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«Platzverweis» : un virage inquiétant vers le tout-répressif, pour la CCDH


Pour Gilbert Pregno et Anamarija Tunjic (à sa gauche), les modalités d’application «trop vagues» doivent être clarifiées. (Photo : Fabrizio Pizzolante)

Face au projet de loi instaurant l’injonction d’éloignement, ou «Platzverweis», qui autoriserait la police à déloger sans-abri et toxicomanes de certains lieux, la Commission consultative des droits de l’Homme pointe le risque de dérives et de stigmatisation.

Alors qu’il y a cinq ans, en pleine réforme de la police, le gouvernement était vent debout contre le principe du «Platzverweis» – cette possibilité, pour les forces de l’ordre, de faire déguerpir toute personne entravant l’accès à un bâtiment et ce, par la force si nécessaire – c’est un véritable revirement qui s’opère aujourd’hui, avec un projet de loi donnant une base légale à cette injonction d’éloignement, y compris lorsqu’il n’y a aucun danger.

Un changement de cap que la Commission consultative des droits de l’Homme (CCDH) ne parvient pas à s’expliquer : «En 2017 et 2018, ils estimaient que ce n’était pas un outil adapté pour répondre à un problème social et que cela risquait de stigmatiser une partie de la population», rappelle Gilbert Pregno, son président. «Leurs arguments étaient alors les mêmes que les nôtres aujourd’hui.»

La solution de facilité

Selon lui, face à des tensions de plus en plus fortes au sein de la société, le gouvernement opte ici pour la solution de facilité : «Nous prônons des actions sociales en amont, en faveur des personnes démunies, mais cette piste-là prend du temps et demande des moyens, contrairement à une intervention immédiate de la police», pointe-t-il.

Sans doute aussi qu’à l’approche de 2023 et de sa double échéance électorale, les autorités nationales comme communales ont tendance à plier plus facilement sous la pression des riverains qui, dans plusieurs quartiers de la capitale mais pas seulement, n’en peuvent plus du sentiment d’insécurité.

Un amalgame dangereux pour le vivre-ensemble

Cet argument, très subjectif, est pourtant loin d’être suffisant aux yeux de la CCDH : «On ne peut pas légitimer une mesure aussi restrictive sur les droits humains, par le seul ressenti de certains, ou la prétendue acceptation par une majorité de la population», insiste la commission, opposant que les personnes visées, sans-abri, toxicomanes, prostituées, ont elles aussi des droits, dont celui de circuler librement.

Sans parler du risque d’amalgame, et donc de stigmatisation, vu que le projet de loi a été présenté en 2021 dans le contexte de la lutte contre la criminalité liée aux stupéfiants : «Le fait d’associer régulièrement les migrants qui vivent au Luxembourg au trafic de drogue et à ses conséquences, contribue grandement au climat d’intolérance, de xénophobie et de racisme, qu’on perçoit de plus en plus», déplore Gilbert Pregno, faisant référence aux mauvais résultats de la première étude d’ampleur sur le racisme au Grand-Duché, publiée en mars dernier.

«Lutter contre la pauvreté et non les personnes pauvres»

«Il y a un glissement vers davantage de propos haineux à l’égard des personnes qui ont une autre origine, une autre couleur, ou qui ne rentrent pas dans les normes. Or, une forme de bienveillance et de respect doit prévaloir, peu importe les conditions de vie de ces gens», plaide-t-il, estimant que la mission de l’État est de lutter contre la pauvreté et non contre les personnes pauvres.

Pour la CCDH, le gouvernement cède à la facilité, pressé par les riverains à bout, alors que la répression n’est pas la solution. Photo : archive/isabella finzi

 

Surtout que des alternatives au «Platzverweis» existent, selon la CCDH, qui cite pêle-mêle la présence et l’intervention des services d’assistance aux personnes précaires, la coopération entre acteurs de terrain, l’éclairage urbain ou encore des patrouilles policières plus fréquentes.

Des modalités imprécises

Car de nombreuses questions restent en suspens quant à l’application de ce texte, en l’état : «Les modalités de l’injonction d’éloignement ne sont pas suffisamment précisées, ce qui risque de générer des difficultés en pratique», alerte Anamarija Tunjic, juriste, alors que les interprétations divergent déjà parmi les avis des différents organes consultatifs.

«À partir de quel moment l’accès à un bâtiment est-il entravé ou bloqué? Quand considère-t-on qu’il ne l’est plus? Ce n’est pas aux policiers d’interpréter ces termes très vagues, au risque d’engendrer des applications arbitraires voire discriminantes de la loi», avertit la jeune femme.

«Avant, il y avait une plus grande tolérance»

Plus globalement, la CCDH s’interroge enfin face à «toutes ces mesures» révélant «une nette tendance à miser sur une approche de plus en plus répressive envers des personnes démunies», ce qui n’est pas habituel pour le Luxembourg (lire ci-contre).

La commission craint donc que le «Platzverweis», présenté comme un outil pour libérer certaines zones, ne soit aussi utilisé pour contrôler l’identité d’une partie de la population, voire aboutir à une expulsion du territoire. «On sent aujourd’hui une volonté d’expulser les gens qui sont en situation irrégulière. Avant, il y avait une plus grande tolérance», note Anamarija Tunjic.

C’est pourquoi la CCDH demande que ces contrôles soient uniquement possibles si les contrevenants refusent de se déplacer et que l’usage de la force s’avère nécessaire.

Face à ces attaques, le ministère de la Sécurité intérieure a réagi dans un communiqué publié en fin d’après-midi.

Une mesure déjà appliquée en France et en Allemagne

Comme la France et l’Allemagne disposent déjà d’un cadre légal similaire, nous avons demandé aux membres de la CCDH comment les choses se passent chez nos voisins.

«Côté allemand, de nombreux articles parlent de l’utilisation de cette mesure dans un but plutôt touristique, tandis qu’en France, elle prend la forme d’arrêtés municipaux de la part des maires, pour contrer la mendicité dans leur ville.»

«Souvent, des associations locales contestent et les tribunaux leur donnent raison, estimant que c’est disproportionné et trop vague», explique la juriste Anamarija Tunjic. Elle ajoute que dans ces pays, comme au Luxembourg, ces mesures sont vues d’un œil critique.

«Le gouvernement luxembourgeois est lui-même conscient qu’il s’agit d’une mesure très sensible. On le remarque dans l’exposé des motifs du projet de loi : l’accent est mis sur l’importance de garantir l’accès à certains lieux, mais pour nous, ce sont les détails qui sont importants», justifie-t-elle.

En France, plusieurs enquêtes ont, par exemple, mis en évidence des pratiques de contrôles d’identité abusives, entraînant des tensions entre la police et la population.

La loi du plus fort côté français

Gilbert Pregno se dit, quant à lui, très choqué par le traitement réservé aux Gilets jaunes : «En France, il y a une doctrine de la confrontation, il faut mater le conflit par la violence, et instituer la loi du plus fort, quitte à utiliser des techniques guerrières», souligne-t-il.

«Tout l’inverse du Luxembourg, où on essaye toujours d’induire une désescalade, une baisse des tensions, en privilégiant le dialogue. Ce qui est plus laborieux, qui exige aussi plus de doigté, ainsi qu’une capacité à bien juger la situation», estime-t-il.

Pour lui, «il est toujours plus simple de taper sur quelqu’un plutôt que d’engager le discours», mais c’est là «une vertu que le Luxembourg doit préserver».

Un commentaire

  1.  »vers le tout-répressif », ça c’est vers où va toute l’Europe… La police devient de plus en plus une gestapo des pseudos  »élites » dirigeantes… Et pour matter, les emmerder ou leur rendre la vie difficile à la populace qui n’a pas la même pensée dictée par ces pseudos élites, il faut du tout-répressif, surveillance de masse (caméras et données informatiques) sous prétexte de sécurité…

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