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[Interview] : Les Hirondelles de Kaboul, une force vitale unique


La réalisatrice Eléa Gobbé-Mévellec avec quelques images du film, actuellement en salle (Photo : Alain Rischard).

Les Hirondelles de Kaboul, coproduction grand-ducale récemment primée au festival d’Angoulême, est sortie en salle. Un film magnifique, intense et sensible sur la vie à Kaboul sous les Talibans que présente sa coréalisatrice Eléa Gobbé-Mévellec.

Vous parlez des Hirondelles de Kaboul comme d’un film long et difficile à faire. Pourquoi ?
Eléa Gobbé-Mévellec :
Un film d’animation en méthode traditionnelle, dessin après dessin, c’est toujours long à fabriquer. D’autant plus celui-ci, qui est un film extrêmement exigeant dans la mesure où nous étions deux coréalisatrices qui défendions les intérêts du film et avions bien l’intention de ne rien lâcher. Zabou (NDLR : Breitman) a amené au film quelque chose qui vient de la prise de vue réelle : elle avait à cœur de reprendre le jeu des acteurs de manière juste, au plus près de la manière avec laquelle ils avaient incarné les personnages, de la manière dont on les avait filmés… puis on a repris leur jeu et leurs mouvements en animation.

C’est pour ça que – c’est étonnant pour un film d’animation – les noms des comédiens apparaissent dès le générique de début ?
Exactement. Parce que les comédiens ont vraiment incarné les différents personnages. Les personnages bougent comme les comédiens ont bougé, leur jeu est présent à travers du dessin.

Pourquoi avoir fait le choix de l’animation ? Est-ce qu’en images réelles ça n’aurait pas aussi donné un très beau film ?
Ça aurait pu, probablement. Mais ce n’était pas notre approche. On a considéré que c’était plus juste, pour parler de cette histoire-là, de se détacher du réel pour donner une distance. Elle permet au spectateur de recréer une émotion.

Comment s’est fait, ensuite, ce choix graphique, cette aquarelle qui disparaît un peu vers les angles ?
Il s’est fait naturellement. Quand j’ai effectué les recherches graphiques, j’ai simplement laissé parler le crayon pour voir ce qui venait. Il y a, d’un côté, des photos de Kaboul que j’ai utilisées pour me documenter, de l’autre, mon goût pour l’aquarelle. Ça a aussi nourri ce trait-là qui n’est pas sans rappeler les films sur lesquels j’ai travaillé en tant que dessinatrice. Kaboul se prête magnifiquement à ces aquarelles parce que c’est une ville avec un caractère physique propre : une lumière éclatante qui surexpose les couleurs et génère des ombres hyper-fortes. On a donc envie de faire respirer les images avec une petite tache de couleur qui arrive de temps en temps et devient le détail qui raconte énormément de choses, parce qu’autour on peut imaginer encore plus de trucs. L’histoire est donc d’autant plus riche. À l’inverse, si on essaye de tout dire dans une image filmée, on est obligés d’y mettre vraiment tous les éléments.

Ce qui serait beaucoup moins poétique.
Exactement. Une poésie visuelle qui va de pair avec celle du récit et des dialogues…

Il y a une phrase magnifique prononcée par Zunaira quand son partenaire lui dit : « Tu es mon soleil », elle lui répond : « Aucun soleil ne résiste à la nuit »…
C’est exactement ça.

(Photo : DR)

(Photo : DR)

Les dialogues, c’était plus le travail de Zabou. Comment s’est fait ce travail à quatre mains ?
De manière assez fluide. À partir du moment où j’avais fait cette proposition graphique, que Zabou l’a sélectionnée, ça impliquait qu’elle pensait aussi que c’était la bonne technique pour défendre cette histoire. On avait vraiment envie des mêmes choses.

Comment vous êtes-vous retrouvées au Luxembourg pour coproduire et en partie réaliser ce film ?
Les producteurs ont fait leur montage financier avec une importante contribution luxembourgeoise. Du coup, les deux tiers du film ont été faits ici. Les équipes luxembourgeoises se sont occupées de tous les décors, d’une grande partie de l’animation, du story-board, etc. Ensuite, on a assemblé le tout en France. Si on a choisi le Studio 352, c’est aussi parce qu’on le connaissait, qu’on savait que les caractères des gens étaient appropriés pour le film et que les compétences étaient là. Pascal Gérard par exemple (NDLR : cochef décors) avait déjà travaillé sur Ernest et Célestine et avait déjà embrassé la technique de l’aquarelle, pareil pour Nicolas Debray (cochef animateur) qui connaît mon univers graphique parce qu’on avait déjà travaillé sur des films ensemble. Tout ça est précieux !

Depuis que le film est prêt, il a été présenté à Cannes et a remporté le Valois de Diamant à Angoulême. Vous vous attendiez à tout ça ?
Ce n’est jamais ce qu’on attend, mais c’est toujours ce qu’on espère. Pour moi, l’objectif premier était de finir un film, ce qui est déjà un gros challenge. Mais ce Valois, c’est une sacrée récompense. C’est fabuleux parce qu’on voit que tout le boulot qu’on a fait prend sens aujourd’hui. Que les gens aiment ce film autant que nous. Au-delà de la récompense, c’est ce qu’elle représente pour le travail de toutes les équipes qui est important.

C’est un film particulier, « engagé » a dit Stéphan (NDLR : Roelants, le coproducteur luxembourgeois). Alors, au-delà de sa performance au box-office, qu’attendez-vous de sa sortie en salle ?
On essaye surtout de capter les gens dans l’émotion. Ce n’était ni la volonté de Zabou ni la mienne de vouloir véhiculer un message. On voulait avant tout transmettre ce que nous on ressent par rapport à cette histoire.

Quelle est donc cette émotion? Qu’il reste toujours un espoir ?
Bien sûr ! Que l’espoir est primordial. Que la vie est toujours là. Qu’il faut la laisser venir, nous cueillir. Ce qui me touche dans cette histoire, c’est de voir comment un personnage est réveillé en voyant la vie circuler chez une femme qui résiste, même dans les endroits où l’on croit que les gens sont les plus opprimés. C’est quelque chose qui m’a marquée à la lecture de cette histoire, en découvrant l’univers afghan et en apprenant des histoires du quotidien de Kaboul. Les gens de là-bas ont une force vitale unique.

Entretien avec Pablo Chimienti

Les Hirondelles de Kaboul, de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec. En salle à l’Utopia (Luxembourg) et à la Scala (Diekirch).

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