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Steve Heiliger : «Le temps de la riposte a sonné»


L’autre agencement des recrutements d’agents, annoncé par le ministre des Finances, n’inquiète pas trop la CGFP. Steve Heiliger concède que «l’État connaît des problèmes de recrutement». (photo Hervé Montaigu)

Le secrétaire général de la CGFP défend la levée de boucliers sur le maintien d’un système d’évaluation dans les rangs de l’armée. Au lieu de négocier un compromis, le gouvernement s’obstinerait à violer l’accord salarial, fustige Steve Heiliger.

Dans pile une semaine, la CGFP organise un grand rassemblement de protestation qui aura comme slogan «Oui au fair-play. Non à la rupture de contrat».

Le gouvernement va se retrouver dans le viseur du syndicat, qui persiste et signe : l’abolition du système d’appréciation dans la fonction publique doit aussi s’appliquer à l’armée.

Une porte est toutefois ouverte pour négocier un autre outil, option finalement écartée jusqu’à présent par le ministre de la Fonction publique, Serge Wilmes.

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Votre syndicat se dit farouchement opposé au maintien d’un système d’évaluation pour les soldats, pourtant jugé crucial par l’ancien et l’actuelle ministre de la Défense. La CGFP met-elle délibérément en jeu la sécurité et la crédibilité de l’armée luxembourgeoise ?

Steve Heiliger : Il s’agit très clairement d’une violation de l’accord salarial. Après de longues années de revendications, nous sommes parvenus à convaincre le gouvernement de mettre fin au système d’appréciation – et je le souligne – dans l’ensemble de la fonction publique. Ni lors des négociations ni au moment de la signature, il n’a été question d’une exception, si ce n’est pour les fonctionnaires stagiaires et employés en période d’initiation où une appréciation demeure logique.

Pour le reste, on n’a jamais été sollicités pour nous signaler un problème dans l’un ou l’autre secteur, peu importe son nom. Par contre, le gouvernement a réintroduit juste avant le vote de la réforme de l’armée discrètement, en cachette, par amendement, le même système qui fut aboli par l’accord salarial. Le cas échéant, on aurait pu en parler et trouver une solution.

Faut-il en conclure que ni le gouvernement ni la CGFP ne se sont rendu compte que la clause incriminée risquait d’avoir un impact négatif sur l’armée ?

Il était très clair pour nous que l’accord trouvé allait inclure toutes les administrations, y compris l’armée. Elle fait partie intégrante de la fonction publique. Si le gouvernement s’engage à supprimer le système d’appréciation, cette disposition doit s’appliquer à l’ensemble des administrations de l’État, sachant que ce même système est appliqué depuis 2019 au sein de l’armée.

Vous partagez donc l’avis du Syndicat professionnel de l’armée (SPAL), membre de la CGFP, qui milite ouvertement contre un système d’évaluation jugé trop subjectif ? Ou autrement dit : êtes-vous content que les soldats ne soient plus soumis à une appréciation spécifique pour monter en grade ?

On n’est pas entrés dans les négociations avec l’objectif d’agir pour telle administration ou tel ministère, mais, selon notre mission, pour la fonction publique dans son ensemble. L’accord final forme un tout, et notre partenaire contractuel n’a jamais mis à part un secteur spécifique.

Ce n’est pas de l’armée dont on parle, mais il s’agit d’une question de principe. Un accord signé en bonne et due forme est aujourd’hui violé. C’est ce qui nous amène à la manifestation de lundi prochain, le 29 avril, qui sera placée sous le slogan « Oui au fair-play. Non à la rupture de contrat« .

Qui sera la cible de ce rassemblement de protestation ?

Le gouvernement ! Pourquoi parle-t-on de fair-play ? Lors du vote de la loi sur l’armée, en juillet 2023, le plus grand parti de l’opposition, en l’occurrence le CSV, avait formellement contesté le maintien d’un système d’évaluation en clamant Pacta sunt servanda (NDLR : traduit du latin, les contrats doivent être respectés). De retour au pouvoir, ce même parti dit exactement le contraire. Cela ne correspond pas à notre compréhension du fair-play. La CGFP agit autrement.

Comment ?

Nous avons proposé de supprimer l’évaluation prévue dans la loi sur l’armée, afin d’être à nouveau conforme à l’accord salarial, et de se mettre ensuite à table avec le gouvernement pour évaluer, avec nos organisations membres concernées également, les besoins de l’état-major.

Le but serait de mettre en place, ensemble, un outil qui permettrait à l’armée de satisfaire aux critères imposés pour mener des missions à l’étranger ou pour d’autres engagements internationaux.

Il existe une volonté d’agir en ce sens. Car nous, on est prêts à faire preuve de fair-play. Or, la réponse de l’autre camp équivaut à une rupture de l’accord signé. Ceci est inadmissible !

On pensait avoir affaire à un partenaire contractuel sérieux. Si un problème se présente après coup, il faut au moins pouvoir en parler

La CGFP n’est donc pas fondamentalement opposée à un système d’évaluation dans l’armée ?

On est opposés au système d’appréciation qui est en place. Notre proposition est de discuter d’un autre outil, dont le nom et le contenu doivent faire l’objet d’une négociation. Nous sommes prêts à engager le dialogue, une volonté qui est toutefois réfutée par le camp d’en face, qui s’obstine à ne pas discuter avec le seul syndicat représentatif de la fonction publique. C’est du jamais vu! D’ailleurs, ce gouvernement est le seul à avoir réussi à se mettre à dos la CGFP au bout d’à peine six semaines de règne…

Ce refus provient du ministre chrétien-social de la Fonction publique, de la ministre libérale de la Défense ou du gouvernement CSV-DP dans son ensemble ?

Lors de notre première entrevue officielle, nous avons soumis la proposition précitée au ministre de la Fonction publique, Serge Wilmes. Il a dit vouloir la soumettre au Conseil de gouvernement, ce qui laisse entrevoir une certaine sympathie pour notre démarche. On a gagné la même impression lors de contacts informels avec d’autres politiciens de haut rang du CSV.

Or, depuis lors, c’est silence radio. Le ministre Wilmes a disparu des radars. Au bout de plusieurs semaines d’attente, nous avons relancé le ministère, qui nous a signalé que la fin de non-recevoir restait de mise et qu’il nous revenait désormais d’entreprendre les démarches qui nous semblaient utiles. Et c’est ce que nous avons fait.

Le CSV s’est-il donc rallié à la position rapidement exprimée par la ministre de la Défense, Yuriko Backes, qui a souligné en tout début de mandat son plein soutien au système d’appréciation dans l’armée ?

Je répète, et j’insiste fortement, qu’un secteur spécifique n’est pas notre préoccupation primaire. Ce qui importe est la violation d’un élément clé de l’accord salarial. Demain, un autre point inscrit pourrait être remis en question. Imaginez que l’on négocie une hausse du point indiciaire pour les fonctionnaires.

S’ensuit la signature solennelle de l’accord sans que le gouvernement nous ait signalé que cet engagement n’était en réalité qu’une simple intention, non applicable à l’ensemble de la fonction publique. On pensait avoir affaire à un partenaire contractuel sérieux. Si un problème se présente après coup, il faut au moins pouvoir en parler. Mais si un tel dialogue est catégoriquement refusé, il ne faut pas s’étonner d’être cité en justice et de se retrouver face à une mobilisation syndicale.

Le dossier est-il toujours au point mort, à une semaine du grand rassemblement de protestation de lundi prochain ?

On reste scandalisés par le fait que l’État, pendant la procédure de litige, a tenté d’éviter toute discussion sur le fond en se limitant à des arguments fallacieux concernant la forme. La même stratégie juridique fut employée dans la procédure de médiation.

Or, si l’on se montre aussi convaincu d’être dans son droit, il ne devrait pas y avoir de crainte pour au moins engager le dialogue avec la CGFP. Je répète que c’est du jamais vu, de plus par un gouvernement qui vante l’importance du dialogue social. Pratiquez-le donc !

«Ce gouvernement est le seul à avoir réussi à se mettre à dos la CGFP au bout d’à peine six semaines de règne», fustige Steve Heiliger. Photos : hervé montaigu

Le coup de pression de la CGFP et de ses sous-organisations peut-il faire bouger les choses ?

Le gouvernement a disposé de beaucoup de temps pour revenir en arrière. Il ne l’a pas fait. Mais nous restons bien entendu ouverts au dialogue. Le temps de la riposte a sonné, et je veux souligner que la manifestation de lundi prochain ne sera que le début d’une longue campagne. On ne va rien lâcher.

Il ne faut pas sous-estimer la CGFP. Oui, il existe d’autres problèmes qui touchent le pays et le monde. Mais on est confrontés ici à une violation de contrat par le gouvernement. Ce n’est pas anodin. La pression syndicale sera maintenue aussi longtemps que cet accord sera piétiné par le camp politique.

Qu’en est-il des démarches judiciaires que vous avez engagées ?

On va saisir le Tribunal administratif. Deux plaintes sont dans la dernière ligne droite. La première visera la décision de la commission de conciliation qui a jugé que le litige n’est pas général, mais uniquement sectoriel. Et la deuxième sera carrément orientée contre le gouvernement pour violation de l’accord salarial.

Dans ce contexte de tension, le ministre des Finances, Gilles Roth, a annoncé que l’État devrait agencer autrement les recrutements dans la fonction publique, notamment pour réduire les dépenses publiques. Cette annonce peut-elle mener à un autre litige avec le nouveau gouvernement ?

Nous n’avons jamais eu, au cours de ces dernières années, l’impression que l’État avait recruté uniquement pour recruter. Prenons, entre autres, l’exemple de l’administration des Contributions. Les agents recrutés ont répondu à un besoin réel. La CGFP n’a jamais été une organisation syndicale qui a réclamé des recrutements massifs, mais elle s’est engagée à occuper les postes et tâches nouvellement créés, notamment en raison de la croissance démographique et d’un surplus de dossiers soumis aux administrations. L’État doit pouvoir pleinement remplir sa fonction d’un prestataire de services moderne. Cela doit tout simplement être assuré.

Quelle est donc votre interprétation des annonces faites autour du dépôt du projet de budget de l’État pour 2024 ?

Il faut toujours pouvoir mettre en balance le nombre de créations de postes annoncées et les réels besoins des administrations. À nos yeux, la solution ne peut pas être de recourir davantage à des contrats à durée déterminée. Cette tendance a pu être observée ces dernières années. Nous ne cautionnons pas non plus le recrutement d’experts externes. Tout cela pèse sur le budget. Si l’on veut réduire les coûts, il faut que le gouvernement mise sur un plan de recrutement traditionnel, reposant sur des critères de recrutement transparents, neutres et impartiaux.

Comment expliquer le différentiel entre postes créés et non occupés ?

Nous avons pris note du chiffre de 1 800 postes non occupés avancé par le ministre Roth. Cela prouve que l’État, qui a aussi besoin de profils très spécifiques, connaît également des problèmes de recrutement. Les administrations publiques se trouvent non seulement en concurrence avec les entreprises privées, mais doivent aussi faire face aux mêmes contraintes.

Le gouvernement mise aussi sur la digitalisation, à la fois pour réduire la charge administrative mais aussi les coûts liés au personnel. Que vous inspire cette équation ?

La CGFP n’est certainement pas opposée à la digitalisation. Il nous faut sauter sur le train en marche. Bon nombre d’administrations sont déjà engagées sur la bonne voie. Nous disons toutefois aussi que la digitalisation doit se limiter aux domaines où elle est sensée et constitue une véritable plus-value. C’est-à-dire où elle facilite la tâche de l’agent, ce qui lui permettra de dégager du temps pour se consacrer davantage à d’autres travaux qui ne peuvent pas être accomplis par une intelligence artificielle. Nous sommes cependant strictement opposés à l’équation « Digitalisation équivaut à réduction des effectifs« . Cela ne peut pas être une finalité.

Repères

État civil. Steve Heiliger est né le 29 mars 1966 à Luxembourg (58 ans). Il est marié.

Formation. Après avoir décroché son diplôme de fin d’études secondaires à l’École de commerce et de gestion (ECG), Steve Heiliger part étudier les sciences économiques à l’université de Nancy II.

Carrière. Steve Heiliger entame sa carrière professionnelle comme journaliste.

CES. Le 1er mars dernier, Steve Heiliger a pris le relais de Tom Dominique en tant que président du Conseil économique et social (CES). Cette institution vise à accompagner le dialogue social au Luxembourg et à conseiller le gouvernement.

CGFP. En 2004, Steve Heiliger rejoint la CGFP. Depuis décembre 2016, il y occupe les fonctions de secrétaire général.

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