intéressant de noter que dans les sondages d’opinion publique, on constate toujours un certain gouffre entre les perspectives à court et à moyen terme. Il est évident qu’actuellement les gens sont préoccupés par ce qui les attendra en hiver.

À plus long terme, par contre, les gens affichent un esprit bien plus critique en ce qui concerne l’orientation fondamentale de notre modèle social et économique, basé sur la croissance démesurée, la consommation excessive ou la tendance à toujours voir plus grand. Ce genre de sondages confie aux responsables politiques un mandat clair pour créer un modèle de vie plus social, écologique et durable. L’attentisme ne fait qu’accentuer la frustration politique des gens. On voit très bien que ne rien changer n’est pas une option viable. Nous restons convaincus qu’un nombre grandissant de citoyens s’attend à une action décidée de la part du camp politique. 

Au plus tard depuis l’entrée au gouvernement de déi gréng, fin 2013, la cause environnementale a gagné en importance. Près de neuf ans plus tard, on a l’impression qu’en raison de leur engagement total, les ministres verts finissent par se prendre les pieds dans le tapis. Un récent exemple est une interprétation bien trop stricte de la loi sur la protection de l’environnement. Cela ne peut-il pas nuire aux objectifs poursuivis?

Peu importe quelle est la qualité du travail fourni par les ministres de déi gréng, des jalons essentiels doivent également être posés dans d’autres ministères, occupés par le DP ou le LSAP. Une réforme fiscale durable est extrêmement importante à nos yeux. En termes de fiscalité écologique, le Luxembourg se place en dernière place à l’échelle européenne. Sans le concours et le soutien de la ministre libérale des Finances ou du ministre socialiste de l’Agriculture, les ministres verts ne pourront rien faire avancer. Il est donc très important de ne pas réduire la politique climatique à l’idéologie de déi gréng ou aux seuls ressorts assumés par des ministres verts.

Néanmoins, nous avons prévenu, dès son arrivée, la nouvelle ministre Joëlle Welfring qu’il nous semble que les accents mis dans le domaine de la protection de l’environnement naturel sont à rediscuter. Beaucoup trop d’énergie est investie dans les procédures d’autorisation, tandis que l’on perd des yeux les plus grands enjeux. Cela nuit aussi à l’acceptation de la politique environnementale menée par le gouvernement.

«Il nous faut éviter de courir une nouvelle fois les yeux fermés vers la prochaine catastrophe, ou, pire encore, l’aggraver», souligne Blanche Weber. Photos : didier sylvestre
Repères

État civil. Blanche Weber est née le 1er mai 1955 à Luxembourg.

Parcours. La sociologue de formation entre dès 1987 au Mouvement écologique. C’est avec le soutien de l’ancien ministre Robert Krieps et sous l’impulsion de l’année européenne de l’Environnement que Blanche Weber intègre l’ONG.

Présidente. Blanche Weber assure depuis 2003 la présidence du Mouvement écologique. Elle est en charge de l’organisation et de la coordination générale.

Prix. En octobre 2020, Blanche Weber se voit décerner le prix Vivi-Hommel, venant honorer son engagement pour une société plus écologique, sociale et durable.

Mouvement écologique. «L’idée de base, c’étaient des jeunes qui s’engageaient pour la protection de la nature. Mais c’est surtout avec la thématique de l’opposition à l’énergie nucléaire que notre organisation s’est structurée», se souvient Blanche Weber.

3 plusieurs commentaires

  1. Donc, selon cette « politcienne », la guerre est une belle opportunité de faire évoluer – par la contrainte et le manque – la façon de vivre des citoyens ! En cela, elle rejoint les grands malades de Davos qui ont estimé que la pandémie était une « belle opportunité » de faire évoluer nos habitudes. Et par la même occasion, d’organiser un contrôle social qui n’aurait jamais pu être envisagé en temps normal.

  2. Les écolos sont contre les énergies fossiles, ils préfèrent les voitures électriques, cela donne au moins du travail aux centaines de milliers d’enfants de par le monde qui gratte la terre 12 h par jour pour chercher du colbalt par exemple , notamment au Congo RDC afin de gagner de quoi se nourrir ! Il est vrai que confortablement installés devant les médias pour faire le « buzz » donner des leçons est plus facile !!!

  3. Si vous voulez ne pas manger tous les jours à votre faim, si vous voulez avoir froid en permanence en hiver, si vous voulez que l’europe ne soit plus qu’un musée que les asiatiques viennent visiter en plaignant les pauvres imbéciles qui ont cru les sornettes des écolos, suivez cette femme.

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