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Picasso à toutes les sauces


Avec cinq de ses œuvres adjugées à plus de 100 millions de dollars, Picasso reste le maître des mégaenchères.

Génie ou monstre, il reste un inépuisable sujet de fascination. À l’occasion des 50 ans de sa mort, les musées à travers le monde célèbrent Pablo Picasso, promettant d’explorer toutes ses facettes.

«Picasso mange tout et, apparemment, on a encore faim», s’amuse Olivier Widmaier-Picasso, son petit-fils. Il se dit «fasciné par le nombre de conservateurs de musée, d’historiens et de chercheurs qui continuent de trouver des angles d’étude». Les céramiques de Picasso, Picasso et le féminisme, le blanc chez Picasso, Picasso sous l’œil de célèbres photographes, le jeune Picasso à Paris, Picasso sculpteur… Le monument est conjugué à toutes les sauces dans le cadre de «son» année, fêtée en grande pompe en France et en Espagne.

Il reste «au-dessus de tous», estime Bernard Blistène, président honoraire du Centre Pompidou à Paris, louant, à l’instar d’autres spécialistes, unanimes, le «génie» du père de Guernica et des Demoiselles d’Avignon. «La puissance dévastatrice de l’œuvre de Picasso au regard de celle des autres, l’invention permanente, la traversée de tous les grands courants de la modernité, l’expérimentation pendant plus de 80 ans (NDLR : Picasso a peint jusqu’à sa mort, le 8 avril 1973, à 91 ans), la volonté de plaire et de déplaire… Tout cela est inégalé», ajoute-t-il. Et après des centaines d’expositions lui étant consacrées, il reste une ressource muséale «inépuisable», renchérit Emmanuel Guigon, le directeur du musée Picasso de Barcelone.

«Tyrannique, superstitieux, égoïste»

Avec le mouvement #MeToo, l’image de ce monument de la peinture a toutefois été écornée par des accusations de misogynie et de violences envers ses anciennes compagnes. Ancienne conservatrice du musée Picasso, Émilie Bouvard espère que cet anniversaire marquera «le début d’un processus salutaire» sur la manière dont on aborde cet artiste «populaire», qui «a incarné un engagement dont on continue de parler et s’est présenté comme un homme proche de tout le monde et qui l’était».

«#MeToo est un coup de pied dans la fourmilière qui a du bon», estime-t-elle. «Il faut cesser de parler des femmes qui ont traversé sa vie comme de « muses ». Certaines se sont suicidées, d’autres ont sombré dans la folie. La seule qui s’en est sortie, c’est Françoise Gilot, seule aussi à l’avoir quitté», ajoute-t-elle.

Peintre aujourd’hui installée aux États-Unis, elle a décrit Picasso comme un «être tyrannique, superstitieux et égoïste» dans un livre à succès, Vivre avec Picasso, publié en 1964. «Au-delà de son machisme, Picasso est quelqu’un qui s’appropriait les choses, les êtres, les possédait avec des sentiments paroxystiques de souffrance, de douleur. Il s’est intéressé aux questions archaïques du moi et à la violence afférente avec un certain courage, mais il en faisait baver à son entourage. Aborder cette question, c’est parler autrement, mais avec justesse, de Picasso», poursuit Émilie Bouvard.

«Regarder Picasso sous un nouveau jour»

«Violence» et «sexualité dans l’art» sont des thèmes abordés lors d’un cycle de conférences à Paris, tandis qu’une exposition sur Picasso et le féminisme débutera en juin au Brooklyn Museum de New York, avec comme commissaire d’exposition la comédienne Hannah Gadsby, particulièrement virulente contre Picasso dans son stand-up Nanette (2018), immense succès sur Netflix.

Moins polémique et plus festif, à Paris, le musée qui porte le nom de Picasso a été métamorphosé par le styliste britannique Paul Smith. Le créateur de 76 ans reste enthousiaste pour celui qu’il a «toujours considéré comme plein énergie, d’idées, de modernité et qui n’a cessé de chercher de nouveaux chemins artistiques». Rayures multicolores, surfaces monochromes, moquette bleu nuit ou vert profond… «J’ai eu carte blanche pour faire ce que je voulais, ce qui était tout à la fois fantastique et effrayant!», ajoute Paul Smith. «J’ai choisi de le faire « très décoratif » (car) l’idée initiale était pour moi d’amener le public à regarder Picasso sous un nouveau jour, notamment les jeunes générations.»

«Un pari» pour la directrice du musée, Cécile Debray, dont l’institution pilote les commémorations en France et qui «n’a pas vocation à être un mausolée». Au contraire, l’objectif est de «s’ouvrir aux débats et à la réflexion sur Picasso afin de relire l’œuvre et d’en montrer la vitalité», souligne-t-elle. Outre les expositions, de nombreuses conférences sont prévues cette année, ainsi que l’inauguration à l’automne à Paris d’un centre de recherche, à deux pas du musée Picasso, et un symposium international au même moment à l’Unesco.

Grand maître des enchères

Maître du cubisme, Pablo Picasso est également un grand maître des enchères, détenant une multitude de records dans les salles des ventes. Le peintre est le recordman du nombre de mégaenchères, quel que soit le seuil choisi pour définir une mégaenchère. Cinq de ses œuvres ont été adjugées à plus de 100 millions de dollars, 16 à plus de 50 millions, et 39 à plus de 30 millions. Aucun artiste n’a fait mieux.

La toile la plus chère de Picasso jamais vendue aux enchères est Les Femmes d’Alger (Version O), peinte en 1955 et cédée pour 179,4 millions de dollars le 11 mai 2015 chez Christie’s à New York, permettant au vendeur, qui l’avait acquise pour 31,9 millions en 1997, de quintupler sa mise de départ. Il s’agissait, lors de cette vente, de la plus grosse enchère d’art de l’histoire. Elle a été détrônée en novembre 2017 par le Salvator Mundi attribué à Léonard de Vinci, vendu à 450 millions de dollars et qui n’a pas été dépassé depuis. Au cours des vingt dernières années, deux autres tableaux de Picasso ont détenu en leur temps le record de la plus grosse enchère d’art : Garçon à la pipe (104,2 millions de dollars) de mai 2004 à février 2010 et Nu au plateau de sculpteur (106,5 millions) de mai 2010 à mai 2012.

Toutes enchères confondues, les ventes aux enchères d’œuvres de Pablo Picasso ont totalisé 4,7 milliards de dollars au cours des dix dernières années, selon des données compilées à partir des rapports annuels d’Artprice. Là encore, aucun artiste n’a fait mieux. Andy Warhol (3,4 milliards) et Claude Monet (2,6 milliards), qui complètent le podium, sont loin derrière.

Picasso le touche-à-tout, ce ne sont pas que des peintures, mais également des sculptures, des dessins, des céramiques, des gravures, des lithographies, des livres illustrés, des costumes de ballet… Ses œuvres ont fait l’objet de pas moins de 31 745 adjudications en dix ans, soit en moyenne plus de 3 000 par an.

La Provence, son port d’attache

Céret, Antibes, Arles… Picasso ne resta jamais longtemps éloigné des rivages de sa Méditerranée natale, trouvant en Provence et sur la Côte d’Azur une terre où soigner son mal d’Espagne. Picasso, qui «est né sur les bords de la Méditerranée, à Malaga», au sud de l’Espagne, avait «ce lien avec la mer qui lui manquait cruellement» quand il s’est établi à Paris au début des années 1900, retrace l’historienne de l’art Camille Frasca.

À partir des années 1910, le peintre découvre le sud de la France et effectue ses premières vacances sur la Côte d’Azur en 1919, «à Juan-les-Pins, Golfe-Juan, Antibes, un peu Monaco, et là, il découvre cet art de vivre de la Riviera française de l’époque», une atmosphère dont témoignent les nombreuses baigneuses qu’il réalise alors, détaille Camille Frasca.

Pour autant, ces périodes sont «tout sauf des vacances pour Picasso, car il travaille tout le temps», relate Jean-Louis Andral, conservateur du musée Picasso d’Antibes. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, qu’il a passée à Paris, il séjourne longuement au château Grimaldi d’Antibes. «Picasso était très sensible à l’atmosphère et au temps dans lesquels il vivait, donc les peintures des années 1940 sont très sombres. Lorsqu’il va redescendre vers Antibes, la palette va beaucoup s’éclaircir», explique Jean-Louis Andral.

«La Côte d’Azur, c’est un terreau de création», mais aussi «un lieu de collaboration (…) et puis un lieu de maisons familiales et de réceptions», en particulier quand «il acquiert la magnifique villa La Californie» à Cannes, retrace Camille Frasca. La «qualité de vie lui permet de vivre les trois quarts de l’année pratiquement torse nu», ajoute Jean-Louis Andral.

À partir des années 1950, Arles représente un autre pôle d’attraction pour l’artiste : la ville de Van Gogh, l’une de ses figures tutélaires, est aussi celle des corridas, auxquelles il assiste tous les ans. L’artiste finira sa vie dans l’arrière-pays, où il retrouve les paysages chers à son autre maître, Cézanne. «Il y a une forme de logique dans ce chemin qui l’emmène de la Méditerranée où il naît vers la Méditerranée où il va mourir», conclut Jean-Louis Andral.

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