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[Musique] Them Lights en pleine lumière


(Photos : lugdivine unfer)

Hautement appuyé, Sacha Hanlet a façonné son projet solo durant trois années de résidence à la Kulturfabrik. Il en résume les rouages, conscient que le plus «excitant» reste à venir.

Mardi après-midi, la Kulturfabrik avait soufflé sur les nuages pour que le soleil illumine tout entier son protégé. Un vieux camarade qui y traîne ses guêtres depuis vingt ans. C’est là en effet qu’il a «tapé» sur sa première batterie et «gratté» ses premières cordes de guitare, à l’affût dans les coulisses du festival Out of the Crowd. C’est là aussi qu’il s’est fait les dents, en mode DIY (do it yourself), loin des «savoirs académiques» dispensés dans les écoles et au Conservatoire.

C’est là encore qu’est née l’aventure Mutiny on the Bounty, quatuor de pirates branchés math rock et hardcore, devenu groupe phare au Luxembourg avec ses quelque 700 concerts donnés à domicile comme à l’étranger, et son énergie frénétique. C’est là enfin que Sacha Hanlet a façonné sa mue, grâce à trois longues années de résidence appuyées par le programme «Neistart Lëtzebuerg», lancé par le gouvernement dans la foulée de la crise sanitaire qui a tout fragilisé.

Une métamorphose qui s’est imposée avant, en 2017, fruit d’une nécessité : tirer sur le frein à main d’une carrière musicale menée tambour battant pour se donner du répit et du souffle, propices à toute réinvention. Celle-ci prendra le nom de Them Lights qui, dans un contrepied total, troque le rock pour le R’n’B, l’organique pour l’électronique, les coups de cymbales pour le piano et le synthétiseur, les cris de la six cordes pour le chant posé, les années 1990 pour les années 1980, l’ardeur pour la contemplation.

Ici, ses modèles de toujours (Queen, Michael Jackson, Prince, Deftones, Wu-Tang Clan) se mêlent et s’expriment désormais dans une étrange complicité, définie par un unique lien : le groove. «Il n’y a pas de différence entre eux», précise-t-il, car «la musique n’est qu’une affaire de sensation». Cela dit, l’envie et l’instinct ne peuvent être les seuls moteurs : «J’ai toujours su que j’allais faire ça, mais je n’avais ni les compétences ni le savoir-faire.» D’où ce généreux accompagnement, histoire «d’aller plus loin» que son bouillonnant background.

«Être meilleur pour ce que l’on est et ce que l’on fait»

Concrètement, celui-ci se détaille de la sorte : sur la table, 110 000 euros, partagés par la Kulturfabrik (80 000) et le ministère de la Culture (30 000). Autour, des professionnels appréciés pour leurs connaissances du terrain, que cela soit à domicile (Rocklab) ou à l’étranger (Kultur | lx). Au centre, un lieu à investir de fond en comble et une charte tentaculaire aux multiples paramètres détaillés façon PowerPoint : artistique (écriture, recherches, expérimentations), philosophique (par exemple, le «procédé est plus important que le résultat») et pratique (coaching, rencontres, échanges, concerts, ateliers).

Essayer, et si ça ne marche pas, essayer autre chose!

Au bout, un objectif expliqué doctement : «S’adresser aux artistes qui veulent se professionnaliser et/ou qui se trouvent à un tournant» dans leur activité, pour leur donner les moyens de mettre au point un projet qui ait du sens. Sacha Hanlet simplifie : «Prendre le temps pour essayer, échouer, rencontrer des gens et être meilleur, pour ce que l’on est et ce que l’on fait.»

Si l’artiste reste le seul maître de sa proposition, le terme «associé en résidence» est pourtant hautement «collaboratif». Un adjectif répété à longueur de temps par les partenaires. «Il y a de plus en plus de communication entre nous. C’est positif», soutient ainsi Giovanni Trono (Kultur | lx). Son collègue du Rocklab, Sam Reinard, va plus loin : «Aujourd’hui, tout le monde sait qui est bon, et dans quel domaine. La synergie reste toujours plus efficace que de faire les choses de son côté», particulièrement dans un Luxembourg aux frontières contenues et à l’industrie musicale balbutiante. Pour sa part, Georges Goerens (Kulturfabrik) loue le côté «humain» de l’initiative, comme le fait de partager «les problèmes et les succès», sans jugement. Une réflexion sûrement motivée par son expérience en solitaire (sous le nom de Bartleby Delicate), où la réussite et les échecs se gèrent «sans personne à vos côtés».

Charel Stoltz, le «Quincy Jones» de Them Lights

Sacha Hanlet apprécie ses compagnons de route, ne serait-ce qu’en raison d’une similitude : «Ce sont tous des musiciens, et pas juste des professionnels. Ça fait la différence! Ils savent ce que c’est que de faire une centaine de kilomètres pour donner un concert merdique devant dix personnes.»

Durant trois ans, d’autres du Grand-Duché se joindront à lui pour l’amener à croire au potentiel de Them Lights et à l’exprimer : Jana Bahrich (Francis of Delirium) pour l’écriture, Sergio Manique pour le piano, les arrangements et les harmonies, Edsun pour ce qui est de la performance scénique et David Moreira (Eternal Tango) pour le chant. Sans oublier certains de passage (The X, C’est Karma, Ptolemea), les membres de Konektis, le label Two Steps Twice (soutien de son premier EP sorti en mars, DRK), l’ingénieur et producteur Charel Stoltz, qui lui a fait découvrir le synthétiseur JUNO et avec qui il partage une passion pour «MJ» («c’est mon Quincy Jones!»), et enfin le rappeur Maz, ami indéfectible et inspirant («on a enregistré entre 30 et 40 chansons ensemble»).

Depuis son entrée en résidence à la mi-mars 2021, et bien que l’avancement d’un tel projet tienne à une constante remise en question personnelle (et des objectifs prédéfinis), Sacha Hanlet s’est tenu à une ligne directrice : d’abord chercher à affirmer et pérenniser une identité musicale. Multi-instrumentiste et «geek», fan de technique, il s’est donc laissé porter par l’inspiration, selon un mantra qui va le suivre tout au long du processus : «Essayer, et si ça ne marche pas, essayer autre chose!»

En somme, se tromper pour avancer, avec tout ce que cela implique comme égarement et superflu : «J’ai écrit tellement de choses qui ne sortiront jamais, mais c’est le but!» Son inspiration, elle aussi, semble sans limites. «Si quelque chose tombe au sol et que le son est bon, ça mérite d’être enregistré!» Sur le vif et au gré du hasard, il saisit alors le ronronnement d’une machine de massage ou les rires de sa fille, qui voit en la KuFa un terrain de jeu. Comme son père.

De cette exploration, seul et à plusieurs, émergeront trois singles en 2021 et 2022 (Feeling Good, What Counts et Estanque), tranquillement transposés aux besoins de la scène, second pilier de sa transformation pour lequel il désirait «repartir de zéro». Avec toutes les maladresses que cela implique, dont un premier concert en novembre 2022 qu’il juge «précipité»… devant plus de 300 personnes. «Je m’étais promis de ne pas me planter dès le début, mais c’est pourtant ce que j’ai fait», souffle-t-il avant de se reprendre : «Mais j’ai appris de tout ça!»

En témoigne cette vingtaine d’autres sorties, intimes (au piano au Mesa Verde) ou plus classiques (en première partie d’Oscar and the Wolf et Awir Leon), qu’il partage désormais avec un batteur (Sacha Piccoli), un ingénieur du son (Clément Delporte) et un second pour les lumières (Denis Natalis). Concernant ce dernier point «visuel», essentiel dans l’approche de Them Lights, il a eu également droit à l’expertise de Benjamin Georjon (collaborateur d’Eddy de Pretto et Irène Drésel).

À la Kulturfabrik comme «chez lui»

Après trois années à apprendre comment marche un synthétiseur, à se faire à la production ou au mixage, à développer un réseau, à se frotter à l’écosystème musical (label, booking), à produire pour d’autres musiciens (car le «cachet artistique» d’une résidence ne suffit pas), à animer des ateliers pour enfants, à échanger et à créer, encore et encore, Sacha Hanlet reconnaît n’avoir pas vu le temps passer : «J’ai l’impression que ça fait moins d’un an que je suis entré en résidence. C’est bon signe, non? (il rit).»

En tout cas, il dit «être là» où il «voulait être», en dehors peut-être de certains points à améliorer, qui dépassent toutefois le simple cadre artistique : apprendre à apprécier son travail («j’aime rarement ce que je fais») et sa notoriété («j’ai entendu mon nom aujourd’hui une centaine de fois, c’est étrange…») et appréhender la scène avec plus de légèreté («ça me terrifie toujours, alors que j’aimerais juste en profiter et passer du bon temps»), comme ce fut le cas mardi soir lors d’un concert de «clôture» partagé avec Napoleon Gold, Mæhila et Twin XXA.

Reste maintenant à poursuivre sur cette lancée avec la même «authenticité et honnêteté». Comprendre établir Them Lights à domicile pour envisager, par ricochet, une suite à l’internationale, comme ce sera le cas au Strasbourg Music Week ou au Reeperbahn Festival (Hambourg). «Ce projet doit être montré maintenant, confirme Giovanni Trono, mais sans aller trop vite, pas après pas.»

Sacha Hanlet s’imagine déjà prospecter à l’étranger auprès de «petits bookers qui connaissent bien leur territoire» et «aiment la musique autant que moi». «C’est excitant!», conclut-il. Son émancipation passera sûrement encore par le Rocklab (il sera sur l’une des prochaines vidéos des Pop-Up Sessions) et la Kulturfabrik. «Ce n’est pas parce que la résidence est finie que tout s’arrête là. Il est ici chez lui!», garantit Georges Goerens. Il faudra juste qu’il prenne moins de place et fasse moins de bruit : le prochain résident associé sera Samuel Hamen, un écrivain.

 

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