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Vermeer en pleine lumière


"La Laitière". (photo AFP)

Lui-même n’avait jamais vu autant de ses tableaux rassemblés : 28 toiles du peintre néerlandais Johannes Vermeer, soit la plupart de ses œuvres, sont exposées depuis vendredi au Rijksmuseum d’Amsterdam, un évènement inédit.

Auteur de toiles mondialement connues dont La Laitière et La Jeune Fille à la perle, Johannes Vermeer n’a pas peint beaucoup de tableaux – environ 35 – et peu de choses sont connues sur sa courte vie. Le Rijksmuseum d’Amsterdam a réussi à rassembler plus des trois quarts de son œuvre, faisant de cette nouvelle exposition la plus grande rétrospective jamais dédiée au peintre du siècle d’or néerlandais. «Jamais dans l’histoire 28 tableaux de Vermeer n’ont été rassemblés», déclare Taco Dibbits, directeur général du musée. «Il n’en a même pas vu autant ensemble lui-même», ajoute-t-il.

Célèbres pour leur luminosité, les 28 toiles, prêtées par des musées et collections à travers le monde, brilleront sur les murs sombres des galeries du Rijksmuseum le temps de l’exposition, visible jusqu’au 4 juin. «Ce sont des retrouvailles très heureuses», note Taco Dibbits, dont le musée a déjà vendu 200 000 billets, du jamais vu pour une seule exposition.

Une partie de la fascination pour Vermeer provient du mystère qui entoure le peintre, surnommé le «Sphinx de Delft», du nom de la cité proche de La Haye où il est né en 1632, et où il est mort 43 ans plus tard. L’artiste est né dans une famille de commerçants calvinistes avant de se convertir au catholicisme après son union avec Catharina, une femme aisée avec laquelle il a eu onze enfants.

On connaît finalement assez peu de choses sur sa vie et son travail a longtemps langui dans l’obscurité par rapport à d’autres maîtres du siècle d’or néerlandais comme Rembrandt, avant d’être véritablement révélé au XIXe siècle. Pourtant, si Vermeer était surtout connu en son temps comme marchand d’art et expert, il reçut la protection de riches commanditaires et jouissait de la réputation d’artiste novateur. Mais comme son père, lui aussi fameux marchand d’art, Vermeer est mort criblé de dettes et son œuvre tombe rapidement dans l’oubli. Deux de ses toiles sont même données en gage par sa veuve pour éponger des redevances colossales.

Des femmes «sous leur meilleur jour»

L’accession de Vermeer au statut de mégastar coïncide avec la publication, en 1999, du roman historique La Jeune Fille à la perle, de Tracy Chevalier, inspiré du tableau prêté pour l’exposition par le musée Mauritshuis de La Haye. «Merveilleux, c’est merveilleux», a déclaré l’auteure américaine après avoir vu l’exposition. «Je suis tellement contente que les gens voient ces peintures rassemblées et se fassent une idée de ce qu’était Vermeer», confie-t-elle.

La plupart de ses œuvres représentent des femmes qu’il «présentait sous leur meilleur jour, au sens propre et figuré», observe Tracy Chevalier. Il peint des femmes dans des contextes domestiques, en train de lire, d’écrire une lettre d’amour ou de jouer un instrument de musique. Vermeer montre «ce que c’est d’être une femme», ajoute l’auteure, particulièrement séduite par La Dentellière, œuvre d’une grande délicatesse prêtée par le Louvre.

Le vrai du faux

L’authenticité d’une des œuvres exposées, La Jeune Fille à la flûte, est remise en cause par la galerie qui l’a prêtée, la National Gallery of Art de Washington, selon laquelle le tableau a été «plus probablement peint par un associé de l’atelier de Vermeer». Le Rijksmuseum affirme cependant être parvenu à une conclusion différente sur la base d’informations partagées. «Je pense que pour la science et pour la connaissance de Vermeer, il est très important d’avoir ces discussions», affirme Taco Dibbits.

Avec la nouvelle célébrité acquise par le peintre au XIXe siècle, les faussaires s’en sont donné à cœur joie et les faux Vermeer n’ont cessé de se multiplier. À l’instar de La Jeune Fille à la flûte, les débats continuent de faire rage sur certaines toiles, parmi la trentaine qui lui est attribuée avec certitude. D’autant que plusieurs de ses tableaux ont disparu au cours des siècles et que, fait rare, l’artiste n’a laissé aucun croquis ni esquisse.

Taco Dibbits estime que l’attrait de Vermeer réside dans sa création de mondes silencieux si réalistes que le spectateur a l’impression de s’y perdre. Ce qui a permis au peintre de faire l’unanimité auprès des artistes au cours des siècles suivants. Renoir se pâme devant La Dentellière, dont Dalí propose sa propre version; Van Gogh loue «la palette de cet étrange peintre»; Proust décrit sa Vue de Delft comme «le plus beau tableau du monde»… «Nous vivons dans un monde tellement mouvementé, observe Taco Dibbits, et puis nous nous tenons devant Vermeer, et le temps s’arrête.»

«Vermeer», jusqu’au 4 juin. Rijksmuseum – Amsterdam.

Vermeer en cinq tableaux

La Laitière (1858-1859)

C’est le plus connu de ses tableaux et certainement l’une des œuvres les plus illustres de l’histoire de la peinture. De taille modeste, il représente une domestique – c’est son seul tableau ayant pour sujet principal un personnage de condition humble – affairée à confectionner un plat à base de lait. Le traitement original, délicat et mesuré de la lumière s’oppose aux effets de clair-obscur de Rembrandt. Après la mort de Vermeer, alors que la majeure partie de son œuvre tombe dans l’oubli, La Laitière restera considérée comme un chef-d’œuvre incontestable.

Vue de Delft (1660-1661)

L’une des deux seules toiles en extérieur du peintre, il s’agit du paysage urbain le plus célèbre de l’âge d’or de la peinture néerlandaise. Le tableau dégage une atmosphère tranquille avec ses jeux d’ombre et de lumière et l’utilisation d’une technique proche du pointillisme. Et qu’importe si la représentation de la ville natale du peintre n’est pas exacte d’un point de vue topographique…

La Femme à la balance (1662-1664)

Le regard est happé vers la balance tenue en équilibre entre le pouce, l’index et le majeur. Avec, dans cette toile, toujours cet effet de lumière cher à Vermeer. Mais ici, derrière la femme au teint diaphane et richement vêtue qui fait face à un miroir, une représentation du Jugement dernier pourrait vouloir faire passer un message religieux. Revenu sur Terre, le Christ lui aussi «soupèse» les choses, il juge les vivants et les morts. Une allégorie sur le caractère mortel de l’homme et la vanité des biens matériels, eux aussi éphémères.

La Jeune Fille à la perle (1664-1667)

Ce portrait en buste est celui d’une très jeune femme – peut-être l’une des filles du peintre ? – portant une perle à l’oreille et un turban sur la tête. Il frappe d’emblée par l’illusion de vie et d’immédiateté dégagée. Avec cette même expression énigmatique sur le visage, le tableau est surnommé «La Joconde du Nord» et rivalise presque avec l’œuvre de Léonard de Vinci, aujourd’hui, en termes de célébrité. Tracy Chevalier lui a dédié un roman, adapté au cinéma avec Scarlett Johansson et Colin Firth, et Banksy l’a graffée sur un mur de Bristol. Des militants environnementaux l’ont pris pour cible en octobre mais l’œuvre, protégée sous verre, n’a pas été endommagée.

La Dentellière (1666-1668)

Ce qui frappe dans ce tableau, c’est sa taille très modeste au milieu de son grand cadre. C’est d’ailleurs la plus petite œuvre de Vermeer : 24 cm sur 21 cm. La lumière arrive de la droite pour éclairer la jeune femme penchée et absorbée par son ouvrage. Comme La Laitière, elle se détache sur un fond blanc. Son visage se dérobe, tout comme son ouvrage de dentelle. Avec sa lumière douce, le tableau laisse interrogatif. A-t-on affaire à un portrait ? Une scène de genre ? Une allégorie ? Mystère.

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