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Le théâtre de Marioupol renaît à Kiev


Anatoly Levtchenko aurait dû présenter sa dernière pièce à Marioupol. Mais plus de deux ans après le début de la guerre, c’est à Kiev qu’a lieu la première symbolique de sa comédie sombre, Lumière au bout du tunnel.

Dans les jours qui suivirent l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février 2022, la ville de Marioupol a été la cible d’un assaut brutal des forces russes, laissant cette cité portuaire de la mer d’Azov en ruine et faisant des milliers, voire des dizaines de milliers de morts. Le théâtre dramatique de la ville est devenu tristement célèbre en mars 2022, lorsqu’il a été bombardé par la Russie, malgré le mot «enfants» peint sur l’esplanade attenante. Et malgré la présence dans ses sous-sols de civils – des centaines, selon Kiev –, faisant un nombre indéterminé de morts.

Anatoly Levtchenko, qui avait dirigé cette institution jusqu’en 2020 avant de fonder sa propre troupe, Terra Incognita, n’a pas pu y présenter sa pièce Lumière au bout du tunnel, prévue sur une autre scène de la ville. À la place, il a été incarcéré pendant dix mois dans une prison sous contrôle des Russes, avant d’être libéré et de finalement fuir Marioupol occupée, avec son épouse et son fils. Plus de deux ans après le début de la guerre, c’est à Kiev que le metteur en scène revient, relançant sa troupe, avec une première hautement symbolique. «Ce spectacle est, pour ainsi dire, pour notre famille, notre peuple», explique Anatoly Levtchenko depuis la scène du centre Les Kurbas de Kiev, devant un public composé largement de réfugiés de Marioupol.

Ce spectacle est, pour ainsi dire, pour notre famille, notre peuple

Pour cette pièce, le dramaturge de 54 ans à la barbe grise a recruté des étudiants d’art dramatique de la ville martyre. «Nous avons gagné un petit subside lors d’un appel à propositions, c’était assez pour payer des acteurs et louer une salle de répétition à Kiev», raconte le metteur en scène. Dans la salle de spectacle, comble, les organisateurs ont serré au maximum les sièges pour accueillir le plus grand nombre. Dans l’audience, Khrystyna Borissova, 40 ans, est pleine d’émotion d’être témoin de la résurrection du théâtre de Marioupol. «C’est comme si nous avions perdu quelque chose là-bas, mais que ça a été transféré ici», dit-elle. «Ça me donne la chair de poule.»

Levtchenko raconte ses souvenirs de prison, une incarcération pour des accusations de «terrorisme», «extrémisme» et «incitation à la haine». Il dit avoir été interrogé sur ces mises en scène. «C’était drôle. Ils me disaient : « Raconte ce qu’est ta pièce! » Alors, je passais trois heures à leur dire qui entrait, sortait, qui disait quoi», raconte-t-il, se souvenant de ses interrogatoires.

Beaucoup de ses collègues sont désormais à Kiev ou à l’étranger. D’autres ont monté dans l’ouest de l’Ukraine un spectacle appelé Drame de Marioupol. Mais certains sont restés dans la ville occupée. «Ils présentent des pièces pour les autorités russes racontant des histoires d’horreur sur les nationalistes ukrainiens qui prétendument ne les laissaient pas vivre en paix», regrette Anatoly Levtchenko.

Le spectacle présenté à Kiev, une comédie sombre de l’auteure ukrainienne Neda Nejdana, raconte l’histoire de deux femmes emprisonnées en sous-sol dans une morgue, dans un mélange d’humour noir et d’absurde. Mais un message plus sérieux traverse la pièce : la liberté. Les héroïnes s’interrogent sur la raison de leur incarcération. Sont-elles au purgatoire? Sont-elles devenues folles? Y a-t-il eu une attaque nucléaire?  Y a-t-il eu un soulèvement de gauche ou de droite? Finalement, elles réalisent qu’elles sont libres de partir à condition d’en faire le choix.

«C’est un honneur pour moi que la renaissance de ce théâtre se fasse avec ma pièce», confie la dramaturge, Neda Nejdana, présente à la première. «Grâce à Anatoly Levtchenko, Marioupol est devenue pour moi un lieu si proche, presque une maison», dit-elle, l’homme de théâtre ayant mis en scène plusieurs de ses pièces par le passé. «Malheureusement, cette pièce est pertinente, la présenter est pertinent, mais moi, je voudrais qu’il y ait une lumière au bout du tunnel.»

Pour elle, la morgue dans laquelle sont piégées ses héroïnes représente la Russie impérialiste. Pour Anatoly Levtchenko, avec la guerre, nombre d’Ukrainiens ont dû faire le choix de rester prisonniers de la morgue ou partir. «C’est pour ça que (la pièce) est d’actualité. Plus encore maintenant.»

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