Accueil | A la Une | Artisanat : «La situation n’est vraiment pas bonne»

Artisanat : «La situation n’est vraiment pas bonne»


«En fonction de la tendance inflationniste qui, je le rappelle, pourrait encore s’accentuer, il ne suffira plus de parler de pouvoir d’achat, mais bien de sécurisation des emplois», alerte Tom Wirion.

Tom Wirion, le directeur général de la Chambre des métiers, tire la sonnette d’alarme. L’artisanat, qui demeure le premier employeur du pays, se dit lourdement impacté par l’explosion des coûts. D’importantes attentes sont placées dans la tripartite à venir.

La semaine s’annonce chargée pour le gouvernement, les syndicats et le patronat. Jeudi, deux nouvelles réunions bipartites auront lieu au ministère d’État. Dimanche doit être lancée la très attendue tripartite.

Un accord sur un nouveau paquet d’aides est attendu. En prévision de ces rendez-vous, Tom Wirion dresse un état des lieux de la situation dans le secteur artisanal, confronté à d’importants problèmes.

En prévision de la tripartite, le camp syndical a revendiqué d’obtenir un état des lieux détaillé afin de mieux évaluer les besoins en aide et les capacités financières des différents secteurs économiques. Vous avez déjà laissé entrevoir que la situation se tend considérablement dans l’artisanat. Quels sont les derniers échos récoltés sur le terrain ?

Tom Wirion : Il faut savoir que l’artisanat, avec ses différentes branches, n’est pas un secteur homogène. L’indicateur d’activité permet néanmoins d’obtenir une vue d’ensemble. On constate que la situation est très tendue avec un indicateur qui stagne au deuxième trimestre et que les chefs d’entreprise prévoient une baisse supplémentaire de l’activité au troisième trimestre.

Dans la construction, secteur qui emploie 69 % de la main-d’œuvre artisanale, une baisse de l’activité était déjà à constater au second trimestre, et la tendance ne va pas s’inverser au troisième trimestre. Cela fait plus de 40 ans que la Chambre des métiers établit cet indicateur. Avoir affaire à une stagnation n’est pas monnaie courante.

On a bien eu la crise financière en 2008 et 2009, mais aujourd’hui la situation est tout autre avec la multitude de crises simultanées auxquelles on est confrontés.

Dans quelle mesure la flambée des prix pèse sur l’artisanat ?

L’explosion des coûts est le second facteur qui freine notre activité. Cela concerne à la fois l’énergie, les matières premières ou encore les matériaux. Le bois est aujourd’hui 93 % plus cher qu’en janvier 2020, le blé coûte 86 % de plus et le fer à béton a vu son prix augmenter de 81 %. Il s’agit d’énormes hausses de prix.

On a également géré une masse salariale qui augmente en raison de deux phénomènes. D’un côté, il y a les tranches indiciaires qui sont tombées en octobre 2021 et en mars de cette année. De l’autre, les premiers résultats d’une autre enquête menée en juin démontrent qu’environ la moitié des patrons sondés ont fait, hors indexation, un effort pour soit revaloriser les salaires, soit accorder une prime énergie à leurs salariés.

On ne dispose pas encore d’un ordre de grandeur financier, mais cela démontre qu’il importe aux chefs d’entreprise de ne pas rester inactifs et de garder leurs employés à bord, qui sont aussi des consommateurs et doivent pouvoir assurer leur niveau de vie. La pénurie de main-d’œuvre n’améliore rien. En fin de compte, cette explosion des coûts impacte lourdement la trésorerie et la rentabilité.

Le Statec prévoit une tranche indiciaire supplémentaire qui serait due avant la fin de l’année. Est-il envisageable que cet index soit versé comme prévu, comme le revendique notamment le camp syndical?

Je ne peux pas encore vous dire dans les derniers détails quelle sera la position du patronat pour aborder les négociations tripartites. En ce qui concerne l’artisanat, qui avec ses 100 000 salariés demeure le premier employeur du pays, une tranche indiciaire représente un coût situé entre 75 et 80 millions d’euros. Le montant est énorme.

En sachant que deux tranches ont déjà été versées dans un délai de quelques mois, il est clair pour nous que l’indexation devra être discutée au sein de la tripartite. On continue de se situer dans le cadre fixé par l’accord tripartite de fin mars, car il nous offre, au moins en ce qui concerne les salaires, une certaine prévisibilité, alors qu’il n’en existe aucune sur d’autres coûts. La succession trop rapide de tranches a pour effet un auto-allumage de l’inflation, ce qui n’aide ni les consommateurs ni les entreprises.

Quelles pourraient être des pistes de solution pour sortir de ce cercle vicieux?

Il est probable que le camp patronal mette des propositions sur la table. L’indexation est sans doute un sujet de préoccupation, même si je tiens à préciser que nous ne sommes pas opposés à l’index en tant que tel. Si le mécanisme fonctionne normalement, nous soutenons le versement de tranches indiciaires, qui amènent leur lot d’avantages.

Or nous nous retrouvons dans une situation exceptionnelle. Tous les partenaires sociaux sont certainement d’accord qu’il faut remonter très loin en arrière pour retrouver une situation semblable. Si l’index s’emballe, je pense qu’il est légitime de réfléchir à d’autres solutions qui tiennent à la fois compte de l’intérêt des entreprises et du pouvoir d’achat des gens. Personne ne sait toutefois ce qui nous attendra demain.

Comment allez-vous aborder la tripartite qui doit s’ouvrir dimanche prochain?

En fonction de la tendance inflationniste qui, je le rappelle, pourrait encore s’accentuer, il ne suffira plus de parler de pouvoir d’achat, mais bien de sécurisation des emplois. Ce ne serait pas une bonne chose, d’autant plus que le spectre d’une récession n’est pas écarté.

Ceci dit, nous nous attendons à une tripartite encore mieux préparée que celle que l’on a eue en mars. La Chambre des métiers va pleinement jouer son rôle et fournir les données représentatives requises. On s’attend néanmoins aussi à ce que tous les partenaires sociaux abordent cette tripartite avec un esprit ouvert, sans quoi il ne sera pas possible de dégager des résultats.

Et je souhaiterais aussi que le camp politique fasse fi de l’année électorale qui se profile à l’horizon. On se trouve dans une situation où l’intérêt général du pays doit primer.

Vous avez mentionné au début la problématique liée à l’énergie. Quelles sont les répercussions plus concrètes sur l’artisanat?

Il existe des différences selon les branches d’activités. L’alimentation est plus énergivore que d’autres secteurs. Par contre, si le prix de l’électricité continue d’augmenter, l’ensemble de l’artisanat sera touché de plein fouet. La situation prend encore une tout autre ampleur que ces derniers mois. Il nous faut donc, aussi, trouver des solutions dans ce domaine.

L’énergie doit rester abordable pour les entreprises artisanales. Il existe bien les régimes d’aides mis en place pour les secteurs les plus énergivores. L’intérêt pour pouvoir en profiter est très important. L’artisanat a toujours été un secteur résilient. En tant qu’entrepreneurs, on se doit de trouver des solutions, mais elles sont plus compliquées à trouver, car on ne maîtrise que peu de facteurs.

Jeudi, le gouvernement a présenté la campagne nationale de réduction de la demande d’énergie. Quelle peut-être la contribution du secteur artisanal?

Nous soutenons pleinement cette campagne et nous allons nous montrer solidaires. La Chambre des métiers va soumettre un dépliant que les chauffagistes pourront remettre aux clients. Y sont résumés des conseils très pratiques pour réduire la consommation d’énergie.

En parallèle, nous continuerons à conseiller nos membres sur les régimes d’aides existants pour investir dans le photovoltaïque et d’autres types d’énergies durables, y compris les bornes de recharge pour voitures électriques. Ce qui pose néanmoins problème, c’est la non-existence d’aides financières dans le cadre du régime d’investissement environnement, qui porte sur l’efficience énergétique des bâtiments.

Le gouvernement renvoie la balle vers Bruxelles qui limiterait le rayon d’action. Si c’est le cas, il faudrait renforcer le lobbying auprès de l’UE pour avancer aussi dans ce domaine.

Revenons aux problèmes de trésorerie énoncés plus haut. Existe-t-il un risque plus accentué de faillites dans l’artisanat?

Le problème de trésorerie est réel. Les entreprises sont forcées de préfinancer leurs surcoûts liés à l’énergie, le matériel et les salaires. Je tiens à rappeler que la situation financière des PME est fragilisée par la pandémie. Grâce aux précieuses aides étatiques, l’artisanat ne s’est pas trop mal tiré de la crise sanitaire.

Or 45 % des entreprises ont été obligées de recourir à leurs réserves financières. Pour certaines, ces réserves sont épuisées. Les données dont nous disposons ne vont pas dans la bonne direction. Si les marges sont inexistantes et si l’on ne génère plus de revenus, on risque de ne plus maîtriser les coûts et il faut, donc, réduire les dépenses. On arrive alors à la question de la sécurisation, voire de la réduction des emplois ou carrément à celle d’une faillite.

J’espère que ce que nous avons pu éviter lors de la pandémie ne nous tombera finalement pas dessus. Sans vouloir être alarmiste, il faut prendre conscience que la situation dans l’artisanat n’est vraiment pas bonne. Ce n’est pas bon signe lorsque le premier employeur du pays connaît des problèmes conséquents.

Le paradoxe, c’est que c’est précisément l’artisanat qui a un rôle très important à jouer pour faire avancer la transition écologique et énergétique. La situation qui se tend sans cesse peut-elle venir mettre fin à l’élan pris dans ce domaine?

Il nous faut vraiment éviter que les prix de l’électricité s’emballent à leur tour. Si c’est le cas, il n’y aura plus vraiment d’intérêt à décarboniser. Pour l’instant, la demande des clients est présente, surtout en ce qui concerne l’installation de pompes à chaleur. Les chauffagistes enregistrent une hausse de la demande de l’ordre de 30 à 40 %. Malgré les difficultés qui existent, nos entreprises tentent de répondre le plus vite possible aux demandes.

De plus, vous déplorez une pénurie de main-d’œuvre. Comment se présente la situation?

La pénurie de main-d’œuvre est une réalité. Elle s’explique toujours en partie par les absences liées au covid. L’autre volet concerne la pyramide des âges défavorable. Il nous faut trouver des gens qualifiés pour remplacer les départs à la retraite.

Souvent, on est obligé de former les recrues à l’intérieur de nos entreprises, ce qui impacte aussi la productivité. En outre, il existe le problème d’une évolution démographique qui ne tient pas pied avec la croissance économique. Dans l’artisanat travaillent 52 % de frontaliers. Un grand sujet est aussi d’attirer les gens depuis plus loin.

L’intérêt existe, notamment grâce à nos entreprises artisanales très modernes, mais ici, c’est le logement et le coût de la vie qui constituent un frein.

Des erreurs ont-elles été commises au niveau de l’Éducation nationale?

Les gouvernements successifs n’ont rien changé au système d’orientation. Si un élève connaît des faiblesses en mathématiques ou en langues, on lui dit qu’il ferait certainement un bon artisan. Or ce n’est pas forcément juste. Il faut tenir compte de l’ensemble des compétences de l’élève. Ceux qui décrochent un diplôme pour travailler dans l’artisanat ont une garantie d’emploi.

En tant que Chambre des métiers, nous menons des campagnes et enquêtes pour attirer davantage de jeunes recrues. La mentalité demeure toutefois qu’il est mieux de faire un travail de bureau que de se lancer dans l’artisanat. Or ce qu’il faut comprendre, c’est qu’un artisan est un acteur de la transition écologique. On peut forger l’avenir vers lequel on doit tendre tous ensemble.

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.