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Marlène Negrini (SNPGL) : «En Ville, il nous faudra verbaliser tous les mendiants»


«La présomption d’innocence est souvent oubliée quand des policiers sont accusés de supposées infractions», indique la présidente du SNPGL en évoquant l’affaire de violence policière présumée à la gare de Luxembourg. (Photo : alain rischard)

Marlène Negrini, la présidente du Syndicat national de la police grand-ducale, doute de l’applicabilité réelle de l’interdiction de mendier dans certaines rues de la capitale. Cette mesure controversée arrive alors que les premiers contacts avec le ministre Léon Gloden ont été positifs.

La police s’apprête à vivre d’importants changements avec les départs à la retraite annoncés du directeur général Philippe Schrantz et de trois autres membres du comité de direction. Le SNPGL et sa nouvelle présidente, Marlène Negrini, espèrent pouvoir continuer à construire un climat de discussion serein avec la tête de la police. La même chose vaut pour les échanges avec le ministre en charge de la Sécurité intérieure. Un important doute persiste toutefois sur la teneur des mesures que Léon Gloden compte mettre en place, dont l’interdiction de la mendicité à Luxembourg et la police locale.

Fin 2023, il a été révélé que le directeur général de la police, Philippe Schrantz, comptait faire valoir ses droits à la retraite, et ce, dès le 1er juin prochain. Trois autres membres du comité de direction comptent en faire de même. Comment interprétez-vous ces départs en cascade à la tête de votre corps ?

Marlène Negrini : Nous savions déjà que Philippe Schrantz et son adjoint, Donat Donven, comptaient partir au printemps de cette année à la retraite. René Lindenlaub (NDLR : directeur central Ressources et compétences) et Daniel Reiffers (directeur central de la police judiciaire) sont venus s’ajouter à cette liste. La seule véritable surprise est le départ annoncé de M. Reiffers, même s’il a bien atteint l’âge pour faire valoir ses droits à la retraite.

Vous ne voyez donc pas de lien avec l’arrivée du nouveau ministre de tutelle, Léon Gloden ?

Je ne peux pas parler en leur nom, mais, a priori, il n’y a aucun lien direct à établir. Lors de notre première entrevue avec le ministre Gloden, il nous a d’ailleurs assuré que ce n’est pas lui qui a provoqué ces départs. Je pense bien plus que le directeur général et les trois autres directeurs concernés ont voulu attendre que le nouveau gouvernement soit en place pour permettre au ministre de tutelle de choisir leurs successeurs.

Si l’on doit se voir confronté à une direction qui fait la sourde oreille, le moment arrivera où il faudra hausser le ton

Ces dernières années, sous l’égide de votre prédécesseur à la présidence du SNPGL, les tensions étaient importantes entre le camp syndical et la direction de la police. Ce changement de direction permettra-t-il de repartir sur une base de discussion plus équilibrée ?

Depuis la rentrée de septembre et le changement de présidence au SNPGL, nous avons déjà eu plusieurs entrevues avec la direction qui est encore en place. Ces échanges ont en partie été sollicités par la direction elle-même. Il est important de pouvoir se parler, et dans cet ordre d’idées, nous espérons bien entendu que la future direction de la police aura la même approche.

Le climat de tension qui a longtemps prévalu s’est donc déjà estompé au fil des derniers mois?

Cela dépend des thématiques qui sont à discuter. Ce que je peux dire, c’est que les dernières entrevues avec la direction se sont faites dans le calme. Mais si l’on doit se voir confronté à une direction qui fait la sourde oreille, le moment arrivera où il faudra hausser le ton.

Que retirez-vous de l’entrevue que vous avez eue le 21 décembre avec le ministre en charge de la Sécurité intérieure ?

Nous avons eu un bon échange. Le ministre était à notre écoute. Nous avons pu lui soumettre notre analyse des points inscrits dans le programme gouvernemental qui nous concernent. Le ministre Gloden a aussi posé des questions et il nous a assuré prendre en compte différents éléments que l’on a mis sur la table. Sur certains dossiers, le ministre a déjà mis en perspective d’autres réunions.

Plusieurs points inscrits dans le programme de l’exécutif conservateur-libéral laissent conclure à une politique sécuritaire plus répressive. L’interdiction de la mendicité dans certaines rues de la capitale est pour le moment l’exemple le plus visible et le plus controversé. Comment jugez-vous cette mesure ?

Il est à saluer que quelque chose soit entrepris dans ce domaine. Ce qui est, par contre, plus malheureux, c’est le texte du règlement de police communal. L’article 41 interdit toute mendicité organisée et agressive, ce qui est pleinement justifié, mais l’article 42 interdit en même temps toute autre forme de mendicité. En fin de compte, sur le territoire concerné de Luxembourg, tous les mendiants sont donc visés par cette mesure. Comment l’agent peut-il faire la différence entre une personne qui se trouve vraiment en détresse et le membre d’une bande ? Il nous faudra aussi verbaliser ceux qui ont paisiblement posé un gobelet à leurs pieds pour demander de l’argent afin de pouvoir manger et boire.

Les échanges entre ministre, commune et police sur le volet pratique n’ont eu lieu qu’après l’entrée en vigueur de cette mesure. De plus, l’instruction donnée est de poursuivre uniquement la mendicité organisée et agressive. Dans ces conditions, l’application de ce nouveau règlement est-elle possible ?

La directive donnée était de faire d’abord un travail préventif et de sensibilisation courant décembre, avant de commencer, dès le 1er janvier, à verbaliser. Celui qui n’a déjà pas de moyens se voit contraint de payer une amende. Le dernier mot appartiendra au juge. La magistrature sera certainement aussi contente d’être à l’avenir submergée par ce genre d’amendes non payées…

La mendicité organisée et agressive était déjà interdite par le règlement de police existant et par le code pénal. Comment expliquer qu’il n’a pas été possible de lutter contre ce phénomène alors que le ministre Gloden a clamé, sur la radio 100,7, très bien savoir que « tous les matins, des limousines débarquent des mendiants en plein boulevard Royal » ?

Je pense qu’il existe bien des preuves pour ce type d’infractions. Mais c’est comme dans le domaine des stupéfiants. La police ne parvient à verbaliser que les « petits », sans pouvoir mettre la main sur les têtes de ces réseaux. Ceux qui sont débarqués en Ville sont obligés de collecter une certaine somme, faute de quoi ils risquent d’être davantage maltraités. Cela peut aussi expliquer l’agressivité dont certains font preuve. Le but ne doit pas être de punir les victimes de ces bandes, mais bien ceux qui tirent les ficelles. On peine à comprendre dans quelle mesure ce nouvel article, qui vise toutes les formes de mendicité, pourra contribuer à identifier et punir les vrais responsables.

L’autre grande mesure sécuritaire annoncée par le nouveau gouvernement est la création d’une police locale. Le SNPGL se montre plutôt sceptique. Pourquoi ?

Nous ne sommes pas par principe opposés à une police locale. On ne peut pas être contre un service supplémentaire que la police peut offrir aux citoyens. Un concept plus détaillé fait néanmoins encore défaut. Il faudra que les agents sachent précisément quels seront leurs droits et devoirs. Il faudra aussi de la clarté dans la hiérarchie, surtout si le bourgmestre est doté d’un pouvoir de commandement.

Selon Marlène Negrini, «il n’y a aucun lien direct à établir» entre l’arrivée du ministre Léon Gloden et le départ annoncé du directeur général de la police, Philippe Schrantz. Photos : alain rischard

Justement, ne craignez-vous pas un mélange des genres ?

Un conflit de compétences n’est pas à exclure. Notre chef sera toujours le directeur général de la police. Une extension des pouvoirs attribués aux bourgmestres devra être validée par de nombreuses instances. Aujourd’hui, personne ne sait dire ce qui en adviendra. Lors de notre entrevue avec le ministre Gloden, le projet de police locale n’a pas été spécifiquement évoqué. Mais cela n’est pas plus mal qu’il ait affirmé qu’un projet de loi en la matière ne sera pas prêt avant 2025. L’année prochaine, une grande promotion de quelque 180 policiers va pleinement entrer en service, ce qui constituera un véritable renfort sur le terrain.

Le recrutement a été largement renforcé sous les auspices du ministre sortant Henri Kox. Les divergences de vues avec le prédécesseur de Léon Gloden furent importantes. Le fait de recruter jusqu’à 200 nouveaux agents devrait toutefois obtenir votre plein soutien ?

Je tiens à souligner que tout n’a pas été mauvais sous le mandat d’Henri Kox. Nous sommes parvenus à recruter annuellement lors des trois premières vagues de recrutement les 200 candidats recherchés. En mai 2024, un contingent supplémentaire de 160 nouvelles recrues va entamer sa formation. La capacité de l’école de police est d’ailleurs limitée à 200 futurs agents par an. J’espère que nous allons pouvoir continuer avec la même cadence, malgré le fait de toujours puiser dans le même réservoir de candidats.

Une revendication de longue date du SNPGL est le traitement égal de tous les policiers recrutés sur la base d’un diplôme de fin d’études secondaires. Espérez-vous obtenir enfin gain de cause ?

Le ministre nous a confirmé vouloir réfléchir au reclassement des agents qui se trouvent aujourd’hui encore dans une autre carrière que ceux recrutés après 2018, qui, avec un diplôme de fin d’études secondaires, bénéficient d’un traitement plus avantageux. Il compte le faire en concertation avec ses collègues en charge de la Fonction publique (NDLR : Serge Wilmes) et des Finances (Gilles Roth).

Quelle est aujourd’hui la situation dans le quartier Gare de la capitale, à un moment où les habitants ont décidé de monter de nouveau au créneau ?

La réorganisation du commissariat à la gare n’est qu’une mesure provisoire. En même temps, il n’est pas plus mauvais que de nouveaux agents débarquent dans le quartier. Ils sont moins connus des suspects habituels. Il faut néanmoins assurer que les nouveaux seront accompagnés de policiers d’expérience.

Cette réorganisation a été décidée à la suite d’un cas de violence policière présumée, où quatre policiers sont mis en cause. Ce genre d’incident, même s’il faut souligner la présomption d’innocence, ne risque-t-il pas de nuire à l’image de la police ?

Les gens parlent forcément de cette affaire, tout comme de celle des tirs mortels à Bonnevoie. Malheureusement, la présomption d’innocence est souvent oubliée quand des policiers sont accusés de supposées infractions. En tant que syndicat, nous soutenons les agents concernés, même si l’on reste en retrait pour laisser les avocats faire leur travail.

Repères

État civil. Marlène Negrini est âgée de 60 ans. Elle est célibataire et mère de trois enfants.

Carrière. Après le lycée, Marlène Negrini commence sa carrière professionnelle en novembre 1983 à la BCEE. En janvier 1986, elle décide de rejoindre l’armée.

Gendarmerie. Après son service militaire, Marlène Negrini intègre la gendarmerie en 1988. Elle est postée à Grevenmacher.

Police. Aujourd’hui, Marlène Negrini est commissaire en chef auprès de la police de la route région capitale. Elle est en charge du service avertissements taxés.

SNPGL. Début août 2023, Marlène Negrini succède à Pascal Ricquier en tant que présidente du SNPGL. Elle est engagée depuis mars 2017 dans le syndicat.

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