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«Sephora Kids» : se maquiller n’est pas jouer


Sur TikTok, des pré-adolescentes américaines, encouragées par leurs parents, engrangent les abonnés en filmant leurs achats de maquillage puis leur routine «skincare». Une tendance inquiétante pour leur santé mentale et physique, selon les spécialistes.

Leurs vidéos comptent des milliers de partages : des fillettes âgées de 8 à 12 ans, hystériques devant un pot de crème hydratante et rajeunissante, ou suppliant leur mère de leur offrir un anti-cernes : «C’est celui-ci que j’ai vu en vidéo… Je le veux, je le veux!»

Suite du feuilleton : l’enfant est alors filmée devant le miroir, un bandeau en éponge retenant ses cheveux, façon tutoriel de beauté. Les «Sephora Kids» singent les mimiques des influenceuses beauté en pinçant les lèvres ou posant délicatement le visage sur leurs paumes ouvertes : «Le gloss, il est trop stylé. J’adore le résultat!»

Sur le réseau, la polémique porte notamment sur les sommes dépensées : les marques préférées des petites «tiktokeuses» sont très onéreuses – leur crème star coûte près de 70 euros.

«Comment ces petites filles peuvent dépenser l’équivalent de mon salaire en produits de beauté?», s’interroge une vendeuse Sephora sur TikTok aux États-Unis. Des employés de la marque détenue par LVMH déplorent aussi le comportement des petites clientes : les vidéos montrant des rayons dévastés après le passage de très jeunes clientes sont légion outre-Atlantique.

Rien de tel en France, assure une vendeuse de cette chaîne, gare de Lyon, à Paris : «On voit de plus en plus de jeunes filles, mais elles sont accompagnées de leurs parents et se tiennent bien.»

Sephora n’a toutefois pas répondu aux sollicitations en vue d’une interview. En outre, les produits vantés dans ces vidéos, malgré leur emballage pastel, gourmand et régressif, contiennent des actifs agressifs comme le rétinol, destiné aux peaux matures, selon des experts.

«De plus en plus d’enfants utilisent des produits cosmétiques pour adultes. Beaucoup des parents que je reçois n’ont même pas idée qu’il y a un risque et font plus confiance aux « influenceurs beauté » qu’à leur médecin!», déplore ainsi le dermatologue américain Danilo Del Campo. Il a constaté «une hausse des consultations pour des réactions cutanées et des soucis résultant d’un mauvais usage de ces produits». Le dermatologue prévient : «La peau jeune est plus délicate et bien plus sensible aux irritations.»

La barrière cutanée peut en effet être abîmée par des composants inadaptés, souligne-t-il, alertant aussi contre une exposition trop précoce aux produits chimiques contenus dans ces cosmétiques.

En consultation, le Dr Del Campo voit aussi des «problèmes d’estime de soi chez des jeunes enfants qui ressentent le besoin de corriger des défauts qui n’existent même pas».

Sur TikTok, des mères de famille relativisent en assurant que ce n’est finalement qu’un «jeu». Mais pas pour Michaël Stora, psychanalyste expert des pratiques numériques : «Ces fillettes ne jouent pas à la poupée comme on peut l’attendre à leur âge, elles sont les poupées!» Il relève la «dimension prévisible» du phénomène chez des enfants «photographiés et postés» sur les réseaux dès leur naissance.

Il sont même, parfois, des «objets de fétichisation» de leurs parents, qui voient dans leurs enfants une prolongation d’eux-mêmes, à l’instar de la star planétaire Kim Kardashian. Sa fille North West est d’ailleurs l’icône des «Sephora Kids».

«Je vois de plus en plus de parents qui sont dans cette fragilité narcissique où ils envisagent le monde uniquement en beau-pas beau», constate encore Michaël Stora, se posant la question de l’hyper-sexualisation des enfants.

Solène Delecourt, professeure à Berkeley, spécialiste des inégalités sociales, pense aussi que ces vidéos «peuvent renforcer et perpétuer une représentation très stéréotypée des filles et des femmes» déjà à l’œuvre en ligne : «Ce ne sont pas des femmes, mais elles sont déjà sujettes d’une intense pression sociale.»

Son étude publiée dans Nature en février révèle que les images sur internet amplifient les biais de genre, au détriment des femmes, avec un effet durable sur les utilisateurs qui y sont exposés.

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