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Obvious, trio d’artistes et pionniers de l’art par IA


En 2019, le collectif français Obvious a exposé certains des portraits de sa série des Belamy au prestigieux musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg. (Photo : obvious)

Réunis en collectif, trois Parisiens de 29 ans, copains d’enfance, parient sur l’envolée d’une révolution artistique : marier l’art et l’intelligence artificielle.

Férus d’art et de science, Pierre Fautrel, Hugo Caselles-Dupré et Gauthier Vernier avaient sidéré le monde de l’art en 2018 en vendant plus de 400 000 euros chez Christie’s, à New York, une œuvre présentée comme étant la première produite par un logiciel d’intelligence artificielle : Edmond de Belamy, un portrait fictif aux contours flous, imprimé sur toile. La vente avait hérissé certains spécialistes de l’intelligence artificielle (IA), car le collectif a reconnu ne pas avoir mis au point l’algorithme qui a permis de créer l’image.

Premier rapprochement entre l’art et l’IA, la série de portraits des Belamy a été réalisée grâce aux outils développés par d’autres pionniers, partagés en «open source», dont un code mis au point par un jeune prodige britannique de l’art numérique, Robbie Barrat, qui ne s’était, lui, pas indigné de l’utilisation de son code par le trio. «Ça fait cinq ans qu’on travaille là-dessus, on a commencé à un moment où ce mouvement était vraiment à sa genèse, et les NFT (NDLR : objets numériques protégés par des certificats infalsifiables) comme l’IA, très peu répandus dans le monde de l’art», explique Gauthier Vernier. Pour Hugo Caselles-Dupré, cette révolution artistique est comparable à la «démocratisation» de la photo, mais elle s’opèrera «beaucoup plus vite, en 10 ou 20 ans».

Première expo en solo

Fort des progrès de l’IA, qui permet aujourd’hui de générer des images à partir de textes, le trio français vient de présenter à Paris sa première exposition en solo baptisée «7.1», autour des sept merveilles du monde. Cette série de sept toiles, exposées en décembre et janvier à la galerie Danysz, à Paris, est inspirée des mythiques Colosse de Rhodes, Jardins suspendus de Babylone, Phare d’Alexandrie et autres merveilles. Conçues à partir d’images générées grâce à des textes antiques ingérés par l’intelligence artificielle, elles ont ensuite été reproduites à la peinture à l’huile sur des toiles.

Très nettes et éclatantes de couleurs, elles rappellent l’imagerie des jeux vidéo, de la BD ou de l’«heroic fantasy». «On s’est notamment servi de Platon et de descriptions de voyageurs de l’époque, qui sont tout ce qu’il reste des sept merveilles du monde. On a fait un travail de bibliographie avec un historien pour créer des textes pouvant être injectés dans un algorithme et créer des visions», explique Pierre Fautrel.

À partir d’une simple phrase, la machine est désormais capable de produire des représentations. «Une fois que les images créées sur ordinateur ont été satisfaisantes, on a choisi un style proche de la peinture à l’huile et engagé des artistes peintres pour les reproduire», ajoute Hugo Caselles-Dupré.

«Laboratoire
de recherche»

Plusieurs toiles ont été vendues 15 000 euros. Pour chacune, un double NFT a été créé : regardés avec une tablette numérique, leurs paysages et sujets peints s’animent, les nuages se déplacent, les flammes crépitent, les vagues déferlent. Chaque NFT était vendu en cryptomonnaie «5 éthers, soit environ 7 000 euros», précise la galeriste qui les a exposés, Magda Danysz. «On s’est retrouvé sur leur envie de dresser des passerelles entre le monde de l’art et la tech», ajoute cette passionnée qui s’intéresse depuis 30 ans aux «formes émergentes de création artistique».

Les progrès fulgurants de l’IA laissent présager un monde où l’ordinateur serait capable d’apprendre et de créer, comme l’humain, une potentialité qui effraie. Conscient de cette crainte, le trio insiste sur la philosophie de sa démarche. «La place de l’humain est centrale. Ce que nous avons toujours défendu, c’est que les algorithmes sont des outils, en aucun cas une entité pensante qui viendrait remplacer l’artiste», insiste le collectif. Pierre Fautrel poursuit sur cette analogie : «De la même manière qu’un peintre utilise un couteau, un pinceau, une brosse, nous utilisons des algorithmes. Notre travail, c’est de choisir le bon.»

Parmi ses nombreux projets, financés par ses ventes, et à la recherche de partenaires, Obvious œuvre à la création d’un «laboratoire de recherche» associé au monde académique, un peu «comme les ateliers de la Renaissance» qui mêlaient innovations techniques et art. Avant d’exposer à la galerie Danysz, le travail du collectif a pu être vu aux Rencontres d’Arles, au Musée national de Chine ou encore au musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg.

Art et IA : un mélange
qui se cherche encore

Les programmes Dall-E 2, Midjourney ou encore Stable Diffusion ont épaté la planète l’an dernier, avec leur capacité à inventer des images à partir de quelques éléments de texte. Taper par exemple «Brad Pitt dans un canot dans l’espace, dans le style de Mondrian», amène en quelques secondes une image très colorée de la star américaine pagayant dans les étoiles… Mais «malheureusement, il n’y a pas encore de théorie bien établie sur l’art et l’intelligence artificielle qui permette de faire le tri entre ce qui est bon ou mauvais, ou ce qui n’a tout simplement pas d’intérêt», estime l’historienne de l’art Emily L. Spratt.

Dall-E 2 et consorts défendent l’idée qu’ils permettent de démocratiser l’art en donnant le pouvoir de créer à tout un chacun. Mais c’est une vision «beaucoup trop simpliste», «naïve» : ces outils sont surtout «un moyen de pousser à l’utilisation des grandes plateformes internet, ce qui bien sûr est très bon pour ces entreprises». Cependant, l’IA va bien finir par se mêler aux autres technologies permettant de manipuler les images, déjà largement utilisées. «À l’avenir, l’intelligence artificielle va venir compléter toute l’architecture permettant de fabriquer des images numériques.»

À l’instar du portrait Edmond de Belamy, du collectif Obvious, des œuvres numériques produites avec l’intelligence artificielle ont été vendues pour des dizaines et parfois des centaines de milliers d’euros. Parmi les artistes inventifs, Spratt cite l’Allemand Mario Klingemann. Son œuvre Séries d’attractions hyperdimensionnelles, bestiaire est une vidéo de «formes apparemment organiques qui évoluent en permanence pour ressembler brièvement à tel ou tel animal bien reconnaissable», détaille-t-elle. «Honnêtement, c’est un peu déroutant, mais cela marche bien comme commentaire sur les lignes de démarcation entre le matériel et l’immatériel, et les limites de ces intelligences artificielles quand elles essaient de reproduire le monde», commente Emily L. Spratt. L’art de Mario Klingemann pose la question de l’IA comme un moyen d’expression, et plus largement celle des sources de la créativité.

Interrogée sur la fameuse vente chez Christie’s de l’œuvre du collectif français Obvious, véritable coup d’éclat, l’historienne explique : «Si l’œuvre d’Obvious s’est vendue à ce prix, c’est largement parce qu’elle avait été présentée comme la première œuvre produite par une intelligence artificielle et vendue par une grande maison d’enchères.» «C’était vraiment le marché de l’art qui tentait l’expérience pour voir ce que pouvait offrir une œuvre produite par intelligence artificielle, tout en suivant les méthodes traditionnelles de vente», poursuit-elle.

Depuis, les revers de fortune du monde de la tech ont refroidi l’enthousiasme. Christie’s comme Sotheby’s ont créé des plateformes distinctes pour vendre ces œuvres, «comme si elles ne voulaient pas souiller l’art avec ces nouvelles explorations numériques», juge Emily L. Spratt.

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