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[En coulisses] Dans les rues de Luxembourg avec les éboueurs


Il est tôt, il pleut, mais les éboueurs sont déjà à l’œuvre, sous la surveillance de Liss Wolff.  (Photos : dr)

Les employés du service d’hygiène de la Ville de Luxembourg, que nous avons suivis, effectuent un travail essentiel pour la collectivité, mais se sentent pourtant parfois peu respectés.

Pas de doute, malgré le peu de visibilité dû à la pluie battante et l’obscurité, nous approchons de notre destination. La lumière des phares des véhicules éclaire, telles des balises, les bandes réfléchissantes cousues sur les vêtements des silhouettes sur le trottoir. Ces dernières pressent le pas sur le long de la route d’Arlon, à Luxembourg, jusqu’au service hygiène de la Ville. C’est là que nous avons rendez-vous pour découvrir le métier d’éboueur.

Une fois la barrière de l’enceinte franchie, nous avançons dans une allée bordée de hangars. La porte de l’un d’entre eux est ouverte et laisse entrevoir les camions poubelles orange alignés en file indienne, sous la lumière blanche des néons. Direction l’accueil. Il n’est pas encore 6 h, mais l’effervescence règne dans le bureau. Derrière le comptoir, deux agents indiquent à chaque employé l’équipe à laquelle il est affecté. Les «moien!» se succèdent, l’information est donnée en quelques mots, dans une ambiance à la fois décontractée et concentrée.

Sur des écrans fixés au mur, le détail de la collecte en porte-à-porte du jour est affiché. «Pour les déchets ménagers, nous avons mis en place neuf tournées. Plus trois pour le papier, deux pour le verre, deux pour le plastique de Valorlux, deux pour les biodéchets… Et une tournée pour laver les poubelles et les conteneurs à la demande des résidents», calcule Liss Wolff, surveillante du service extérieur présente aussi à l’accueil.

Pour chaque tournée, trois hommes vêtus de bleu et orange sont mobilisés par camion – des hommes oui, car sur la cinquantaine d’employés communaux embauchés au ramassage des déchets, quatre ou cinq femmes pas plus sont recensées, dont une seule comme chauffeur. Peut-être parce que c’est un métier physique? Ce que nous confirme Joël, ripeur collectant les sacs Valorlux fourrés des déchets plastiques. «On n’en jette pas qu’un à la fois dans la benne, on peut en prendre huit d’un coup, ça fait du poids. Et il faut de l’endurance. Ça ne casse pas la première journée, mais je pense qu’au bout de 15-20 ans…», soupire-t-il.

Des consignes de tri pas toujours respectées

Même si les conditions de travail se sont améliorées avec la mécanisation de certaines actions, cela reste un métier difficile. De 6 h à 14 h, le ripeur se tient debout sur l’un des marchepieds à l’arrière du camion. Il en descend pour ramasser les sacs, les jette dans la benne. Remonte sur le marchepied, s’accroche à la poignée. Et répète la manœuvre quelques mètres plus loin. Et ce, quelles que soient les conditions météorologiques. La petite trentaine, Joël exerce ce métier depuis huit ans et demi. «Tous les jours, pendant deux semaines d’affilée, on charge chaque quartier», explique-t-il.

Nous l’avons rejoint alors qu’il s’apprêtait à monter dans le camion avec Pierre, 47 ans, le chauffeur déjà installé derrière son volant et Joé, 30 ans, le second ripeur de l’équipe.«On s’occupe de Luxembourg et on va vider le camion à Remich», indique Pierre, qui estime effectuer en moyenne entre 100 et 150 km par jour. Les deux camions dédiés au ramassage des plastiques collectent entre trois et cinq tonnes quotidiennement, précise-t-il encore. Deux camions reconnaissables à la trentaine d’autres que possède le service d’hygiène, par leur taille plus basse et leur arrière où aucune benne ne sera accrochée.

Les trois hommes dressent le même constat : les déchets à ramasser sont de plus en plus nombreux. «Souvent, les maisons sont reconverties en appartements, ça fait plus de logements, donc plus de déchets», analyse Pierre. Les statistiques publiées par le service hygiène dans son dernier rapport d’activité leur donnent raison. La Ville a comparé le total des déchets collectés sur les 20 dernières années : celui des collectes séparées est bien en augmentation : 27 243 tonnes en 2022 contre 25 208 tonnes en 2002. Par contre, en tout, près de 8 000 tonnes de moins de déchets ont été ramassées en dix ans, et ce, alors que la population de la capitale a augmenté de 65 %.

La population, d’ailleurs, respecte-t-elle bien les consignes de tri? «Non, pas trop», glisse Pierre tandis que ses deux collègues éclatent de rire et se regardent d’un air entendu. Les résidents «mettent des bouteilles pleines dans les sacs, par exemple. Ça fait un poids supplémentaire inutile et au lieu que le sac pèse 500 g, il va peser trois kilos», rapporte Joël. «Ou alors ils ne ferment pas les sachets. C’est pourtant pas compliqué de faire un nœud dans un sac», renchérit Pierre, avant que Joé n’assène dans un rire : «Pour certaines personnes, il faudrait un mode d’emploi.» Et d’expliquer : «Quand on prend le sac et qu’on veut le jeter, il s’ouvre et tout tombe. Après, bien sûr, on est obligés de ramasser…».

Un métier dangereux

La circulation n’est pas dense à cette heure-là. Au Pfaffenthal, le clignotement des gyrophares d’un camion spécialisé dans la collecte du verre se repère de loin. L’un des ripeurs, Cédric, fait rouler un conteneur vert jusqu’au ras de l’arrière du camion. Le lève-conteneur se cale sous le rebord du bac, le soulève et le bascule dans la benne avant de le redescendre et de le déposer sur le sol où Cédric le récupère et va le remettre sur le trottoir.

Il exerce ce métier depuis plus de huit ans et n’est pas mécontent de ses conditions de travail. D’autant qu’en ramassant le verre, il évite de devoir composer avec les mauvaises odeurs émanant des déchets biologiques. «J’ai attendu quatre ans avant d’avoir ce poste précis», dit-il, ajoutant qu’il apprécie surtout ses horaires : «J’habite de l’autre côté de la frontière et qu’il s’agisse du trajet du matin ou de celui de 14 h, j’évite les bouchons.»

Préfèrent-ils collecter les déchets dans certains quartiers plutôt que dans d’autres? Joël réfléchit : «On va dire qu’il y a des quartiers où il faut faire un peu plus attention. Pas au niveau criminalité, mais par exemple, dans les quartiers Gare ou Bonnevoie, il faut faire vachement attention aux seringues qui peuvent se trouver sur les sacs plastique.»

En fait, le plus pénible, hormis le fait de travailler par n’importe quel temps, ce sont les relations avec certains automobilistes. «En tant que chauffeur, on a vraiment un stress parce qu’ils ne nous respectent pas. Et moi, ce qui me préoccupe, ce sont les gens qui sont derrière. On a beau avoir la caméra arrière, les rétroviseurs…», déplore Pierre qui a été ripeur lui aussi avant de pouvoir conduire le camion.

Alors qu’ils étaient applaudis comme des héros pendant le covid, les éboueurs ont vu depuis la fin des confinements le retour des incivilités, surtout de la part des usagers de la route. À chaque jour son lot d’insultes, mais aussi des comportements dangereux. «Ils passent tout près de nous, ils nous roulent presque sur les pieds, renchérit Joé qui rapporte l’agression d’un de leur collègue il y a peu de temps : «Un gars est sorti de sa voiture et l’a chopé par le colbac.» Pas de quoi pourtant entamer la bonne humeur qui semble régner entre ces hommes : «On essaye toujours de rigoler, c’est mieux que de se tirer la tronche pendant huit heures», lâche Joël dans un sourire, avant de partir.

Des poubelles sous surveillance

Le service hygiène de la Ville compte près de 400 employés communaux et fonctionnaires. Car il en faut du monde pour gérer la propreté de l’espace public, collecter les déchets ou déneiger les rues. Parmi ce personnel, derrière son écran d’ordinateur, se tient Liss Wolff, 30 ans, surveillante service extérieur. Cette jeune femme dynamique ne reste assise à son bureau que deux heures par jour, le temps de préparer les plannings et de vérifier les présences. Elle répond aussi aux e-mails des résidents : certains ont passé une commande pour que leur conteneur soit lavé ou d’autres se plaignent que leur poubelle n’ait pas été ramassée. Le reste du temps, elle est dans sa voiture : «Nous sommes responsables de la manière dont nos éboueurs effectuent leur travail.» Elle se rend aussi parfois directement chez les clients qui ont déposé des réclamations. Liss Wolff parle avec enthousiasme de son travail : «Quand j’ai passé le concours il y a neuf ans, j’ai commencé dans un autre service, mais mon rêve, c’était d’être ici.» Gérer une centaine de personnes, le contact avec la clientèle, tout lui plaît. Elle se fait même une joie de retrouver les propriétaires d’ordures abandonnées. Et être une femme parmi autant d’hommes, ça n’est pas trop compliqué? Son sourire s’élargit. «Non, pas du tout», assure-t-elle.