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[Bande dessinée] La complainte du bluesman


Rattrapé par ses démons anciens, Barry sort alors sa guitare poussiéreuse du grenier... Et le revoilà debout pour un nouveau tour de piste ! (Illustration : © Raúl Ariño)

Et si le blues ne pouvait-être joué que lorsque l’on est malheureux ? C’est le postulat que prend l’auteur Raúl Ariño, évoquant l’existence d’un musicien rappelé par d’anciens démons. Un coup de maître.

D’abord, deux citations : «Le blues est facile à jouer, mais difficile à ressentir» et «chaque mauvaise situation est une chanson de blues qui attend son heure»… Voilà, pour faire court, sur quoi repose Bluesman, magnifique BD de Raúl Ariño, qui s’offre là une première incursion en français. Et les deux expressions ne viennent pas de n’importe qui : Jimi Hendrix et Amy Winehouse, musiciens de génie à l’existence chaotique, brûlant la vie par les deux bouts, libres et impertinents, quitte à finir prématurément dans l’Histoire et dans le tristement légendaire club des 27 (NDLR : surnom donné à un ensemble de musiciens célèbres, tous morts à l’âge de 27 ans).

Barry, lui, a choisi de se ranger. Son rêve, il le vit désormais au quotidien avec sa famille – une jolie femme et trois enfants – qu’il chérit par-dessus tout, et un boulot paisible de chauffeur de bus. Car ce talentueux guitariste n’a pas toujours été aussi sage qu’il n’y paraît, et quand son ancien producteur lui remet la main dessus (pour le faire chanter, dans les deux sens du terme), il est brutalement rattrapé par ses démons anciens, autrement plus sulfureux. Sortant alors sa guitare poussiéreuse du grenier, le revoilà debout pour un nouveau tour de piste.

Mais en replongeant dans l’univers chatoyant du blues, ne risque-t-il pas de se retrouver aux prises avec ses vieux démons et… son noir secret ?

Le blues ne peut-il être joué que lorsque l’on est malheureux ? Voilà l’idée de départ que prend l’auteur Raúl Ariño, un auteur plein de promesses à suivre de près. C’est son personnage principal, colérique, jaloux, mais aimant, qui se trouve confronté à ce dur constat, lui à la vie aujourd’hui si pépère, alors qu’il y a dix ans, il faisait swinguer les âmes, notamment celle de son ancienne compagne, qu’il aimait à la folie, à la mort. La même qui, au début du livre, est retrouvée morte au fond du lac avec son amant…

Sans fausse note de bout en bout

Bluesman porte en lui deux caractéristiques majeures : d’un côté, une célébration du blues, de la scène, même, en général, avec ces ambiances enfumées, ces musiciens habités, ces nuits sans fin, l’alcool et la drogue comme compagnes, sans oublier ces instants auréolés de lumière, suivis d’autres de perdition. De l’autre, la trame d’un véritable thriller, mené avec une véritable maestria, et ce, grâce à l’épaisseur de ses personnages, aux rôles bien clairs, sans tomber dans le cliché : le musicien maudit, la femme fatale, le producteur vénal, le pasteur parfait…

Mais c’est dans son approche technique que Raúl Ariño joue au virtuose : à travers un découpage imposant un minimum de cases, donnant à sa BD des airs de «théâtre, de maison de poupée». Par le biais, aussi, d’un dessin franchement original, donnant à ses protagonistes une forme inattendue (gros torse, petite tête, nez allongé, silhouette filiforme…).

L’effet de surprise comble définitivement le lecteur avec un usage splendide de la couleur, un peu comme lorsque l’on découvrait Cyril Pedrosa il y a quelques années. Du noir comme le polar, du rouge comme la passion à fleur de peau (la colère aussi), et du bleu, enfin, pour célébrer le style musical : voilà le nuancier de Bluesman, décidément sans fausse note de bout en bout.

Grégory Cimatti

Bluesman, de Raúl Ariño. Sarbacane.

«Je voulais que la BD ressemble
à une maison de poupée, à un théâtre…»

Pour sa toute première BD traduite en français, l’auteur Raúl Ariño
évoque son travail graphique et son rapport avec le blues. Entretien.

Tout d’abord, êtes-vous fan de blues ?
Raúl Ariño : Oui, j’aime la musique blues mais franchement, je ne suis pas un expert. J’ai été attiré par les biographies dramatiques de certains musiciens. Disons que j’ai décidé d’écrire un faux biopic… d’un faux bluesman.

Pensez-vous que cette musique soit le reflet de la noirceur de l’âme, comme le suggère votre ouvrage ?
Le blues est une musique qui parle des problèmes existentiels et de la souffrance. D’une certaine manière, je le vois comme l’exorcisme des névroses et soucis que ces musiciens rencontrent.

Pour votre personnage principal, Barry, vous êtes-vous inspiré de chanteurs existants ? D’histoires vraies ?
Physiquement, je me suis inspiré de BB King et Muddy Waters. Mais l’histoire est totalement inventée. Je me suis certes nourri de nombreux films, de ma propre vie aussi… L’inspiration est venue de plusieurs façons, d’ailleurs, de nombreux amis m’ont aidé en me donnant des idées… assez cool!

Dans Bluesman, les couleurs sont très importantes. Elles donnent même l’intensité à votre histoire. Êtes-vous d’accord avec cela ?
Totalement! La première version était réalisée dans une couleur plus classique et ça n’a franchement pas marché. J’y ai travaillé des mois entiers jusqu’à ce que je trouve le style et les techniques.

Même vos dessins sont franchement originaux. Pourtant, ils s’accordent bien avec le sérieux du thriller. Comment expliquez-vous cela ?
Je voulais que la BD ressemble à une maison de poupée, à un théâtre, comme si vous la regardiez par le petit trou d’une serrure. J’avais donc besoin de plans larges et d’un dessin assez flou, où le lecteur pourrait finalement compléter l’image avec son esprit. En somme, suggérer plus que montrer!
Recueilli par G. C.

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