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«Le terme pédopornographie banalise la réalité»


Le matériel d’abus sexuel des enfants est une forme de violence sexuelle qui connaît une hausse importante ces dernières années, alertent les organisations. (Photo : didier sylvestre)

Des organisations qui œuvrent pour la protection des enfants lancent une campagne de sensibilisation sur le matériel d’abus sexuels d’enfants, mal-nommé «pédopornographie».

Parce que les mots façonnent notre manière de penser, il est essentiel d’utiliser un vocabulaire adéquat, d’autant plus lorsque les termes que nous employons peuvent finir par minimiser une réalité en fait très grave. Il en va ainsi du terme «pédopornographie» selon les membres d’Ecpat Luxembourg, ONG qui lutte contre toutes les formes d’exploitation sexuelle des enfants dans le monde, et du KJT, le Kanner-Jugendtelefon, service d’assistance pour les jeunes.

«Le terme pédopornographie banalise la réalité, comme s’il s’agissait simplement d’une branche particulière de la pornographie. Mais ce n’est pas le cas : il s’agit d’un crime, alors nommons-le !», milite Thomas Kauffmann, directeur exécutif d’Ecpat Luxembourg. «Les termes et expressions « pédopornographie », « pornographie enfantine » ou « kannerpornographie » doivent faire partie du passé.»

Pour ces organisations, le Matériel d’abus sexuel d’enfants ou CSAM (acronyme de Child sexual abuse material en anglais) sont bien plus appropriés. «Cela permet d’écarter les conceptions fausses qu’un tel acte de violence sexuelle puisse se dérouler avec le consentement de l’enfant, sachant qu’un enfant ne peut jamais consentir à un abus sexuel.»

Une sémantique que les militants souhaiteraient également voir appliquée dans la loi luxembourgeoise, qui utilise plutôt à ce jour l’expression «à caractère pornographique», comme le rappelle Sally Stephany, du KJT. «Nous ne validons pas du tout cette expression», insiste-t-elle.

À l’instar du terme «féminicide» qui commence à s’imposer peu à peu dans la société et qui met davantage l’accent sur le caractère sexiste de cet acte criminel jusque-là qualifié de «passionnel», le CSAM devrait permettre d’insister sur le fait que «la pédopornographie n’existe tout simplement pas, parce qu’il s’agit en réalité de matériel ou de contenu qui représente une violence sexuelle et ainsi un abus sexuel contre un enfant», insiste Thomas Kauffmann.

Un crime en hausse y compris au Luxembourg

Militer pour l’utilisation d’un vocabulaire plus approprié, c’est là la première phase de la campagne de sensibilisation sur les violences sexuelles contre les enfants lancée ce lundi conjointement par l’Ecpat et le KJT, en partenariat avec diverses associations de protection de l’enfance. Intitulée «Stoppt sexuell Gewalt géint Kanner !» / «Stop aux violences sexuelles contre les enfants», cette campagne s’étendra sur trois mois.

La deuxième phase, qui débutera mi-octobre, mettra davantage l’accent sur la nécessité de signaler tout matériel illégal, qu’il s’agisse de vidéo, d’image, ou même de sculpture par exemple. «Il en va de la responsabilité de chaque citoyen. Le signalement est totalement anonyme sur le site stopline.be.secure.lu», rappelle Sally Stephany.

Dans un troisième temps, au mois de novembre, une table ronde sera organisée afin de discuter de la situation au Luxembourg, débat auquel doit assister la ministre de la Justice, Sam Tanson. «Le crime est-il suffisamment puni au Grand-Duché ? Les lois sont-elles suffisantes ?», interroge Thomas Kauffmann. Les partenaires mobilisés présenteront dans ce cadre un dossier de plaidoyer avec un catalogue de revendications portant, entre autres, sur la terminologie dans les textes de loi, les peines ainsi que la responsabilité des entreprises qui hébergent ce matériel d’abus sexuel.

Entre une plus grande facilité d’accès aux contenus numériques et en raison des différents confinements liés à la pandémie, signifiant souvent plus de temps passé sur internet, on assiste en effet à une explosion de la pédophilie en ligne ces dernières années. Les experts du Center of missing and exploited children (NCMEC) et ceux de l’Internet watch foundation (IWF) ont ainsi constaté des hausses de signalement de respectivement près de 28% et 16% par rapport à 2019. «Des millions d’URL ont été reportées, contenant chacune des centaines, des milliers d’images. Lors du premier confinement, au printemps 2020, Europol a également enregistré une hausse d’environ 30% de la consultation de matériel d’abus sexuels dans les États membres de l’UE», font savoir Ecpat et le KJT.

Un phénomène qui ne connaît pas de frontières : au Luxembourg, avec 4 022 URL portées à la connaissance de la Bee Secure Stopline, on relève une augmentation de plus de 32% de signalements par rapport à 2019. En juillet 2020, la police judiciaire avait d’ailleurs mené une action coup-de-poing dans le pays visant des internautes ayant consulté ou envoyé ce type d’images qui avait résulté par 46 perquisitions .«D’après IWF, en 2020, le Luxembourg faisait partie du top 10 des pays pour lesquels le plus de signalements ont été effectués. Rappelons d’ailleurs que si le téléchargement et la détention de vidéos sont illégales, leur visionnage l’est également depuis une dizaine d’années», souligne Thomas Kauffmann.

Mais malgré l’ampleur du phénomène, Ecpat et le KJT refusent de rester les bras croisés. «En trois jours, il est possible de supprimer des images. On peut faire quelque chose ensemble», insiste Sally Stephany.

Tatiana Salvan

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