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SOS Faim : «Migrer, c’était une nécessité de survie» pour les Nigériens


Pour Marine Lefebvre, de SOS Faim, à long terme, les mesures répressives pour contenir les migrations ne peuvent pas être favorables à l'UE. (illustration AFP)

Pour SOS Faim, les mesures de gestion des flux migratoires, soutenues par l’UE, ont des conséquences dramatiques tant pour les migrants que pour les populations locales dans le nord du Niger.

Porte d’entrée entre l’Afrique de l’Ouest et le Sahara, le Niger est depuis tout temps un carrefour migratoire. « Dans ces régions très arides où la vie n’est pas tenable douze mois sur douze, nous ne sommes pas dans un contexte de sédentarité, mais de transhumance. De plus, les frontières telles que nous nous les connaissons existaient peu et les gens avaient pour habitude de se déplacer à l’intérieur de cette vaste zone pour chercher du travail, notamment jusqu’en Algérie ou en Libye. C’était une nécessité de survie », expose Marine Lefebvre, responsable du service communication de SOS Faim Luxembourg qui a noué depuis 2016 un partenariat avec une ONG locale de défense des droits humains, Alternative espaces citoyens.

Un droit à la libre circulation complètement bouleversé aujourd’hui et dont les conséquences sont dramatiques, principalement du fait de l’Europe et sa politique d’externalisation des frontières, qui octroie des moyens au Niger pour gérer les flux migratoires et éviter que ses ressortissants ne finissent par franchir la Méditerranée. À la suite du sommet de La Valette sur la migration de 2015 qui a réuni dans la capitale maltaise les dirigeants de l’UE et les chefs d’État africains, l’UE, sous couvert d’aide au développement, a en effet surtout souhaité imposer dans ces pays sa politique sécuritaire.

«Détentions arbitraires et de tortures»

Résultat : le Niger a adopté une loi (la loi 2015-036) relative au trafic illicite des migrants qui se traduit dans la pratique par l’application de mesures répressives à leur encontre, comme l’explique Marine Lefebvre : « Les migrants et ceux qui les transportent sont criminalisés. Or c’était un vrai métier de transporter les gens en camion. Donc, non seulement, certains perdent leur gagne-pain, mais ceux qui veulent quand même traverser la frontière évitent Agadez, la porte du Sahara, et empruntent des routes plus dangereuses. Ils passent désormais par des zones désertiques plus grandes où ils mettent leur vie en danger, mais aussi dans des zones dévolues aux bandes armées et aux terroristes. Beaucoup de témoignages font en outre part de détentions arbitraires et de tortures. »

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM), liée aux Nations unies, déclarait ainsi l’an passé avoir secouru environ 20 000 migrants dans le désert du Sahara depuis 2016. Autre signe de cette insécurité permanente dans la zone : en septembre dernier encore, un charnier de 71 personnes a été découvert à Tillabéri, dans le nord-ouest du pays.

Quant aux autorités algériennes, elles refoulent ceux qui ont réussi à passer et les déposent à un «point zéro» situé à la frontière du Niger. « Charge à eux de rejoindre à pied la première ville nigérienne qu’ils trouvent. Le principe de non-refoulement n’est absolument pas respecté. Certains migrants parviennent à retourner à Agadez, mais cela accentue encore la pression sur les services publics et détériore les conditions de vie de tout le monde. Il n’y a plus de petits boulots disponibles. Certains se tournent donc vers les mines aurifères, véritables zones de non-droit où ils sont alors exploités, voire assassinés. Dans un contexte où cette circulation est nécessaire, son interdiction a entravé toute la mobilité de quantité de populations qui n’ont pas d’autres accès à la survie ! C’est une approche qui fragilise la stabilité et l’économie de toute la région », s’insurge Marine Lefebvre.

Insécurité renforcée

Cette législation va pourtant à l’encontre non seulement des droits humains mais aussi d’autres conventions, comme le traité de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui permet depuis 1979 la libre circulation des personnes. Surtout, si les flux migratoires vers l’Europe ont effectivement diminué, « proportionnellement aux gens qu’on entrave, ces mesures ne sont pas significatives. L’immigration à l’échelle internationale, c’est 3 % des migrations seulement, l’essentiel des migrations est intrarégionale », affirme Marine Lefebvre.

Même le Parlement européen dénonce cette politique d’externalisation des frontières. Dans sa «Mise en œuvre du nouveau cadre de partenariat avec les pays tiers – Le cas du Niger», publié en 2019, le service de recherche du Parlement affirme que «la diminution des flux migratoires [qui résulte de la coopération entre l’UE et Niamey], applaudie par les partenaires européens, a des conséquences néfastes sur l’économie locale centrée sur le fait migratoire. La crise économique menace les équilibres fragiles des ethnies du Sahara entre elles ainsi qu’avec le gouvernement central et renforce l’insécurité, tant pour les migrants victimes des abus que pour la population locale, encore plus fragilisée.»

«Le Parlement européen a mis en garde dès 2017 contre une vision trop étroite et à court terme de la politique externe de l’UE et contre le risque de détourner les fonds de la politique du développement vers les objectifs purement sécuritaires, en plaidant pour une approche de la migration centrée sur les droits de l’homme», peuton encore lire dans ce rapport. D’après Oxfam, sur les 253 millions d’euros du fonds fiduciaire de l’UE pour l’Afrique, 122 millions ont été affectés au contrôle des migrations.

Tatiana Salvan

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