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[Cinéma] Il était une fois dans l’Œsling


(photo Samsa/Artémis productions/Anna Krieps)

Un western luxembourgeois et… au féminin ! Läif a Séil, attendu en salles le 25 octobre, promet d’être le film évènement de l’année. Et marque la naissance d’un nom prometteur du nouveau cinéma national, Loïc Tanson.

Au milieu du XIXe siècle, la population du Luxembourg est décimée, résultat de plusieurs siècles d’assujettissement à des puissances étrangères. C’est à cette époque que se déroule Läif a Séil, le premier long métrage de Loïc Tanson, qui porte avec fierté sa réputation de «premier western luxembourgeois». Attendu en salles à partir du 25 octobre, le film évènement s’inscrit, après Kommunioun (Jacques Molitor, 2023) ou les deux saisons de Capitani, dans une certaine tendance du cinéma luxembourgeois à explorer les territoires du film de genre. Un véritable «défi», s’accorde à dire le trio de tête du projet, composé du producteur Claude Waringo (Samsa Film), du coscénariste Frédéric Zeimet et du réalisateur. Qu’il a exécuté avec talent.

Dans un noir et blanc granuleux et doucement saturé, on découvre le hameau fortifié qui sert de décor au film. En 1838, ces quelques familles du nord du Luxembourg sont sous la coupe de la puissante famille Graff, menée d’une main de fer par un patriarche tyrannique (Jules Werner). Les Graff défendent les habitants de la famine et des maladies qui ravagent la population; en échange, ils s’octroient tous les droits sur ceux qu’ils disent protéger.

La jeune Hélène a fait les frais de la cruauté du père Graff quand, à douze ans, elle est laissée pour morte après avoir vu ses parents se faire massacrer. Quinze ans plus tard, le Luxembourg est devenu un pays indépendant mais les Graff continuent de régner sur leur petit empire, qu’ils veulent désormais préserver de la construction du chemin de fer. L’arrivée d’Oona (Sophie Mousel), une étrangère, va faire basculer l’équilibre déjà fragile de la famille Graff et du village…

«S’écarter des stéréotypes»

Sur la genèse du projet, Loïc Tanson raconte : «Läif a Séil est né d’une idée de Claude Waringo qui voulait faire un western, inspiré des « Alpenwesterns »», ces films produits en Allemagne et en Autriche à la même époque que le western spaghetti, et tournés dans les paysages enneigés des Alpes. «Avec Frédéric Zeimet, on est parti de cette idée et on s’est attelé à la tâche, avec l’envie commune d’avoir une héroïne, pour bousculer un peu ce genre très codifié.» Loïc Tanson, qui dit avoir «passé une grande partie de (sa) vie à l’intérieur d’une salle de cinéma», s’est lancé dans ce projet d’envergure la tête pleine de références, évidentes ou non, «tout en essayant de trouver (sa) propre voie».

 

Pas de cow-boys ni d’Indiens ici, mais tout au long des deux heures de film, on cueille de jolis clins d’œil aux westerns. Les plus cruels d’entre eux, notamment, comme ceux de Sam Peckinpah – pour ses généreuses effusions de sang – ou de Sergio Corbucci – pour ses zooms brutaux et précis. Le cinéaste l’avoue, il lui est «difficile de citer» précisément ses inspirations, lui qui les voit plutôt comme «un mélange d’expériences» de cinéphile.

Il convient alors de jouer avec les emblèmes du genre, dont un plan final, large, qui montre la «lonesome cow-girl» s’éloigner vers l’horizon; le même plan, au format carré, clôturait le premier acte, avec un écho à une mise à mort emblématique du film C’era una volta il West (Sergio Leone, 1968). Mais il y a quelque chose d’Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979) aussi, dans le face-à-face tendu et plongé dans l’obscurité entre l’héroïne et le père Graff, et l’influence manifeste de deux œuvres plus récentes, qui jouent elles aussi avec les codes du western : Gangs of New York (Martin Scorsese, 2002) et le western nihiliste Brimstone (Martin Koolhoven, 2016).

On ne saurait cependant laisser le «namedropping» s’accaparer tout le mérite de cette réussite. Ses références, Loïc Tanson les a passées au mixeur d’une réflexion artistique poussée, favorisée par «la possibilité d’avoir eu du temps pour échanger et discuter avec (ses) collaborateurs lors de la préparation du film». Ainsi, le cinéaste a conclu «dès le début» les choix stylistiques qui guident le film : l’envie, partagée par le directeur de la photographie, Nikos Welter, de tourner la longue introduction en noir et blanc et avec une caméra 16 mm, puis de «passer au western» en «ouvrant l’espace» à l’écran large, le besoin de «rester honnête vis-à-vis du scénario» et de «s’écarter des stéréotypes du western», ou encore de tourner dans une langue hybride, qui mélange celle de l’époque et le luxembourgeois que l’on parle aujourd’hui. «On a tout de suite pointé le risque de faire un truc qui ne soit pas crédible ou, pire, qui soit ridicule», glisse le réalisateur. «Mais tout était déjà dans le scénario incroyable de Fred.» Il a suffi de se laisser porter, en quelque sorte.

«Cohésion de groupe»

Le film a pris forme avec le groupe, au cours d’un tournage qui a trouvé son décor de rêve, non pas au Grand-Duché, mais en Belgique. «Je connaissais une partie de l’équipe et des techniciens, mais pas les acteurs», précise le frère de la ministre de la Culture, qui s’est surtout fait la main sur des documentaires. «On a eu la chance d’être tout ce temps sur un même lieu, ce qui a créé une vraie cohésion de groupe.» Un avantage, d’autant plus que les comédiens, eux, se connaissaient déjà et qu’il leur est demandé de jouer des séquences assez brutales. Dont une confrontation violente entre Sophie Mousel et son partenaire de Capitani, Luc Schiltz, qui endosse ici le rôle du fils aîné des Graff. «Même si on se connaît, qu’on est à l’aise les uns avec les autres et qu’il est agréable d’avoir une telle confiance de jeu, nos méthodes sont très différentes», commente Sophie Mousel. Face à un Jules Werner terrifiant et un Luc Schiltz impitoyable, elle tient la dragée haute et l’on peut déjà miser sur un futur Filmpräis au regard de sa performance impressionnante.

À propos de récompenses, Läif a Séil a déjà été annoncé avant sa sortie comme le futur représentant du Luxembourg dans la course aux Oscars et aux Goyas, les prix cinématographiques espagnols. Sophie Mousel remarque qu’«on a l’avantage au Luxembourg, d’obtenir des rôles pour lesquels, à l’étranger, on ne penserait pas à nous. Ça nous amène dans des endroits nouveaux». Évidemment excité à la perspective de voir le nom de son film sur l’écran du mythique Dolby Theater, Loïc Tanson reste focalisé, en amont de la sortie, sur l’avis à venir du public luxembourgeois : «J’espère que les spectateurs sortiront de la salle en ayant éprouvé plein d’émotions, en n’ayant pas vu le temps passer et en ayant eu un peu de mal à respirer!» Les plus chanceux pourront tenter d’avoir les derniers billets disponibles pour l’avant-première du film en présence de l’équipe, demain, au Kinepolis Kirchberg.

Läif a Séil, de Loïc Tanson. Sortie le 25 octobre. Avant-première ce mercredi à 19 h 15, Kinepolis Kirchberg – Luxembourg.

 

Un western aux envies
d’ici et d’ailleurs

L’annonce était tombée à la mi-septembre, alors que le nom du film commençait déjà à être sur toutes les bouches : Läif a Séil a été désigné par un comité de sélection, nommé par la Filmakademie, pour représenter le Luxembourg dans la course aux Oscars et aux Goyas – les deux cérémonies se tiendront au premier trimestre 2024. Ce qui convenait à merveille à Claude Waringo, au moment où la promotion autour du film commençait à s’agiter sérieusement. Mais le chemin qui mène aux précieuses statuettes est encore long, et le producteur de chez Samsa sait que le Luxembourg est avant tout la cible à conquérir. «Nous devons mettre le maximum sur le territoire luxembourgeois», dit celui qui s’est assuré d’une sortie dans toutes les salles du pays. «On ne peut pas se permettre que le film fasse parler de lui après trois semaines d’exploitation, autrement dit quand il ne sera déjà pratiquement plus à l’affiche», ajoute-t-il.

Alors, d’ici au 25 octobre, Läif a Séil se paye une petite tournée dans les cinémas du pays, histoire de faire marcher le bouche-à-oreille, une composante «essentielle» au succès du film, selon le producteur. Après la visite d’équipe au Kinepolis Kirchberg demain, le film sera projeté samedi au CNA Starlight, à Dudelange, et de nouvelles dates sont encore attendues. Au vu du talent montré par le film et du spectacle qu’il propose, on ne doute pas un instant qu’il rivalise avec les grosses machines hollywoodiennes (les très attendus Expendables 4 et Killers of the Flower Moon) face auxquelles il se retrouvera. En attendant, comme il est d’usage dans les westerns, de s’en aller conquérir de nouvelles terres.

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