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Conny Van de Sluis : «La nature en avance, le travail en retard»


«Avec le changement climatique que nous connaissons, nous risquons de passer du "trop mouillé" à du "trop sec".»  (Photos : julien garroy)

Conny Van de Sluis est vice-président de la Fédération horticole luxembourgeoise et, comme tous les professionnels du secteur, il est tributaire de la météo. La nature est en avance, mais le travail en retard.

Les fortes pluies des derniers mois causent-elles du tort à la production horticole?

Conny Van de Sluis : Surtout du retard! C’est simple, il pleut depuis le 15 octobre et, en six mois, on a atteint les deux tiers de la quantité nominale de pluie, c’est-à-dire qu’on dépasse les 600 ml sur les 900 ml de moyenne annuelle, ce qui fait que tout est trempé. Pour travailler en extérieur, ce n’est pas évident, sinon être sous la pluie. Les paysagistes et les producteurs horticoles accusent donc un sacré retard en dépit d’une nature qui a deux semaines d’avance. La pluie en période de floraison, ce n’est jamais bienheureux et nous craignons maintenant le gel qui risque encore de venir. Au niveau du travail du sol, de la préparation du terrain pour les cultures annuelles, cette météo pose problème. Avec le changement climatique que nous connaissons, nous risquons de passer du « trop mouillé«  à du « trop sec« . Les statistiques nous le diront à la fin de l’année. Le problème avec un sol gorgé d’eau, asphyxié, qui manque de vie microbienne, c’est qu’il est difficile de faire des cultures au printemps qui prolifèrent rapidement. Généralement, la production horticole se fait sur des terres plus sableuses, donc certains champs étaient praticables pour les salades et autres légumes.

Le printemps est la saison la plus importante pour les horticulteurs et les paysagistes. Pourront-ils rattraper leur retard?

La nature est en avance et notre travail en retard. Malheureusement, le mal qui est fait au printemps pèse sur toute la saison. Normalement, un printemps, ça se déroule avec trois ou quatre semaines de beau temps à la sortie de l’hiver, avec un vent d’est qui nous amène souvent le froid, mais la nature est encore en pause, donc cela ne pose pas de problème pour avancer dans le travail. Cette année, il n’y a rien de fait. À chaque fois que les producteurs ont voulu mettre la charrue, il a recommencé à pleuvoir. Tout cela nous demande plus de patience que d’habitude. Bon, l’année est loin d’être finie, mais la période de croissance, pour toutes les plantes et toute la production que l’on va vendre sur le marché, se déroule en avril, mai et juin, où on réalise le plus gros du chiffre d’affaires. Les paysagistes réalisent les deux tiers de leur chiffre jusqu’aux grandes vacances.

Cette météo est-elle plutôt exceptionnelle ou ce sont des épisodes auxquels les professionnels ont déjà dû faire face?

La météo est ce qu’elle est, mais cette fois, on atteint quand même des extrêmes. Le changement climatique nous fait pousser les limites bien plus loin que d’habitude, mais on doit apprendre à travailler avec, tout simplement, et à en supporter les conséquences. Question de production, plus vous entrez dans la diversification agricole ou horticole, plus les cultures deviendront pointues, et plus vous aurez besoin d’une météo propice.

Les paysagistes se sont multipliés ces dernières années, un essor qui se poursuit?

Oui, sur les dernières 25 années, il y a eu énormément de créations d’entreprises dans ce secteur, mais c’est un peu la même chose partout, en raison du développement démographique du pays. Les gens travaillent et n’ont plus le temps de s’occuper de leur jardin ou préfèrent parfois profiter d’autres activités. Il faut dire, quand même, que depuis le covid, beaucoup ont retrouvé le goût et le plaisir du jardinage. Pendant la pandémie, notre secteur est un des seuls qui a réussi à surmonter la crise et à sortir des bénéfices avec nos productions locales. On n’arrêtera plus la globalisation, mais il y a une volonté de toutes parts de développer et de promouvoir la production régionale, on le voit avec les supermarchés qui font de la place dans leurs rayons pour ces produits. Ce n’est pas un simple effet de mode.

Le gâteau est-il toujours assez grand pour combler tout le monde?

Concernant les paysagistes, étant donné qu’on se trouve dans une crise de la construction, ils avaient l’habitude de terminer les abords des résidences, mais aujourd’hui les entreprises de construction essayent de terminer elles-mêmes, avec leur propre personnel et c’est, effectivement, une partie du gâteau qui s’en va dans un secteur à forte concurrence. Nous voyons bien chez nous, au niveau du gazon, de nombreuses demandes des entreprises de construction qui ne sous-traitent plus leurs espaces verts.

«On est passés de 120-140 hectares en 2016, je n’ai plus le chiffre exact en tête, à 323 hectares de production horticole en 2022.»

Les communes restent-elles de bonnes clientes pour les paysagistes?

Les services techniques communaux se sont beaucoup développés aussi ces dernières années, et les budgets ont été rétrécis. Ce sont aussi des parts de gâteau en moins. Les élus locaux demandent à leurs services techniques d’en faire plus. En revanche, avec l’État qui a lancé des projets de renaturation sur de nombreux sites, il y a tout un nouveau marché, mais très spécifique et pas abordable pour tous les professionnels.

Ce manque à gagner peut-il être chiffré?

C’est assez difficile à chiffrer, mais la tendance est là et fait mal aux paysagistes. Nous, au niveau de l’entreprise, on se posait la question de savoir quel sera l’impact de la crise cette année, sachant que la météo peut nous impacter tout autant. Il faudra analyser le marché plus tard. Pour le moment, tous les carnets de commandes sont pleins pour les paysagistes. La différence, c’est qu’ils pouvaient étaler les travaux sur six mois alors que, là, il leur reste peu de temps pour honorer toutes les commandes. Le bilan se fera à la fin de l’année. Nous sommes des gens qui travaillent avec la nature, donc avec beaucoup d’incertitudes.

Les coûts de l’énergie ont pesé sur les activités du secteur. Des économies sont-elles possibles?

Au niveau de la consommation de gasoil et d’électricité, on essaie de réduire ce qu’on peut, mais il faut bien réussir à faire pousser quelque chose, donc on est aussi tributaires du temps. Aujourd’hui, il y a moyen, avec beaucoup d’activités mécaniques, de réduire les produits phytopharmaceutiques, mais la météo doit être propice. Si vous voulez enlever les mauvaises herbes dans vos salades, ce n’est pas évident. Toutes ces choses vont entraîner un coût énergétique plus haut, qui se répercute sur le prix du marché. Les engrais et tous les intrants sont devenus tellement chers, surtout ceux utilisés pour des productions spéciales. Toute la production en serre chauffée, forcément, a connu une explosion des coûts de l’énergie, en plus d’être en concurrence sévère avec des producteurs des régions plus chaudes.

La production horticole se porte-t-elle plutôt bien au Luxembourg?

J’ai assisté à une conférence récemment où on a évoqué l’évolution du secteur horticole et on est passés de 120-140 hectares en 2016, je n’ai plus le chiffre exact en tête, à 323 hectares de production horticole en 2022, donc il y a une volonté de diversification qui est bien réelle. C’est une production qui permet de commencer avec une petite exploitation, mais le plus grand manque, ressenti par tous, c’est l’accessibilité à l’eau.

Justement, la fédération a abordé le problème récemment avec la ministre Martine Hansen. La « Waasserdësch » qui s’est tenue en 2021 a donné quel résultat?

L’ancienne ministre Carole Dieschbourg avait questionné les producteurs horticoles sur leurs besoins pour espérer se développer, et l’accessibilité à l’eau était l’une de leurs principales préoccupations, le Luxembourg étant à la traîne par rapport à la concurrence. C’est précisément le frein au développement du secteur. Les solutions reposent sur les captages d’eau près des rivières, les puits, et surtout, le stockage dans des bassins pour s’en servir en été. Il y a eu des projets pilotes retenus, mais on touche à des choses que personne n’a jamais faites. Il faut être très économe avec la quantité d’eau disponible, et cela va de soi d’utiliser des nouvelles techniques. Il faut néanmoins que ce soit élaboré au niveau de l’administration pour que ce soit valable, ensuite, pour le plus grand nombre. Mine de rien, cela fait sept ans que nous, ici, nous sommes en route avec un projet de stockage (NDLR : qui n’a pas été retenu comme projet pilote), pour vous dire à quel point tout est lent.

Ce n’est pas demain que l’on fera pousser des cactus et des palmiers (il rit)

Un reproche contre la lourdeur administrative?

Disons qu’aujourd’hui, nous avons une nouvelle politique à ce niveau-là avec une forte volonté de développer la production régionale, de la diversifier, et sans cette volonté, on n’y arrivera pas. On est contents d’avoir des décideurs qui, sans être contre l’écologie, loin de là, cherchent à se diriger vers une économie responsable. Avec la coalition précédente, tout le monde travaillait pour son secteur, sans avoir une vue globale, même si la fédération a toujours eu de bonnes relations avec les ministres successifs.

Le secteur doit-il se préparer à cultiver des espèces qui jusqu’ici ne se prêtaient pas à notre climat?

Ce n’est pas demain que l’on fera pousser des cactus et des palmiers (il rit). Nous avons des années avec de très fortes chaleurs, rien ne dit qu’on les aura toujours non plus. Personne n’avait prédit six mois de pluie.

La culture des roses fut une activité florissante dès le milieu de XIXe siècle…

Tout à fait. Ces productions se faisaient tout autour de la capitale, au Kirchberg, par exemple. Heureusement, nous avons deux clubs qui font vivre cette tradition.

Le secteur horticole est représenté pour la première fois au sein du comité directeur de la Chambre d’agriculture. Un bon signe?

Depuis que la Chambre d’agriculture existe, on a la chance d’avoir enfin reçu un siège dans le comité directeur, en tant que membre coopté. Le poste horticole existait déjà parmi les 19 qui composent la Chambre, mais, cette fois, nous sommes représentés au comité de direction et c’est une étape au-dessus. C’est aussi la volonté du monde agricole de vouloir affiner sa diversité avec des productions sorties de l’ordinaire. Il faut des gens qui ont connu la transition dans leur exploitation pour partager leur expérience.

Comme la vôtre. Vous avez complètement changé de métier dans votre ferme. Est-ce aussi une tendance?

C’était une ferme très ordinaire avec des vaches laitières et de l’engraissement de taurillons et des cultures classiques de céréales. Nous avons entamé la transition il y a 25 ans pour nous lancer dans la production de gazon en rouleau. Avec cette production régionale, nous nous sommes rapprochés beaucoup plus des gens, donc des consommateurs, c’est une tout autre communication. Les jeunes générations qui reprennent les exploitations vont beaucoup plus se diversifier, sans forcément abandonner leur activité agricole. Ils savent qu’il doit y avoir une réduction de 22 % en quantité d’ammoniac dans l’air, produite par l’élevage, d’ici 2030. Cela passe par une réduction des cheptels et, donc, il faut chercher d’autres productions. C’est une tendance qui s’impose d’elle-même.

Repères

État civil. Conny Van de Sluis est né à L’Écluse (Sluis) aux Pays-Bas, le 16 janvier 1971. Il est marié et père de deux garçons.

Arrivée La famille arrive au Luxembourg en 1972, et s’installe à Sanem où le jeune Conny Van de Sluis suit sa scolarité à l’école primaire.

Formation. Après les années lycée passées en Belgique, il y passe aussi son bachelor agricole, à Huy.

Technico-commercial Il sera d’abord technico-commercial en production agricole puis en machinisme agricole, pendant cinq ans

Reconversion. En 1996, la famille abandonne les vaches et les cultures et se tourne vers la production de gazon. L’entreprise est gérée par les deux frères, Conny et Jacky Van de Sluis, à Sanem.

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