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Dom Juan ce « Bad Boy »


(Photo ©bohumil kostohryz)

Si aujourd’hui le personnage de Dom Juan est un symbole de libertinage, il est aussi, et surtout, un homme qui transgresse tous les codes moraux, sociaux et religieux de son temps.

Myriam Muller et douze comédiens replacent ce noble impétueux et complexe au XXIe siècle pour mieux le cerner, lui, et ses élans destructeurs.

Un gros son électronique jaillit des enceintes, soutenant une «célébrité» du XVIIe siècle vêtue d’un costard. L’ambiance est posée : «Il y a autant de Dom Juan que de metteurs en scène», précise Myriam Muller, qui, sous l’influence du Grand Théâtre, ose se frotter en cette rentrée théâtrale à une œuvre majeure de Molière, sans, comme elle dit, «trop la respecter». «En France, les classiques du répertoire sont vus comme des pièces de musée. En Allemagne ou aux Pays-Bas, on hésite moins à les dépoussiérer. À mes yeux, il ne faut pas être trop révérencieux vis-à-vis d’une œuvre ou en tomber amoureux.»

Ce projet d’adaptation, qui lui trotte dans la tête depuis deux ans, elle va l’inscrire dans son époque, animée par une question obsédante : «Mais qui est vraiment ce Dom Juan?» Finalement, presque comme dans un besoin de réhabiliter un personnage riche et complexe, réduit pourtant aujourd’hui dans la conscience collective à son activité préférée, celle de courir les jupons. Jules Werner, qui incarne l’homme, rejette ce cliché facile avec une note d’humour : «Le terme libertin veut dire libre penseur. Son côté séducteur n’est pas la clé pour le comprendre.»

«Il court à sa propre perte»

Mais alors, qui est donc cette «tête brûlée» qui transgresse tous les codes moraux, sociaux et religieux de son temps, cherchant à faire trembler Dieu sur son piédestal, seul rival à sa démesure? Celui qui court la campagne avec son valet, qui drague les femmes pour mieux les jeter? Qui tue, même, dans un énième pied de nez à la vie qu’il brûle par les deux bouts? «C’est sûr, c’est un voyou, un bad boy. Il fait ce qu’il veut», lâche le metteur en scène, relayé par son comédien.

«C’est un fils de… Un bourgeois dont la caste lui assure toute impunité. Car il y aura toujours papa ou maman pour le sortir du pétrin dans lequel il s’est mis. Finalement, dit comme ça, ce Dom Juan a des côtés luxembourgeois, non?» Plutôt que de reparler de l’affaire Nicolas Schmit, d’autres, plus emblématiques, comme celle se rapportant à DSK, rappellent comment le pouvoir et l’argent peuvent pervertir un homme, surtout quand il n’a rien connu d’autre que l’opulence et la facilité. «Pourtant, Dom Juan est quelqu’un de brillant», poursuit-il. Myriam Muller enchaîne : «Oui, il est intelligent et fin, mais clairement désabusé» par ce qui l’entoure. «Dans un sens, il me fait penser au personnage de Mademoiselle Julie, de Strindberg : quelqu’un qui court à sa propre perte, car ça ne peut plus continuer comme ça.»

Une «lucidité» qui le rend «sympathique»

Il faut préciser, encore, que l’homme cultive le paradoxe : s’il sait se servir de ses origines, il fustige en permanence son monde, maîtrisant l’art de la «transgression» comme personne. «Dans un sens, il est lucide sur sa condition», dit Myriam Muller, ce qui le rend même «sympathique» pour Jules Werner, sans toutefois «excuser ses actes». De l’empathie sûrement suggérée par cette fin brutale et deux jours de descente aux enfers attendue, car, selon le comédien, «on regarde cette pièce comme un accident de voiture à venir». «Il se dit : « le monde est comme ça, pourquoi ne pas alors en profiter »… Mais ses provocations le conduisent à sa chute.»

Pour animer ce Dom Juan 2.0, qui oscille en permanence entre «comédie et tragédie», pas moins de douze comédiens et sept techniciens seront sur et derrière la scène. «J’adore manœuvrer de grosses équipes, explique Myriam Muller. Et en tant que spectateur, voir toujours quelqu’un de nouveau arriver sur le plateau, c’est génial!» Il aura sûrement plus d’attention pour le duo de la pièce, «remanié» pour l’occasion – accroche contemporaine oblige! – Jules Werner-Valéry Plancke, alias Dom Juan et son valet Sganarelle. «Un binôme qui fonctionne bien» (même s’il n’a partagé jusqu’alors que brièvement la scène) et qui respectera à la lettre les mots de Molière. Au moins quelque chose qui résiste au temps.

Grégory Cimatti

Grand Théâtre – Luxembourg. Mardi et les 1er et 2 octobre, à 20 h.

Théâtre – Esch-sur-Alzette. Les 7 et 8 octobre.

Kulturhaus – Mersch. Le 18 octobre.

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