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[Bande dessinée] «Merel» : nympho ou intox?


Avec Merel, son éblouissant drame de la jalousie, Clara Lodewick explore le harcèlement, ses origines et ses conséquences, en même temps qu’il dresse un portrait de la vie rurale contemporaine.

C’est un village sans nom de la campagne flamande. Où tout le monde se connaît, s’appelle par son prénom et se tutoie : jeunes, vieux, et ceux entre les deux y sont nés, y ont grandi et continuent d’y vivre. Il y a Marianne, qui tient la supérette où tout le petit monde fait ses courses; Fabienne, la patronne de la buvette du village; Bert, Geert, Pieter et les autres font partie de l’équipe de foot du village. Aux abords de la forêt, entourée de ses canards, vit Merel, journaliste sportive pour le quotidien local. Au sein de la communauté, celle qui vit une vie de femme libre détonne : pas mariée, sans enfants, elle garde pour elle la relation qu’elle entretient avec Maarten, de quinze ans son cadet. Un soir qu’elle traîne au bar avec les footeux, après quelques bières, elle lance une blague – un peu vaseuse, mais tout à fait anodine – à l’attention de son vieux pote Geert, qui fait rire tout le monde… sauf Suzie, la femme de ce dernier. Dès le lendemain, la rumeur va se répandre comme une traînée de poudre : Merel est une nymphomane qui couche avec toute l’équipe de foot…

Pour son premier album, la Bruxelloise Clara Lodewick brosse un portrait très fort de la vie rurale contemporaine à travers l’enrageante histoire de Merel, à propos de qui circulent les ragots les plus scabreux. Parce qu’elle n’aspire pas à la même vie rangée que ses voisins, parce qu’elle aime les «trucs de mecs», parce qu’elle revendique son indépendance et sa liberté, Merel est pointée du doigt : elle cache forcément quelque chose… En multipliant les points de vue et en décalant son crayon tant dans les lieux de rassemblement du village que dans les domiciles, l’auteure donne à voir la réalité d’une microsociété en apparence bien sous tous rapports mais qui, dans l’intimité, est complètement dysfonctionnelle. C’est le cas de Suzie, épouse frustrée et jalouse; de l’épicière, Marianne, qui refuse de rendre visite à sa mère en maison de retraite; du jeune marié Bert, qui se montre insistant avec Merel un soir qu’il a trop bu et qui, depuis, évite son amie.

Même si elle y injecte une émotion tout à fait palpable, Clara Lodewick maîtrise l’art du récit avec le recul nécessaire pour mettre le lecteur dans la position de celui qui, au sol, regarde le wagon pris dans le tumulte des montagnes russes. C’est la victime qui fait avancer l’histoire, d’abord sceptique puis en colère et, enfin, désemparée. Le découpage en vignettes permet autant à Lodewick d’étoffer les différentes intrigues que d’étirer certaines actions – sur deux pages, elle prend le temps de mettre en dessin l’une des humiliations subies par Merel, qui se fait couper une mèche de cheveux pendant qu’elle dort –, mettant en lumière un sens de l’observation et de la narration impressionnants, ainsi qu’une maturité immédiate dans son art.

Au village, on regarde Merel de travers, on ne lui adresse plus la parole et on arrête les «petites réductions» à l’épicerie, comme si de rien n’était. Puis le harcèlement prend une autre tournure, quand même les ados – qui calquent leur comportement sur celui des parents, la touche de cruauté en plus – s’y mettent, de façon assez terrifiante… La violente persécution dont Merel fait l’objet est en partie lancée par les gamins du village, dont Finn, le fils de Geert et Suzie, qui, frappé par le remords, tente de se lier d’amitié avec Merel, en cachette. Cet enfant, qui souffre d’être l’une des raisons pour lesquelles ses parents se forcent à rester ensemble, reste influençable; l’indépendante Merel – dont on ressent, au détour d’une case, le tourment de ne pas avoir d’enfants – pourrait lui donner une tout autre vision des choses. En 160 pages très denses, Merel nous amène un nouveau nom de la BD belge dont on parie qu’il va compter à l’avenir : Clara Lodewick.

Merel, de Clara Lodewick.

Dupuis / Les Ondes Marcinelle.

On m’use pas, moi. Je suis une mule, moi. Et je fais ce que je veux

L'histoire

Merel, la quarantaine, est une femme libre vivant sans mari ni enfants. Partageant son quotidien entre l’élevage de canards, le club de football local et l’écriture, elle mène une vie d’harmonie et d’amitiés. Mais tout se dérègle lors d’une soirée au cours de laquelle elle fait une blague sur la sexualité du mari de l’une de ses voisines. Le bruit se répand que Merel couche avec tous les hommes de son petit village de Flandre. L’ensemble de la communauté va dès lors se liguer contre elle, faisant de sa vie un enfer…

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