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[En coulisses] Studio 352, chez les héros de l’animation


Chaque animateur peut travailler sur deux ou trois projets à la fois et jongle avec les différents styles de dessin. (Photos : julien garroy)

Fort de deux productions fraîchement nommées aux César, le plus célèbre studio du Luxembourg nous ouvre ses portes pour une rencontre avec ses animateurs.

Depuis la route, impossible d’imaginer que dans l’un des bâtiments coincés au fond de la zone industrielle de Contern, entre un magasin de pneus et un centre de CrossFit, se trouve une véritable fabrique à rêves. Une fois à l’intérieur de cet immense cube blanc, il suffit de suivre les affiches de film le long des couloirs pour se laisser aspirer par les univers développés par ceux qui y travaillent : les artisans des célèbres Studio 352 et Mélusine Productions, sociétés sœurs spécialisées dans le cinéma d’animation.

Comme des Petits Poucets remontant doucement le chemin vers l’imaginaire, nous nous laissons engloutir par la profondeur du regard de l’héroïne des Hirondelles de Kaboul, on ressent l’effort extrême et le froid glacial dans la vapeur qui s’échappe de la bouche de l’alpiniste du Sommet des dieux et les loups qui fendent le poster de Wolfwalkers (Le Peuple loup) nous embarquent dans leur échappée.  

Humilité et ambitions

Parmi les nombreux cadres, on distingue deux personnages qui ont marqué notre mémoire d’enfant et contribué à la légende du studio : Ernest et Célestine. «C’est le premier long métrage qui a connu un certain succès et qui nous a apporté plusieurs prix», commente Stéphan Roelants, l’homme à la tête du Studio 352 et de Mélusine Productions.

«Lors de sa sortie en 2010, le film a bien marché. C’était un choix stratégique de le faire, je voulais réorienter le studio et mettre en avant la qualité de l’animation.» Douze ans plus tard, les deux héros refont parler d’eux. Le 25 janvier, la liste des nommés pour la 48ecérémonie des César est annoncée.

Parmi eux, dans la catégorie «meilleur film d’animation», deux coproductions luxembourgeoises : Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux? et… Ernest et Célestine : Le Voyage en Charabie. Partagé entre la France et le Grand-Duché, ce dernier a été, en bonne partie, réalisée par les équipes basées à Contern.

«Après le succès du premier volet, nous avons subi une forte pression des distributeurs et des chaînes de télévision pour en faire un deuxième. Personnellement, je n’étais pas chaud. Je n’aime pas faire deux fois la même chose», avoue Stéphan Roelants. «Et puis, le scénario m’a plu et nous en sommes aujourd’hui (NDLR : fin janvier) à 500 000 entrées», sourit-il.

Ces prix récompensent le travail de l’équipe, sans elle, il n’y aurait pas grand-chose

Un nouveau succès qui vient s’ajouter au palmarès déjà bien fourni de Studio 352 et Mélusine Productions. Depuis 1997, année de création de l’entreprise, on ne dénombre pas moins de quatre nominations aux prestigieux Oscars (Wolfwalkers, Ernest et Célestine, Song of the Sea (Le Chant de la mer) et The Breadwinner (Parvana, une enfance en Afghanistan)) et une présence très régulière dans les cérémonies de remise de prix ou festivals majeurs tels que Cannes, Sundance, les César, les Annie Awards ou encore les European Film Awards.

«Les récompenses, c’est important, car elles permettent de faire des films de plus en plus ambitieux.» En une phrase, le directeur général résume sobrement l’un des pans de la philosophie du studio luxembourgeois : aller de l’avant, mais aussi mettre en lumière les artisans de l’animation. «Ces prix récompensent le travail de l’équipe, sans elle, il n’y aurait pas grand-chose», appuie Stéphan Roelants.

«Il est important d’amener du contenu intelligent, car je pense que le public n’est pas idiot», explique Stéphan Roelants, le directeur général de Studio 352.

Sur les bureaux des artisans

Dans le bâtiment, la réussite de l’entreprise se veut très discrète. Les titres des films suffisent. Mais davantage encore, ce sont les réalisations graphiques qui ébranlent les visiteurs. La véritable gloire du Studio 352 et de Mélusine Productions se trouve au bout des doigts de ceux qui donnent vie aux histoires.

La quarantaine de petites mains empreintes de talent et de minutie qui composent le studio grand-ducal s’active dans plusieurs alvéoles plus ou moins spacieuses réparties le long d’un couloir. Animation 2D et 3D, décors couleur, colorisation, compositing… s’affichent sur les portes.

Guidés par Marie-Lou, nous passons en revue l’équipe chargée de la gestion de production. Ils sont quatre à gérer l’articulation des projets, depuis leur genèse jusqu’à leur archivage. «Nous créons les dossiers, échangeons avec les réalisateurs et avec les autres studios, faisons les démarches de subventions, partageons les tâches, suivons l’avancement des projets au quotidien», décrit Fabien, qui travaille depuis seize ans au sein de l’entreprise luxembourgeoise. «Et nous allons jusqu’au bout de la fabrication en faisant en sorte de laisser une trace de chaque production au Centre national de l’audiovisuel.»

Lorsqu’un projet est lancé, celui-ci peut rester entre les mains des équipes pendant six ans, voire plus, avant d’être projeté dans les salles de cinéma. Devant une étagère où s’accumulent des années de documents, il nous confie sa fierté de participer au développement de ces œuvres. «Ici, il y a une vraie entente en termes de philosophie. Si l’on prend des films comme Wolfwalkers ou The Breadwinner, nous pouvons tous dire que nous sommes ressortis enrichis de ces expériences.»

Parfois, j’ai tendance à dessiner les arbres comme dans le film précédent

Quelques mètres plus loin, dans le bureau consacré aux décors, nous rencontrons Pascal. Il est présent ici depuis près de 25 ans, c’est-à-dire depuis la naissance du studio. Tous les projets sont passés sous les poils de son pinceau et par la souris de son écran. «C’est un petit exercice de jongler d’un projet à un autre. Par exemple, dans mon métier, la végétation dans les décors occupe une place importante. Parfois, j’ai tendance à dessiner les arbres comme dans le film précédent», s’amuse-t-il.

Sur son bureau s’accumulent de grandes feuilles sur lesquelles sont dessinés de magnifiques décors peints à l’aquarelle. Ces dessins bourrés de détails apparaissent dans Ernest et Célestine : Le Voyage en Charabie. On peut voir ici et là les annotations apposées par les réalisateurs afin de corriger certains éléments. «Parfois, le rendu des couleurs change lorsque l’on numérise le dessin», explique Pascal en pointant le bleu d’une vitre.

«Pour travailler, je commence toujours par un dessin au trait ou à la plume avant d’attaquer la colorisation. Ensuite, je numérise.» Contrairement à ce qui a pu être observé dans d’autres secteurs, Pascal n’a pas subi le passage au digital. «Je suis venu au dessin animé par le numérique», annonce-t-il avant de désigner son écran sur lequel s’affiche un décor aux couleurs orangées.

«Ici, moins il y a d’encre, plus la machine va prendre des initiatives. Il faut savoir utiliser les accidents créés par le grain du papier pour faire un rendu chaleureux avec l’ordinateur.»

Sur le bureau de Pascal s’accumulent les planches réalisées à l’aquarelle. Elles sont ensuite retravaillées à l’ordinateur.

«Une sorte de foyer d’accueil»

L’une des dernières arrivées au studio s’appelle Dina. Après avoir étudié à Nice, puis à Annecy, la jeune femme a bien accroché avec la philosophie de l’entreprise luxembourgeoise lors d’un speed recruiting. Spécialiste de l’animation 3D, elle s’attaque à Slocum, l’un des prochains longs métrages coproduits par Studio 352 et Mélusine Productions.

Le film met en parallèle l’histoire du premier marin à avoir réalisé le tour du monde en solitaire à la fin du XIXᵉ siècle avec les aventures d’un garçon qui construit un petit bateau dans son jardin de banlieue au bord de la Marne en 1949. «Tout ce qui bouge va être en 3D dans ce film», nous explique-t-elle alors qu’elle décortique les mouvements du jeune héros lorsqu’il descend discrètement un escalier.

«Dans cette animation, je dois jouer avec le positionnement et le timing, c’est parfois un peu compliqué. L’œil a tellement l’habitude de voir des personnes marcher que la moindre erreur se remarque immédiatement sur ce type d’animation», avoue-t-elle en souriant.

Pendant deux heures, nous passons ainsi de bureau en bureau, avec un constant émerveillement devant les écrans ou les tables de travail. Dans une pièce, on modélise des «props», c’est-à-dire les objets ou accessoires fixes placés sur la scène pour aider à planter le décor. Dans une autre, des animatrices font bouger les chapeaux de petits personnages colorés, ou encore un animateur nous montre le piolet et la corde qu’il a utilisés comme modèles pour le Sommet des dieux.

Et dans chaque alvéole se mélangent les générations. «Quand j’ai fait cette société, je souhaitais créer une synergie entre les artistes, déclare Stéphan Roelants. Je voulais fonder une sorte de foyer d’accueil où les anciens prendraient les nouveaux sous leurs ailes.»

Trois films à voir ou à revoir

The Breadwinner

«Avec ce film, on a réussi à placer le curseur entre un sujet important, une réflexion essentielle et une poésie à la fois dans l’écriture et dans le graphisme. L’équilibre est parfait», expliquait Stéphan Roelants lors d’une interview en 2018. Le long métrage réalisé par l’Irlandaise Nora Twomey raconte l’histoire d’une petite fille, Parvana, dans le Kaboul de la domination talibane.

Lettrée (son père est professeur), elle est condamnée à la famine, tout comme sa grande sœur et sa mère, quand le père est envoyé en prison par la police politique. Pour subvenir aux besoins des siens, Parvana se coupe les cheveux, s’habille en garçon et part à la recherche de petits boulots. Un film aussi poignant que beau.

Le Sommet des dieux

Le Sommet des dieux, du Français Patrick Imbert, réussit le pari fou d’adapter le manga de Jiro Taniguchi, une œuvre-fleuve parue en cinq tomes entre 2000 et 2003. La montagne est le personnage principal du film. Elle exerce une force irrésistible sur les personnages, une force qui leur met dans la tête l’idée qu’ils peuvent s’élever au-dessus de leur simple condition d’humains.

C’est le cas de Habu Joji, alpiniste surdoué et désormais retiré de la grimpette, après une carrière brillante, mais marquée par des échecs et des morts. Habu est repéré un soir par Fukamachi, un photographe-reporter spécialisé dans les clichés de montagnes, qui le croit en possession d’un objet rare : l’appareil photo de George Mallory et Andrew Irvine.

Cet appareil pourrait prouver que les deux alpinistes, morts en 1924 pendant leur ascension de l’Everest, sont bel et bien arrivés au sommet, dissipant ainsi le flou autour de leur disparition et remettant en cause, par la même occasion, la véritable date de la première arrivée d’un homme sur le toit du monde. Pour mettre la main sur Habu, Fukamachi va se plonger dans son passé et découvrir une tout autre histoire, qui pourrait bien être celle qu’il recherche au fond de lui.

Wolfwalkers

Beaucoup plus ambitieux, dans ses graphismes comme dans ses thèmes, que les deux précédents films du réalisateur irlandais Tomm Moore, Wolfwalkers s’inspire de la légende des loups-garous d’Ossory, un ancien royaume de l’Irlande médiévale, devenu aujourd’hui le comté de Kilkenny.

Le long métrage raconte l’histoire de Robyn Goodfellowe, une jeune fille anglaise qui vit en Irlande avec son père après la reconquête de l’île par l’armée d’Oliver Cromwell, à la fin du XVIIe siècle. Quand le village est menacé par des loups, le seigneur du lieu, Lord Protector, ordonne à Bill Goodfellowe de les tuer jusqu’au dernier.

Mais sa fille se lie d’amitié avec Mebh, une «wolfwalker», qui se transforme en loup la nuit venue… Plus qu’un film sur une nature et une faune menacées, Wolfwalkers évoque des sujets historiques et sociaux qui résonnent encore de nos jours.

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