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[Gardiens de la nature] Avec la Fësch Haff, le lisier a de l’avenir


Manuel Arrillaga a trouvé la solution pour transformer le lisier de bovins et l’utiliser dans un système d’aquaponie. (photo Erwan Nonet)

Toujours à la pointe de l’innovation, la Fësch Haff vient de créer un tout nouveau procédé pour transformer le lisier de bovins en un engrais totalement naturel très facile d’utilisation.

Le 20 septembre dernier, nous avions déjà rencontré Manuel Arrillaga, le créateur de la Fësch Haff à Greiveldange. L’Américain installé au Grand-Duché déborde d’idées et développe une grande ambition : produire des fruits et légumes sains, tout en économisant les ressources en eau et en énergie. Une problématique dont on sent bien que la pertinence n’ira qu’en s’accroissant.

Dans la serre de la Fësch Haff, montée au milieu du village mosellan, il y avait des salades (entre 300 et 400 chaque semaine), des tomates et tout un tas d’autres légumes (poivrons, piments, courgettes, aubergines…) et de fruits (fraises, fruits de la passion, papayes, bananes…). L’aspect visuel des plantations ne mentait pas : elles respiraient la santé.

Le secret de l’opération se tenait dans les baraques à côté. Si ce système autosuffisant fonctionnait, c’était grâce aux truites et aux koïs qui batifolaient dans deux bassins. Manuel Arrillaga et son équipe avaient créé un procédé au sein duquel l’ammonium est excrété par les poissons, puis transformé par les bactéries en nitrates, que les plantes apprécient. Toute l’eau qui circulait en circuit fermé venait de la pluie et l’essentiel de l’électricité de panneaux solaires.

Les agriculteurs ont des millions de litres de lisier dont ils ne savent que faire

Cette année, la Fësch Haff a changé. Les grands bassins où les salades flottaient dans cette eau très nutritive ont disparu. À la place, on trouve deux installations rigoureusement identiques au premier regard. Sauf que, «à gauche, vous avez un système d’hydroponie classique, où les plantes plongent leurs racines dans une eau enrichie avec des engrais chimiques, à l’image des serres belges ou néerlandaises par exemple, explique Manuel. À droite, l’eau qui circule est reliée aux bassins des poissons, comme l’année dernière».

À vrai dire, cette expérimentation qui permet de comparer les deux solutions, l’entrepreneur scientifique aurait pu s’en passer. L’hydroponie ne l’intéresse que très modérément. Mais elle a pour but de valider le modèle qu’il a créé avec la Fësch Haff aux yeux des autorités, qui, et cela peut se comprendre, on besoin de preuves tangibles de l’intérêt du procédé pour délivrer autorisations et subventions. «Au départ, j’étais un peu stressé, sourit Manuel. Je craignais que l’hydroponie (NDLR : ajouts d’engrais) soit plus efficaces que l’aquaponie (NDLR : avec les poissons) !» Il est rassuré. Les plants de tomates grandissent plus vite dans le circuit relié aux poissons, tandis que les feuilles des fraisiers qui baignent dans le modèle plus industriel, brunes sur leur pourtour, montrent des carences beaucoup bien plus importantes dans l’autre système.

De très grandes ambitions

La grande nouveauté ne se trouve donc pas dans cette serre, mais un peu plus loin, à Gostingen. Au Grand-Duché, l’utilisation des déjections de poissons pour fertiliser l’eau dans laquelle poussent fruits et légumes ne fait pas l’unanimité. «Lorsque l’on crée quelque chose de nouveau, il faut convaincre pour renverser les a priori», comprend Manuel Arrillaga. Alors il a une nouvelle idée, pourquoi ne pas changer d’animal et transformer plutôt les excréments de bovins, qui embarrassent les nombreux éleveurs du pays.

«Les agriculteurs ont des millions de litres de lisier dont ils ne savent que faire.» Jamais à court de ressources, il parvient à ce que la Fësch Haff intègre un projet européen Life au sein duquel il peut tester son idée. Ses partenaires sont le List (Luxembourg Institute of Science and Technology, avec Maria Rita Palattella, Souhaima Stiri et Tian Yang), l’Universität der Bundeswehr de Munich (Emmanuel Benjamin) et le University College de Dublin (Eoin Syron). Le Fonds national de la recherche participe également au financement du volet luxembourgeois.

Cette fois, c’est donc à Gostingen, dans la ferme Weirich, que le nouveau projet est lancé avec le soutien dans sa première phase de l’Administration des services techniques de l’agriculture et du lycée technique agricole. De façon modeste pour l’instant, mais avec de grandes ambitions. «La technologie est très similaire à celle des poissons», se félicite Manuel. À la place des bassins où nagent les truites, on trouve un bac où le fumier bouillonne sous l’action de bactéries et d’oxygène. Étonnamment, l’odeur n’a rien à voir avec celle d’une étable, on ne sent même pratiquement rien. Pour éviter la présence de pathogènes ou de résidus de médicaments (les antibiotiques, notamment), le fertilisant passe sous une lampe à UV et reçoit une dose d’ozone.

Si le procédé est un plus long qu’avec les poissons (3 semaines contre 1, pour l’instant), les premières analyses valident son efficacité. Les fertilisants obtenus par le lisier ou les déjections de poissons contiennent autant d’azote, de potassium, de phosphore, de magnésium, de calcium et de fer. Les premières salades alimentées grâce au purin transformé poussent d’ailleurs à Gostingen et elles se portent très bien.

Il reste donc à imaginer la suite. «Nous nous posons la question de savoir ce qui est le plus intelligent : installer plusieurs petites structures près des fermes ou en construire une plus grande, ce qui nous permettrait d’en produire davantage et d’en vendre aux agriculteurs comme aux particuliers qui aimeraient fertiliser leurs jardins avec un engrais absolument naturel.»

La Fësch Haff, en tout cas, voit grand. Elle a déjà trouvé un terrain de 1,3 hectare où elle souhaite installer deux serres de 1000 hectares dans un premier temps, et trois autres ensuite, pour utiliser son invention qui est une première mondiale. Pour mener à bien ce projet, dont le budget se compte en millions d’euros, la Fësch Haff cherche des investisseurs. Avec son enthousiasme et son talent, Manuel Arrillaga pourrait bien finir par les trouver.

Quelle place pour la technologie?

La simplicité (relative) d’un procédé naturel qui n’utilise aucun produit chimique requiert toutefois un savoir-faire complexe et la mise en place de technologies avancées. Notamment parce qu’un des objectifs de Manuel Arrillaga est de limiter au maximum la dépense d’énergie. La Fësch Haff fait ainsi partie du Green Era Hub, un projet de recherche européen, qui œuvre en ce sens. «Nous sommes en train de créer un clone numérique de la ferme qui nous permettra de visualiser tous les effets en cas de variations de valeurs, comme la chaleur, le taux d’humidité…», explique-t-il.

Si la serre de Greiveldange est déjà entièrement connectée et réactive (lorsque la température, les fenêtres s’ouvrent, par exemple), le but est qu’elle devienne proactive. C’est-à-dire qu’elle anticipe les différents changements et s’y adapte plus tôt, de façon à limiter sa consommation d’énergie.

Carte d’identité

Nom : Manuel Arrillaga

Age : 31 ans

Fonction : Fondateur de la Fësch Haff

Profil : Après avoir étudié le génie biomédical dans l’Ohio, il se reconvertit dans la recherche sur les matériaux à l’université d’Augsburg, en Allemagne. C’est là qu’il lance ses premières expériences sur l’aquaponie avec son futur associé, le Luxembourgeois Daryl Fuchs.

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