Accueil | Culture | [Album de la semaine] «Hyperdrama», de Justice

[Album de la semaine] «Hyperdrama», de Justice


Dans la foulée de son troisième album, Woman (2016), le duo français Justice a fêté ses dix ans d’existence en grande pompe, avec un double disque entre best of, remix et live (Woman Worldwide, couronné d’un Grammy du meilleur album de musique électronique en 2019) et un film (Iris : A Space Opera by Justice, 2019).

Puis, tout en continuant à travailler sur un nouvel album avec Xavier de Rosnay, son complice, Gaspard Augé s’est offert des Escapades (2021) en solo, sublime album de mélopées électroniques allant puiser dans la musique de film et le rock progressif, qui sonne comme un cousin du deuxième album (injustement sous-estimé) de Justice, Audio, Video, Disco (2014). En 2022, le duo a fait resurgir sur les plateformes son 2007 Xmas Mix devenu rare : Giorgio Moroder, Sparks et Goblin y croisent Rondò Veneziano, Julien Clerc ou Daniel Balavoine, Justice dévoilant dès ses débuts tout le spectre des sensibilités, même les plus kitsch, qui infusent toujours dans sa musique.

Avec tous les indices que les deux artistes ont laissés derrière eux, on peut considérer Hyperdrama comme l’album du retour aux racines. Dans un certain sens, c’est ce que Justice fait avec chaque nouvel opus, mais celui-ci, arrivé après huit ans d’absence –dont quatre pour réaliser l’album –, sonne un peu plus comme tel. Le temps semble avoir été bénéfique pour les maîtres artisans de la «French Touch», qui redéfinissent ici leur propre son, comme l’avaient fait Michael Jackson avec Thriller (1982) et Daft Punk avec Random Access Memories (2013). Et on ne peut ignorer que la séparation de ces derniers, en 2021, a laissé Justice seul héritier du trône de l’electro française. Alors, derrière les errances fantasmagoriques de Gaspard Augé et les boucles technos excentriques de Xavier de Rosnay, Hyperdrama se révèle aussi un formidable hommage à toute la scène qui a gravité autour de Pedro Winter et du label Ed Banger. Et Justice, par extension, de revisiter sa propre histoire.

Justice se refait une carte d’identité avec son album le plus « heavy » depuis 2007

Car si chacun de ses albums amène son propre concept – le mélange electro et heavy metal de Cross (2007), les envolées «prog» d’Audio, Video Disco et la stature pop de Woman –, le concept, cette fois, c’est le duo lui-même. Comme le laissait supposer son titre, Hyperdrama défile comme un opéra électronique chargé à bloc, mais aussi riche en émotions. C’est avec la douceur de Neverender que Justice nous accueille dans ce qui, pour le duo, est à la fois un éternel recommencement et une nouvelle naissance. Rien, dans ce plaisant petit tube electro-disco porté par la voix androgyne de Kevin Parker (Tame Impala), ne laisse encore supposer que ce quatrième album est le plus «heavy» des deux compères depuis leur premier – et bien que ce soit aussi l’ambiance prédominante en «live». Mais Neverender donne d’entrée de jeu un ton : celui de l’éclectisme, poussé dans ses derniers retranchements.

On retrouve Kevin Parker sur One Night/All Night, titre phare qui fait cohabiter le disco et la techno (mais jamais en même temps) et qui représente à merveille la nouvelle évolution du duo français. Le puissant Generator convoque le «gabber», sous-genre de techno bien énervé, tout comme Muscle Memory ou Incognito, mais, intranquilles, Gaspard et Xavier font aussi dans le romantisme avec Moonlight Rendez-Vous ou le fascinant Dear Alan (un clin d’œil à Alan Braxe, du groupe Stardust), s’autorisant même un crochet par l’excellente «cold wave» de Mannequin Love. Tout dans cette quatrième et riche aventure est marqué au fer rouge de la patte Justice, reconnaissable entre mille : samples distordus, énergie «hardcore», digressions orchestrales… Se défendant d’être des novateurs de quelque sorte, mais toujours loin de se faire leur petit confort, les deux sorciers derrière Justice relookent leur propre style, trouvant sans doute dans cette nouvelle formule rutilante la meilleure expression de leur art. Avec Hyperdrama, Justice se refait donc une carte d’identité. Le duo se met à nu, à l’image de la croix qui le symbolise : d’habitude monolithique, elle est représentée cette fois à son plus fragile, révélant ses entrailles sous une façade en verre. La machinerie qui s’y cache, elle, tourne à plein régime.

 

Justice – « Hyperdrama »

Sorti le 26 avril

Label Ed Banger Records

Genre electro

 

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.