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Stéphanie, thanatopractrice : «J’ai accepté de voir l’inacceptable»


Stéphanie Sounac effectue environ 1 000 soins par an. (Photo : alain rischard)

Stéphanie Sounac exerce un métier pas comme les autres : thanatopracteur. Elle réalise des soins de conservation sur les défunts pour ralentir le processus naturel de décomposition.

C’est au sein des locaux de la marbrerie MDA Stone Lux, à Oberpallen, au milieu d’articles funéraires, que nous retrouvons Stéphanie Sounac, pour parler de son métier pour le moins atypique : la jeune femme est thanatopractrice. Elle réalise des soins de conservation sur les défunts afin de retarder la putréfaction du corps, ainsi que des reconstructions lorsque celui-ci a été trop abîmé.

Un processus qui va permettre à la peau de conserver un aspect naturel, éliminer les lividités cadavériques (les taches rouges dues à un amas de sang) et débarrasser le défunt des stigmates de la souffrance ou du choc éventuellement subis au moment du décès.

Pour cela, «on injecte dans le système artériel un produit à base de formaldéhyde, concentré à différents pourcentages en fonction de l’état du défunt, de l’état de sa peau ainsi que du nombre de jours durant lesquels il doit être absolument intact», explique Stéphanie Sounac. «Ce liquide va pousser le sang que l’on récupère à la sortie par une ponction cardiaque ainsi que par des drainages au niveau des cavités thoracique et abdomino-pelvienne.»

Éviter le choc visuel

Un soin de conservation peut exiger entre une heure et une heure et demie de travail sur un défunt dit «intègre», mais il peut monter jusqu’à six voire sept heures lorsque des reconstructions sont nécessaires. Car Stéphanie est parfois amenée à faire un véritable travail de «sculpteur» sur les corps, lorsqu’ils ont été accidentés ou lorsqu’il y a eu une autopsie.

Quelquefois cependant, aucune réparation n’est malheureusement possible. C’est Stéphanie qui estime à quel moment il faut refuser d’intervenir.

«La famille va payer le soin de conservation, j’ai donc une obligation absolue de résultat. Si je sens que le résultat ne sera pas celui qu’on attend, je n’interviens pas. Mais tout dépend du praticien, selon qu’il est plus apte, plus formé, plus artiste. Ainsi, sur un même cas, deux praticiens pourront avoir un avis différent et se sentir capables ou non de réaliser quelque chose de bien.»

«Il est essentiel de ne pas avoir ce deuxième choc traumatique visuel, en plus du choc psychologique», ajoute Stéphanie Sounac. Rien n’interdit en effet de voir le corps d’un proche décédé, et ce, quel que soit son état. Mais les professionnels sont là pour avertir les familles, voire les en dissuader lorsque cela s’impose.

«Si on leur conseille de ne pas voir le corps, c’est qu’il y a de grandes raisons à cela. En général, notre avis est suivi. Une fois, une maman ne voulait pas croire au décès de son fils et voulait absolument le voir. On a alors fait en sorte de juste lui montrer la main.»

Exceptions

Les thanatopracteurs ont interdiction d’effectuer des soins de conservation sur le corps des musulmans et des juifs, dont les toilettes rituelles sont effectuées par des personnes formées dans leur propre confession. «Les seules fois où on intervient, c’est pour retirer un pacemaker», souligne Stéphanie Sounac.

Une profession méconnue au Luxembourg

En France, le thanatopracteur peut intervenir dans les deux ou trois jours qui suivent le décès, les cercueils pouvant légalement rester ouverts six jours ouvrables, une durée qui peut donc s’étendre jusqu’à 12 jours avec les dimanches et les jours fériés.

Mais au Luxembourg, la thanatopraxie est encore méconnue et la population a plutôt recours aux préparateurs, pour une simple toilette mortuaire. Stéphanie Sounac, qui partage son temps entre les pompes funèbres de Colles à Arlon (Belgique) et les pompes funèbres Erasmy, à Luxembourg, intervient donc actuellement au Grand-Duché uniquement dans le cadre de rapatriements à l’international. «Les rituels de deuil ne sont pas les mêmes ici : les cercueils sont fermés très rapidement. Il y a un rapport hyper-tabou avec le corps décédé», constate-t-elle.

«Pourtant, beaucoup de familles ont besoin de voir le corps, surtout dans le cas de décès brutaux, il est donc important qu’elles sachent que nous existons», insiste-t-elle, précisant que «les familles ont le droit d’appeler un thanatopracteur directement et ne sont pas obligées de passer par les pompes funèbres, dont certaines pourraient facturer le service plus cher».

«Ne pas oublier son humanité»

Même si c’est rare, il arrive à Stéphanie de quitter le laboratoire où elle travaille pour entrer en contact direct avec la famille du défunt. «J’interviens surtout lors de reconstructions importantes, pour donner des instructions, telles que ne pas toucher le défunt ou ne pas être trop nombreux dans la chambre funéraire à cause de l’apport d’oxygène. Un conseiller funéraire ne peut pas expliquer certaines choses parce qu’il ne les pratique pas. Je vais par-dessus tout m’assurer que les proches ont bien compris ces consignes. Je vois très bien dans leurs yeux si c’est le cas.»

Des moments difficiles, durant lesquels Stéphanie Sounac se doit de tenir, elle qui se retrouve à être un pilier auprès duquel la famille va pouvoir se raccrocher.

«Le cerveau est très bien fait : avant d’arriver sur une intervention ou auprès d’une famille, j’ai une espèce de dissociation et vais rentrer dans la pièce en tant que « moi professionnel », et non pas « moi être humain ». Ça peut paraître ignoble, mais c’est la seule façon que j’ai de ne pas pleurer avec les familles – ce ne serait pas légitime pour moi de pleurer à ce moment-là, c’est leur peine, leur défunt. Par contre, quand je vais quitter la pièce, je vais m’écrouler. Il ne faut pas oublier son humanité, à partir du moment où on l’oublie dans ce métier, il faut le quitter.»

Beaucoup de psychologie

Un métier qui exige à l’évidence énormément de psychologie. Si des cours de psychologie au deuil sont dispensés durant la formation de thanatopracteur, c’est à chaque technicien de se former ensuite plus en profondeur. Surtout, «on n’arrive pas dans ce métier, sans une histoire avec la mort dans notre vie», témoigne Stéphanie Sounac.

«J’ai perdu mon papa quand j’avais 7 ans. Il est mort d’un accident de moto. C’était extrêmement brutal. J’ai alors voulu comprendre pourquoi on meurt. J’étais obsédée par l’idée de savoir ce qui lui était arrivé dans le détail, s’il avait souffert – je ne l’ai pas vu. Des questions qui font que je me suis construite différemment durant l’adolescence. Sans mes études, je n’aurais jamais eu de famille, jamais d’enfant. J’aurais toujours eu cette angoisse de l’abandon. Ce métier m’a réconciliée avec la vie.»

Des sas de décompression

C’est d’ailleurs ce qui frappe quand on voit Stéphanie Sounac : elle est tout sourire, résolument ancrée dans la vie. «Pour perdurer dans cette profession, il faut avoir aussi un sens de la vie très aigu !», confie-t-elle.

Et des sas de décompression. Les siens ? Ses réseaux sociaux (sa chaîne TikTok thana_nanou dépasse les 130 000 abonnés !), les chevaux, sa famille bien sûr, la musique à fond en voiture, mais aussi les parcs d’attractions : «On hurle, on n’est pas obligé de justifier pourquoi, on évacue tout ! C’est un moment où l’on ressent des émotions, où l’on se sent vivant.»

«Dans ce métier, on voit des choses qu’un être humain ne devrait pas voir. J’ai accepté de voir l’inacceptable, c’était clair dans ma tête dès le départ. Mais je ne me vois pas faire autre chose», conclut Stéphanie Sounac, qui est désormais également formatrice. «C’est très important de transmettre. Si je n’avais pas eu les maîtres que j’ai eus, je ne serais peut-être pas la professionnelle que je suis.»

Une profession en danger

Le formaldéhyde, utilisé pour le soin mortuaire, est une substance toxique que l’on retrouve partout dans notre quotidien : dans les produits désinfectants, dans les revêtements de murs ou de sols, les meubles, la cigarette… Depuis 2014, l’Europe l’a classé comme cancérogène de catégorie 1B et mutagène de catégorie 2. Son origine dans des cancers du nasopharynx et des défauts génétiques ayant été avérée. Son interdiction sur le territoire européen a donc été décrétée, mais les secteurs des soins de santé et la thanatopraxie ont bénéficié jusque-là d’un sursis pour continuer à utiliser ce produit qui prendra fin en juillet 2024.

Une décision qui «met la profession est en danger», alerte Stéphanie Sounac, la thanatopraxie ne disposant actuellement «d’aucun produit de remplacement offrant une tenue dans le temps aussi importante», d’autant que les exigences actuelles des familles, qui souhaitent des funérailles rapides, rendent impossible un retour à des méthodes plus ancestrales, bien plus chronophages.

Quant à l’impact sur l’environnement du formaldéhyde dans le cas de son utilisation pour la thanatopraxie (produit qui ne pose d’ailleurs aucun problème pour l’incinération), il est infime, assure la professionnelle : «Il est dilué et nous n’en utilisons qu’une partie infime. Je pense que dans les vernis des cercueils ou les vêtements des défunts par exemple, il y a bien plus de substances toxiques.»

2 plusieurs commentaires

  1. Goossens Marina

    Bravo à vous, je salut votre respect vis à vis des personnes décédées… et surtout leur famille qui garderont à jamais un très bon souvenir de leur être chère…

  2. bravo pour ce métier méconnu ,

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