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Biodiversité : «L’argent public ne pourra pas tout», dit Serge Wilmes


Le ministre de l’Environnement représente le Luxembourg à la Convention des Nations unies sur la biodiversité écologique (COP 16). (Photo archives Editpress/Fabrizio Pizzolante)

Le ministre de l’Environnement, Serge Wilmes, se trouve en ce moment à Cali pour la 16e COP sur la biodiversité écologique. Il y promeut la finance verte à la luxembourgeoise.

Ce grand rendez-vous censé rassembler 196 pays a lieu tous les ans. Après Montréal (Canada) en 2022, c’est donc au tour de Cali (Colombie) d’accueillir les délégations qui vont chercher à mettre en place le cadre de la protection des espèces animales et végétales sur le globe.

Serge Wilmes, arrivé jeudi, repart aujourd’hui, mais la délégation luxembourgeoise restera sur place jusqu’à vendredi, date de clôture de la 16e Convention des Nations unies sur la biodiversité écologique (COP 16).

Les négociations sont menées au nom de l’Union européenne par la présidence hongroise, via son ministre de l’Environnement, ainsi que par le Commissaire européen en charge de ce dossier. Le mandat de négociations avait été attribué lors du conseil Environnement qui avait eu lieu le 14 octobre dernier à Luxembourg.

Le ministre a confirmé la volonté du Grand-Duché d’utiliser ses compétences en termes de médiation et de négociation en vue d’obtenir les fonds qui permettront de lancer des programmes en faveur de la biodiversité. «Nous sommes notamment très actifs dans le Global Biodiversity Framework Fund (GBFF), un mécanisme doté d’un fonds d’investissement dans lequel nous placerons 7 millions d’euros d’ici 2030», explique-t-il.

Il relève également les initiatives prises en collaboration avec le secteur privé ou la Banque européenne d’investissement (BEI) pour convaincre les investisseurs à s’intéresser au financement de la biodiversité grâce au principe du «derisking».

«Pour pallier la frilosité des investisseurs, nous prenons en charge le paiement des premières tranches, souligne-t-il. Cette implication apporte le niveau de confiance nécessaire pour convaincre les investisseurs privés. Souvent, ils ne comprennent pas ces projets environnementaux, mais la présence d’États ou d’institutions comme la BEI fait la différence.»

Des incubateurs de projets

Dans le même ordre d’idées, le Luxembourg met en place des incubateurs de projets avec d’autres partenaires. «Notre soutien permet à des programmes d’arriver à la maturité suffisante pour attirer à leur tour des investisseurs», avance Serge Wilmes.

Le ministre apprécie cette association entre la science et le capital, «nous essayons de combler le fossé qui se trouve parfois entre les deux». Il insiste également sur les «cobénéfices» attendus en plus du renforcement de la protection de la nature, soit le retour sur investissement pour ceux qui ont placé de l’argent et la mise en avant des populations locales.

Le Luxembourg est ainsi impliqué depuis plusieurs années dans le Global Landscape Forum (GLF), basé à Nairobi (Kenya), dont le rôle est justement de mettre en réseau les acteurs locaux et globaux. Comme elle l’avait déjà fait en 2023 à Montréal, la plateforme Finance for Nature Luxembourg-GLF a organisé vendredi un symposium qui a rassemblé une centaine de personnes sur place et plusieurs milliers sur internet, selon Serge Wilmes. La contribution du pays pour le GLF se monte à 1,58 million d’euros.

«Grâce à sa place financière, le Luxembourg a les compétences pour attirer les capitaux et nous tenons à porter ce rôle de médiateur et de facilitateur. Les ressources financières, c’est ce qu’il manque pour aller plus loin dans la sauvegarde de la biodiversité. Or l’argent public ne pourra pas tout : nous avons besoin que les investisseurs privés s’engagent. Nous sommes précurseurs sur ces questions et grâce à ces initiatives, nous sommes très bien considérés ici», apprécie-t-il.

À Cali, le ministre de l’Environnement ressent «une belle dynamique», mais aussi de gros défis à relever. «Les pays en voie de développement ne veulent plus du GBFF, qu’ils perçoivent comme lourd et inflexible. Ils aimeraient un mécanisme plus allégé et plus efficace. Mais nous, Européens, nous ne voulons pas l’abandonner. Il s’agit d’une institution importante qui a été créée avant même le sommet de Rio en 1992. Il faut sans doute la réformer, revoir sa gouvernance, mais pas y renoncer.»

Serge Wilmes : «Nous sommes trop souvent sur un constat alarmiste»

La sauvegarde de la biodiversité ne regarde pas que les pays en voie de développement, le sujet se pose également au Luxembourg, où elle décline depuis 40 ans. Selon l’Observatoire de l’environnement naturel, deux tiers des habitats naturels sont dans un état de conservation «insuffisant» ou «médiocre», 80 % des espèces de faune et flore sauvages se trouvent dans un état de conservation précaire.

La population de plus d’un quart des espèces d’oiseaux, dont certaines très communes il y a 20 ans (comme l’alouette des champs), a diminué spectaculairement ces dernières années ou est déjà éteinte (le râle des genêts, récemment).

Les efforts portés par le gouvernement sont-ils suffisants pour protéger la biodiversité au Luxembourg ?

Serge Wilmes : Nous avons une stratégie claire et nous faisons beaucoup d’efforts, par exemple pour restaurer les cours d’eau. Nous n’avons pas atteint nos objectifs, mais il y a des choses qui se font. Je trouve que nous sommes trop souvent sur un constat alarmiste.

Mais les études montrent que la nature n’est pas en bon état…

C’est une face de la réalité. Je vois aussi que des communes, des particuliers ou des entreprises restaurent des étangs, des tourbières ou verdissent des bâtiments. Il y a beaucoup d’actions qui sont faites, mais elles ne sont pas encore assez valorisées (NDLR : Le Quotidien y consacre une page tous les samedis). Le plus important, c’est la confiance. Je suis un optimiste réaliste. Il faut encourager les citoyens pour qu’ils avancent et il faut le faire parce que restaurer la biodiversité est faisable, même si ce sera dur. Il y a un nouvel espoir. Des oiseaux disparus reviennent parce que nous réalisons des efforts en ce sens. Ça ne sert à rien d’être systématiquement négatif.

La rétrogradation de la protection du loup, que le Luxembourg a votée, n’est-elle pas un mauvais signal ?

Mais si nous en sommes arrivés là, c’est parce que le loup, qui avait quasiment disparu, est de nouveau présent en Europe : c’est une évolution positive! Et nous ne voulons pas nous en débarrasser, il n’y aura de toute façon jamais de hordes au Luxembourg. Nous avons juste apporté notre soutien à une vague de solidarité pour des pays qui ont des problèmes avec les loups afin qu’ils puissent en tuer davantage. Mais cela ne nous concerne pas vraiment.

Il n’y a pourtant qu’environ 22 000 loups en Europe et ils ne sont pas totalement sauvés…

Il n’existe pas de monitoring unifié en Europe et donc pas de statistiques fiables sur l’état de leur population. Dans certaines régions, leur forte présence provoque des conflits avec les habitants, notamment les agriculteurs (NDLR : selon la Commission européenne, les loups sont responsables de 0,06 % de la mortalité des ovins en Europe. Ils n’ont jamais causé la mort d’une personne lors des 40 dernières années). Certains pays, comme la Grèce ou l’Espagne, voulaient depuis longtemps que le loup soit moins protégé. Je crois qu’il faudrait revoir ces mécanismes pour qu’ils soient plus flexibles. Car le loup reste protégé, quoi qu’il arrive.

La biodiversité en sale état

Elle est ce maillage du vivant (sur terre, en mer ou dans les airs) qui regroupe tous les organismes (dont l’Homme). Aujourd’hui, la biodiversité est en chute libre à peu près partout sur la planète. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui recense son état et dresse la liste rouge mondiale des espèces menacées, constatait en 2021 que 37 480 espèces étaient menacées (41 % des amphibiens, 14 % des oiseaux, 26 % des mammifères, 34 % des conifères…).

Le rapport Planète Vivante du WWF, publié le 9 octobre dernier, alertait du fait que 73 % des populations de vertébrés sauvages avaient disparu en l’espace de 50 ans, ce «qui nous rapproche aujourd’hui dangereusement de points de bascule écologiques, qui auront des effets dévastateurs sur les populations et la nature dans le monde entier».

L’Homme est le responsable de cet effondrement. En cause, l’urbanisation, l’agriculture intensive, la surpêche, la déforestation, les pollutions ou le changement climatique.