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Frontaliers suisses : des dégâts à la frontière


Le dynamisme de la Suisse provoque de nombreux problèmes côté français en matière de logement.  (photo AFP)

La demande en logement des frontaliers français travaillant en Suisse provoque l’explosion des prix immobiliers dans la région faisant face à Genève.

Un trois pièces à 1 500 euros par mois, un 35 m2 pour 790 euros… Ce sont des loyers parisiens prohibitifs qui s’affichent sur les vitrines des nombreuses agences immobilières de Saint-Julien-en-Genevois, une petite ville proche de la frontière suisse. Située à une dizaine de kilomètres de Genève, cette commune très résidentielle est un des points d’ancrage privilégié des transfrontaliers, qui travaillent en Suisse pour des salaires élevés avec un niveau d’imposition plus bas mais préfèrent habiter en France, pour bénéficier des prix immobiliers plus bas et conserver leur couverture sociale.

«Se loger ici n’est pas dans mes moyens», constate B. G. une jeune mère de famille qui travaille à la mairie de Saint-Julien. «J’ai un petit garçon et je suis enceinte, donc si je voulais me loger ici, il me faudrait un T3, à minimum 1 250 euros.» Comme beaucoup de ceux qui travaillent à Saint-Julien, cette fonctionnaire qui préfère ne pas donner son nom a été contrainte de se loger à plusieurs dizaines de kilomètres, dans la direction opposée de la Suisse.

«Être le plus « proche douane« , c’est ça qui fait que ça va être cher. Dès que vous allez sur les petites campagnes aux alentours, que vous vous éloignez, le prix baisse drastiquement», détaille Alec Froppier, un agent immobilier spécialisé dans le locatif chez Foncia. Et malgré ces prix, la demande ne tarit pas : «Aujourd’hui, j’ai 9 annonces pour 20 ou 30 demandes par jour», dit-il en montrant son écran.

«Les agences réclament trois fois le loyer en salaire donc ça s’adresse directement à des frontaliers parce que quand vous êtes sur un loyer à 1 000 euros, gagner 3 000 euros en France…», soupire d’un air entendu Damien Poitout, commerçant à Saint-Julien. Les chiffres ont explosé avec la libre circulation devenue pleinement effective en 2014, dans le cadre d’un accord bilatéral signé par Paris et Genève en 2002. En 2020, l’Insee répertoriait plus de 215 000 Français transfrontaliers vers la Suisse.

Un SMIC à 4 654 euros

Dotés d’un important pouvoir d’achat, ces «navetteurs» tirent les prix vers le haut, creusant l’écart avec les salariés en euros – le SMIC est à 4 500 francs suisses (4 654 euros) dans le canton de Genève. Non loin de Saint-Julien, Annemasse a obtenu en 2021 la triste palme de quatrième ville la plus inégalitaire de France. Dans cette ancienne ville ouvrière, les 10 % les plus riches gagnent plus de 5 fois plus que les 10 % les plus pauvres, selon le rapport annuel de l’Observatoire des inégalités, en 2021.

«Il y a des gens qui ont un emploi fixe, qui ont un salaire et qui vivent dans leur voiture», s’indigne Christian Dupessey, le maire PS de cette commune de 37 500 habitants. En Haute-Savoie, le prix médian au mètre carré a augmenté de 30 % en cinq ans, d’après un livre blanc impulsé par la maire de Saint-Julien-en-Genevois, Véronique Lecauchois. «C’est la jungle», reconnaît Samuel Bonhomme, consultant immobilier expert chez Foncia, à Saint-Julien où un T3 basique se loue minimum 1 200 euros, mais peut atteindre plus de 1 400 euros.

Conséquence parmi d’autres, les collectivités locales peinent à recruter des agents. À Vulbens, à 10 km de la frontière, 20 % des postes de fonctionnaires sont non pourvus. À l’hôpital de Saint-Julien, les urgences n’ouvrent pas avant 8 h, faute de personnel. «Quand on les recrute, les gens sont intéressés. Ils vont chercher autour pour se loger et disent non c’est pas possible, on repart. C’est vrai partout», s’emporte Christian Dupessey.

Jeudi, le ministre de la Fonction publique, Stanislas Guérini, s’est rendu à Saint-Julien pour annoncer une «indemnité de résidence», de 850 euros brut annuel, pour près de 29 000 fonctionnaires de 61 communes de la région – sans préciser la date du premier versement. Ce coup de pouce a quelque peu soulagé les élus, qui se sont sentis «entendus». Mais un fonctionnaire présent lors de la visite ministérielle a relevé : «Ça ne paye que trois jours d’essence par mois.»

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