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Pénuries de médicaments au Luxembourg : quand les rouages se grippent


Quand la production s’avère suffisante, c’est la mauvaise exploitation par les fabricants qui est pointée du doigt.  (Photo : archives LQ/Isabella Finzi)

Pourquoi certains médicaments viennent à manquer dans les tiroirs des pharmacies du Luxembourg? Décryptage de ces ruptures de stock de plus en plus fréquentes, pas seulement dues à la dépendance au marché belge.

Alors que des pénuries de médicaments de première nécessité touchent désormais le Luxembourg, notamment des antibiotiques utilisés dans le traitement des infections pulmonaires, le casse-tête récurrent des ruptures de stock et les conséquences pour les patients comme pour les pharmacies sont de nouveau au centre des débats.

Si les chaînes d’approvisionnement sont perturbées depuis la crise du covid, la gestion de la production à flux tendu privilégiée par les laboratoires, mais aussi la situation particulière du Grand-Duché sur le marché des produits pharmaceutiques entrent en jeu.

En effet, le pays importe 100 % des médicaments qu’il commercialise, dont 80 à 90 % proviennent de Belgique, 7 à 17 % d’Allemagne et 3 % de France, selon les chiffres avancés par les acteurs luxembourgeois publics et privés.

Et le problème préoccupe de plus en plus, alors que les Luxembourgeois consomment beaucoup de produits de santé – même légèrement plus que les pays voisins. L’achat de médicaments représentait ainsi 38 % des dépenses totales des ménages en 2019, soit une somme globale avoisinant les 250 millions d’euros en 2020 selon la CNS, qui a pris à sa charge 86 % de cette facture.

Le cas d’un médicament antidiabétique

Si les associations de patients ne reçoivent pas de plaintes et affirment que, jusqu’ici, les besoins sont couverts, en particulier grâce aux médicaments génériques – 6 % des ventes en 2019 –, elles constatent bel et bien d’importantes tensions : «Les délégués des firmes pharmaceutiques témoignent que ça devient compliqué pour certains médicaments», explique Sylvie Paquet, directrice de la Maison du diabète, l’une des pathologies chroniques impactées par les pénuries.

Avec des raisons parfois bien différentes en fonction des références : un médicament prescrit aux diabétiques pour mieux contrôler leur poids est ainsi promu en ce moment comme cure amaigrissante miracle sur les réseaux sociaux, faisant exploser la demande et laissant des patients sur le carreau. «La production ne suit plus et les fabricants européens privilégient la vente aux États-Unis, car ils paient plus cher», déplore-t-elle.

Les produits contre le diabète ne sont pas les seuls concernés. Quotidiennement, ce sont pas moins de huit médicaments qui font défaut dans les tiroirs des officines, d’après la Division de la pharmacie et des médicaments.

60 % des ruptures de stock sont liées à la production

Pour comprendre pourquoi, il faut se pencher sur les rouages de la distribution des produits de santé au Luxembourg : elle repose sur trois grossistes-répartiteurs agréés par les autorités, chargés d’acheter, stocker et distribuer les médicaments sur tout le territoire, avec une obligation de service public – disposer en continu d’au moins deux tiers des références autorisées sur le marché avec un mois de stock minimum.

Or ces acteurs clés du système sont confrontés à des difficultés croissantes au moment de passer commande et doivent composer avec les ruptures de stock sur certains médicaments.

Les distributeurs dénoncent les quotas de livraison appliqués par les laboratoires à chaque pays. Photo : afp

Dans son enquête sectorielle publiée en 2022, le Conseil de la concurrence indique que 60 % d’entre elles sont dues à des problèmes de production : les principes actifs viennent de Chine ou d’Inde, où les matières premières sont parfois défaillantes, tandis que les contrôles sont toujours plus stricts – les standards UE étant parmi les plus exigeants au monde – et engendrent davantage de cas de non-conformité.

Passant par plusieurs pays, la chaîne logistique est également facilement perturbée, avec des délais de livraison rallongés, sans compter le manque de réactivité si jamais la demande augmente d’un coup.

S’ajoutent les ruptures d’approvisionnement, c’est-à-dire que les laboratoires ont une production suffisante mais mal exploitée : le Conseil souligne par exemple qu’ils persistent à appliquer la politique du flux tendu pour limiter leurs coûts de stockage et garantir aux produits des dates de péremption longues, ce qui gonfle le risque d’enrayement au moindre grain de sable.

Des livraisons basées sur les patients belges

Enfin, en cas d’insuffisance d’un de leurs produits, les fabricants rationnent les livraisons, en tenant compte, pour chaque pays et chacun de leurs grossistes-répartiteurs, des chiffres de vente en pharmacie et de la fréquence des pathologies. Problème : les statistiques du Luxembourg sont établies sur la base de celles de la Belgique, au prorata par habitant, alors que la situation sanitaire y est pourtant différente.

Un système de quotas que dénoncent d’ailleurs régulièrement les distributeurs, car ceux-ci leur sont alloués par rapport à leur part de marché, empêchant, de fait, les petites et moyennes structures d’évoluer.

Malgré ces obstacles, la situation n’aurait rien d’alarmant selon les professionnels et représentants de patients que nous avons interrogés. Les industriels pharmaceutiques avancent, quant à eux, que seules quatre ruptures critiques – sans aucun médicament de substitution disponible – se sont produites en Belgique, et par ricochet au Luxembourg, entre 2020 et 2022.

Des fournisseurs «pas toujours transparents»

Premier grossiste-répartiteur du Luxembourg avec 400 employés et une part de marché estimée à 60 %, le Comptoir pharmaceutique luxembourgeois atteste de ruptures fréquentes : «Les indisponibilités de certains médicaments sont croissantes et nous constatons tous les jours que de nouvelles références sont impactées, notamment des traitements anti-diabétiques ou contre la sclérose en plaques», rapporte le directeur général, Eric Maynadier. «Ce qui est nouveau, c’est que certains anti-inflammatoires sont indisponibles.»

Sur les raisons de ces trous dans ses commandes, le professionnel pointe un certain flou : «Nos fournisseurs ne sont pas toujours transparents sur les causes d’indisponibilité. Et les instances européennes semblent encore trop frileuses pour intervenir de façon concrète et solutionner ce problème de distribution des produits de santé.»

Le directeur estime aussi que la dépendance à la Belgique pour les importations pénalise le Luxembourg, soumis aux quotas instaurés par les laboratoires.

Quelles solutions?

En juillet dernier, le Conseil de la concurrence formulait ses recommandations pour contrer les ruptures de stock.

– Des obligations de production minimale dans les commandes au niveau européen;

– La fin des restrictions territoriales dans l’UE et l’harmonisation des prix;

– La prescription de substances actives, et pas du nom commercial d’un médicament, pour booster les génériques;

– Le recours aux marchés publics pour mieux négocier et sécuriser les livraisons;

– Le monitoring des ruptures de stock avec centralisation des données européennes.

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