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[Théâtre] Avec Le Chant du cygne, le Centaure montre l’envers du décor


(Photo : bohumil kostohryz)

Avec Le Chant du cygne, le Centaure fête ses cinquante ans en célébrant le théâtre et ceux qui le font. En lumière, l’une de ses figures les plus marquantes : Marja-Leena Junker.

Hier, le Centaure avait la carrure d’un grand, fort et fier de ses cinquante années d’activité. Beaucoup de ceux qui ont agité sa scène et ses coulisses étaient d’ailleurs là, ravis d’avoir contribué à la belle histoire. Parmi eux, l’une de ses figures de proue : Marja-Leena Junker. Arrivée au Luxembourg en 1966 depuis sa Finlande natale, elle a posé ses bagages et sa science du jeu dès la naissance du petit théâtre, pour ne plus jamais vraiment le quitter. Au point d’en assurer la direction artistique de 1992 à 2015, entre deux pièces et mises en scène. À bientôt 80 ans (qu’elle fêtera en 2025), elle est toujours là, comme le prouve sa présence sur le plateau le soir même (en compagnie du comédien Mathieu Moro) pour la première du Chant du cygne d’Anton Tchekhov.

Un peu stressée malgré sa riche expérience – «oui, il y a toujours une petite appréhension», reconnaît-elle —, elle regrette de ne pas pouvoir célébrer comme il se doit l’anniversaire de son lieu fétiche : «Je vais faire acte de présence, dit-elle peu de temps avant les réjouissances. Et surtout, pas de champagne pour moi!». Car il faudra ensuite assurer sur scène à travers un texte, certes daté (il a été écrit en 1887), mais qui «dit tellement de belles choses sur le théâtre». Elle y incarne Vassili Svetlovidov, un acteur vieillissant dont la longue et importante carrière est derrière lui. À ses côtés, Nikita Ivanytch, ancien souffleur dévoué à cet acteur qu’il admire. Deux âmes perdues dans un lieu sans vie, qui remontent le passé et se partagent des souvenirs, le temps d’une nuit.

Une longévité «impressionnante»

«Son histoire, c’est aussi un peu la mienne!», lâche la comédienne. «On a le même âge, et il parle ce qu’est la vie d’un comédien qui arrive à la fin de sa carrière.» Lol Margue, le metteur en scène, confirme. «C’était une évidence que ce soit elle!» Pour son retour au théâtre après dix ans d’absence (car son métier de professeur de mathématiques l’accapare), il retrouve Marja-Leena Junker avec laquelle il s’est fait les dents, jeune et déjà au Centaure, dans Le Baiser sur l’asphalte de Nelson Rodrigues (2003) et Trahisons de Harold Pinter (2004). Celle qui a toujours eu «confiance» en lui sera ensuite de son casting pour Frozen, pièce sélectionnée au Off d’Avignon en 2013, figurant parmi les coups de cœur de la presse.

Il poursuit : «Elle me disait : « Il faut que l’on refasse une pièce ensemble »». C’est désormais chose faite, ce qui le rend pour le moins «heureux». «Sa longévité est impressionnante. Tout ce qu’elle a vécu transpire dans son jeu. C’est d’autant plus vrai avec cette pièce-là. Il y a des bouts de phrase qui résonnent tout particulièrement…» La comédienne abonde : bien que dans la peau d’un homme (chose qu’elle a déjà pratiquée, notamment dans Angels in America de Myriam Muller et Jules Werner, deux autres incontournables du Centaure), elle se dit très proche d’un rôle qui l’a beaucoup «touché». Car il raconte à merveille ce qu’elle fait avec passion depuis un demi-siècle : jouer, encore et encore, jusqu’à l’usure.

Les vacances au second plan

Elle raconte, intarissable : «Le métier de comédien, c’est quelque chose de difficile. On est tout le temps engagé, mobilisé, aussi bien mentalement que physiquement. On est toujours en train d’apprendre quelque chose, d’étudier d’autres sujets, de jouer d’autres pièces, en équilibre entre différentes cultures, milieux et époques. Chaque fois, il faut s’adapter. Alors oui, quand on est jeune, on se lance! C’est excitant, on est prêt à tout et on n’est pas critique envers soi-même. Mais avec l’âge, ça ne s’arrange pas!». Elle évoque ainsi une mémoire plus fragile, qui oublie parfois le texte, et un corps qui la «perturbe» quand il s’agit d’interpréter des personnages plus jeunes.

Oui, comme le raconte Le Chant du cygne, la vie d’artiste peut être délicate, laborieuse, vampirisante même, mais aussi «merveilleuse» pour Marja-Leena Junker : «J’ai eu la chance de faire ce travail que j’aime tellement. Quand je me lève et que je pars en répétition, je suis heureuse. Encore aujourd’hui, je préfère jouer que prendre des vacances!». Une ardeur à la tâche qui lui a valu fin septembre le Nationalen Theaterpräis, récompensant l’œuvre d’une vie et son engagement dans la scène théâtrale luxembourgeoise. Une belle «reconnaissance», selon elle, mais sans plus. «On est dans un petit pays. Ce prix-là, on l’aura tous à tour de rôle.»

Décor minimal, jeu maximal

Parmi l’audience rassemblée hier, certains pourront sûrement y prétendre à l’avenir. En attendant, ils pourront apprécier le travail de Lol Margue, assez anxieux de jouer devant un parterre de «professionnels». «Pour mon retour, j’ai bien choisi!», rit-il. Afin de rester fidèle à la thématique, c’est dans un Centaure dépourvu de tout superflu qu’il place ses deux acteurs. Un «minimalisme» de circonstance qui permet de «mettre au premier plan le théâtre et ceux qui le font», tout en montant toutes «les facettes» du jeu. «Chaque scène sera jouée de manière différente», indique-t-il, étonné qu’Anton Tchekhov ait écrit cet hommage à 26 ans, alors qu’il n’avait pas encore connu de succès avec ses pièces, seulement avec de courtes nouvelles destinées aux journaux. Ainsi, dans sa version originale, Le Chant du cygne ne dépasse pas la demi-heure.

Face à cette durée qui pose problème, il y a cependant des solutions : soit associer cette pièce en un acte à d’autres de l’auteur russe, toutes aussi réduites. Soit enrichir les moments où Vassili Svetlovidov déclame des morceaux tirés de ses plus grands succès, de Shakespeare (Hamlet, Othello, Le Roi Lear) à Pouchkine (Boris Godounov). «Mais ce serait desservir les propos», clame le metteur en scène qui, avec son équipe, a choisi une troisième voie : montrer comment une pièce se crée et évolue, de la première idée à l’état embryonnaire (l’œuvre en question était d’abord une nouvelle intitulée Calchas) jusqu’aux doutes (qui se ressentent dans la correspondance qu’entretient Tchekhov avec sa femme). «Chaque créateur se pose la question de savoir si ses projets sont pertinents», soutient alors Lol Margue, appuyant ainsi «la fragilité» de tout un milieu. Fragile, peut-être, mais toujours debout, pourrait lui répondre le Centaure.

L’histoire de Vassili, c’est un peu aussi la mienne!

Chaque créateur se pose la question de savoir si ses projets sont pertinents

La pièce

Après une représentation suivie d’une petite fête bien arrosée, le vieil acteur Vassili Vassilievitch Svetlovidov se voit par inattention enfermé tout seul dans un théâtre de province de second ordre. Et c’est là, pour la première fois dans ses 45 ans de carrière, qu’il découvre pendant la nuit la salle vide et effrayante. Nikita Ivanytch, l’ancien souffleur, toujours dévoué à cet acteur qu’il admire et qui n’a pas d’autre endroit pour dormir, il repasse alors sa vie d’acteur dans laquelle il était prêt à tout sacrifier pour son public, fait de hauts, de bas, et de beaux textes…

Jusqu’au 14 novembre.

Théâtre du Centaure – Luxembourg.

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