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[Gardiens de la nature] «Au Luxembourg non plus, nous ne sommes pas loin de manifester»


Richard Fluhé comprend la colère de ses collègues, d’autant que le bio n’est pas épargné. (Photos : julien garroy)

La ferme bio Clees, à Steinsel, a choisi d’orienter une bonne partie de sa production vers la vente directe de maraîchage. Une option qui lui permet de résister tant bien que mal.

Carte d’identité

Nom : Richard Fluhé

Âge : 61 ans

Fonction : agriculteur bio, avec son épouse Sylvie

Profil : ingénieur industriel de formation, il a rejoint son épouse Sylvie dans la ferme qu’elle tenait de ses parents.

Installée sur les hauteurs entre Steinsel et Bridel, la ferme de la famille Clees-Fluhé s’est convertie vers l’agriculture biologique autour de l’an 2000, pour une obtention du label en 2002. « Avec une soixantaine d’hectares, nous ne sommes pas une grande ferme et faire de l’agro-industrie n’était pas une option, explique Richard Fluhé qui travaille sur l’exploitation avec son épouse Sylvie Clees. D’une part, nos petits champs vallonnés ne le permettent pas et de toute façon, nous n’aimions pas les produits phytosanitaires. Nous avons donc réfléchi à la façon dont nous pouvions utiliser au mieux nos ressources et le chemin du bio s’est imposé. D’autant qu’à l’époque, davantage qu’aujourd’hui, la demande de légumes bios était croissante. »

Depuis, la Biohaff Clees n’a cessé de suivre cette voie, qui est également celle de la diversification. «En bio, on ne peut pas se fier à une seule production, ce serait bien trop risqué. Lorsque l’on a plusieurs piliers, on se maintient debout même si l’un n’est pas aussi solide qu’attendu.»

Un cheptel toute l’année dehors

À l’origine, la ferme produisait du lait. Avec la conversion, elle a réduit le nombre de têtes (une trentaine aujourd’hui) et changé de race. Des limousines, elle est passée aux angus, plus robustes et plus petites, donc moins gourmandes. «Nous n’avons pas la superficie pour engraisser de grosses vaches», souligne Richard Fluhé, dont le cheptel reste toute l’année dehors, en prairie.

L’axe principal de l’exploitation est la production et la vente de fruits et légumes, d’œufs (grâce aux 400 poules) et de poulets. La famille commercialise ce qui vient de sa ferme sur les marchés (Luxembourg, Diekirch et Ettelbruck) et ce n’est pas nouveau : les grands-parents de Sylvie s’y attelaient déjà. Pour élargir leur catalogue et répondre aux besoins de leur clientèle, Richard et Sylvie complètent leurs étals en achetant chez des fournisseurs. «La vente directe de notre maraîchage est plus intéressante pour nous que celle de la viande bovine qui passe par plusieurs intermédiaires, notamment l’engraisseur et l’abattoir, relève Richard Fluhé. Et le fait d’être en contact avec nos clients est très positif puisqu’en nous disant ce qu’ils ont envie d’acheter, ils nous permettent d’adapter rapidement notre gamme en conséquence.»

L’inflation touche tout le monde

Parcourir les marchés est donc une bonne idée, mais c’est aussi une lourde charge de travail supplémentaire. «L’essentiel de notre main-d’œuvre (deux personnes) s’y consacre et l’un de nous deux, soit ma femme soit moi, les accompagne à chaque fois.» À une époque où la consommation des produits bios est généralement en baisse, cet engagement de proximité permet de limiter la casse. «Nos ventes ne montent plus, mais au moins, elles sont stables.»

Parcourir le pays au volant des camions devient aussi de plus en plus cher. L’inflation se fait sentir partout, et particulièrement à la pompe. Les marchés ne permettent pas, non plus, les pannes de véhicule, sous peine de tirer un trait sur les rentrées d’argent. «Lorsqu’il y a un problème, on arrive à trouver quelqu’un pour le réparer, mais le coût des livraisons express de pièces détachées a littéralement explosé et comme nous n’avons pas le choix…»

Il y a plusieurs arbitrages qui se jouent en ce moment

En règle générale, le montant de toutes les livraisons est devenu un véritable problème. «Auparavant, lorsqu’elles n’étaient pas offertes, elles coûtaient deux fois moins cher qu’aujourd’hui. Même le Verband qui nous livrait gratuitement dès qu’un camion passait près de chez nous facture désormais toutes ses venues. Mais au moins, lui, il est raisonnable.» Travailler dans une ferme modeste ne permet pas toujours de commander de plus grosses quantités pour réduire le nombre de livraisons, notamment pour les produits périssables. Richard Fluhé donne l’exemple de l’alimentation des poulets, qui porte une date de péremption.

Bien sûr, l’inflation touche également les clients. «Nous souffrons tous de la hausse des prix, mais nous, nous ne pouvons pas la répercuter directement sur nos prix de vente, les gens ne comprendraient pas, souligne l’agriculteur. D’ailleurs, nous voyons bien que leur budget pour leur alimentation n’augmente pas. Ils achètent juste un peu moins chez nous pour garder leur argent pour la voiture et les vacances.»

Richard Fluhé comprend donc le mouvement de grogne des agriculteurs européens. «Je pense qu’au Luxembourg non plus, nous ne sommes pas loin de manifester… Il ne faudrait pas grand-chose de plus pour que la profession se mobilise», assure-t-il en témoignant d’un sujet d’inquiétude généralisé : les conditions de la mise en place de la future loi agraire. «Il y a plusieurs arbitrages qui se jouent en ce moment, comme la diminution du nombre de bêtes à l’hectare ou le système de répartition des primes, notamment celles pour les vergers bios. Si les décisions sont prises en notre défaveur, cela deviendra beaucoup plus compliqué pour nous. Ce qui ajoute au stress, c’est que nous ne saurons à quoi nous attendre qu’à la fin de l’année.»

En limitant sa dépendance au cours des marchés, le bio réduit les risques de crise grave, mais ne les abolit pas non plus. «Nous devons nous aussi regarder de plus en plus attentivement où l’on peut gagner du temps et de l’argent. Chez nous aussi, la situation se complexifie», admet Richard Fluhé.

Les vacances, c’est pour quand?

Pour l’essentiel de la population active, les cinq semaines minimum de congés payés sont un droit à la respiration. Pour les agriculteurs, elles sont un rêve inaccessible. «Les vacances, c’est pour les autres», assène Richard Fluhé. «Dans une exploitation laitière, on peut trouver quelqu’un pour remplacer une semaine, mais chez nous, trouver une personne qui pourrait s’occuper de toutes les tâches que nous réalisons quotidiennement, c’est pratiquement impossible. Et il y a du travail indispensable à faire quasiment tous les jours…»

On a beau aimer son métier, ne jamais pouvoir s’en défaire induit une charge psychologique extrême. D’autant plus lorsque les temps sont durs.

Un commentaire

  1. selim zedira

    il en faudrai plus comme vous

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