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[Bande dessinée] L’Homme miroir : passé recomposé


Une famille débarrasse une vieille maison en bazar. Dans ce cabinet de curiosités, la vie fantasmée de l’ancien propriétaire refait surface et séduit ces nouveaux occupants. Une fiction ingénieuse et haute en couleur signée Simon Lamouret.

C’est l’histoire d’une absence qui prend beaucoup de place. Celle d’un «mort encombrant», d’un disparu tellement «présent», comme le dit l’un des personnages du livre. Pour mieux appuyer l’idée de ce spectre mystérieux aux contours incertains, l’auteur a imaginé une couverture découpée en son centre par une silhouette.

Au second plan, une tapisserie, une table avec une nappe à carreaux, une pochette à dessins encore… Autant de vestiges qu’il a laissés derrière lui, au cœur de cette maison qui porte en elle un paquet de souvenirs, d’énigmes, de secrets et, par ruissellement, de fantasmes.

Oui, qui était donc cet individu qui y a habité il y a de ça plus de trente ans? Que faisait-il dans la vie? C’est tout l’enjeu derrière cet «homme miroir», dont le reflet, bien que lointain et vague, n’a jamais été aussi sensible.

De lui, on ne sait que le nom et une date : François Léopold Desaix, mort en 1987. C’est déjà beaucoup pour Élise, qui vient d’acheter sur un coup de tête la demeure située en pleine campagne française. Fraîchement séparée, seule avec Antoine, son garçon de six ans, elle aimerait faire le vide, repartir à zéro, redémarrer sur une «page blanche».

Si elle s’écoutait, elle mettrait tout ce foutoir directement à la déchetterie. Le mot est faible. La baraque, dans chaque recoin, croule sous l’accumulation d’objets hétéroclites : des journaux, des livres, des chaussons, des boites de café vides, un vieux fusil, une 2 CV grippée, mais également des lettres, des photos, des peintures, des dessins, des papiers administratifs, et sur les murs, des toiles orientalistes qui vont servir de trame (et de chapitrage) à Simon Lamouret.

De quoi en tout cas attiser l’imagination de la nouvelle occupante des lieux, vite rejointe par son enfant et ses parents. «C’est toute sa vie qu’on peut y voir. Il suffit de regarder!», lâche justement sa mère. Ainsi, au gré des découvertes, dans un récit polyphonique, chacun va chercher à en savoir plus sur l’ancien propriétaire, qui n’a pas marqué la mémoire des anciens du village.

Si on en croit sa correspondance amoureuse, c’était un coureur de jupons, selon Élise. Pour Rachel, maman curieuse et déterminée, c’était plutôt un peintre accompli, elle qui a manqué sa vocation artistique. Un voyageur libre pour son père Philippe, réactionnaire et obsessionnel.

Un aventurier chasseur de fauves, enfin, pour le petit Antoine, qui aime s’amuser et se perdre dans le jardin, aussi sauvage qu’une jungle. Mieux : rapidement, tous vont projeter un peu d’eux-mêmes dans cet homme et dans ce qu’ils croient avoir été son existence. Quitte à réinventer la leur…

Après ses aventures indiennes où il a vécu un temps – Bangalore (2017) et L’Alcazar (2020) –, Simon Lamouret étonne avec ce jeu de piste, de résonance et de réminiscence, qui passe autant par les mots que par le graphisme.

Déjà, le dessin, saturé à l’extrême par l’utilisation combinée de feutres, de pastels, de gouaches et de crayons, claque à la rétine comme ces tableaux façon Gérôme ou Delacroix. Ensuite, soutenue par un mini-album de quatre titres qui se lance grâce à un QR code, l’histoire s’amuse, dans de réguliers va-et-vient, à tisser des ponts entre le passé et le présent, à mélanger le rêve et la réalité, tout en questionnant au passage le pouvoir de l’imagination et des sujets plus concrets comme l’identité, les regrets enfouis, la mort et l’héritage, sans oublier la reconstruction.

C’est vrai, vider un endroit peut combler d’autres vides. Même si, dans une révélation finale, l’auteur raconte une toute dernière chose et prend tout le monde à revers : «Quand on croit connaître quelqu’un, parfois, c’est juste des idées qu’on se fait…».

L’Homme miroirde Simon Lamouret.
Sarbacane.

L’histoire

«Vente domaniale pour cause de succession vacante. Dépendance de maison de maître, début XIXe. Mise à prix : 25 000 euros.» Il n’en faut pas plus à Élise, quadragénaire citadine, mère tout nouvellement célibataire, que cette annonce lapidaire pour sauter le pas.

C’est décidé, elle quitte tout, la capitale et son emploi de cadre, pour s’installer avec son fils, Antoine, à la campagne. Sur place, elle déchante : il faut débarrasser toutes les affaires de l’ancien propriétaire défunt qui se dresse comme un obstacle entre sa nouvelle vie et elle.

Elle appelle en renfort ses parents, Philippe et Rachel, jeunes retraités. Chacun se met au travail et, à travers les objets dont ils vident les pièces, le portrait de l’ancien propriétaire se dessine.

D’abord mal à l’aise avec cette intrusion dans l’intimité de l’inconnu, les membres de la famille se laissent peu à peu aller à la curiosité et au fantasme…

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