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[Musique] L’Eurovision réveille la scène musicale luxembourgeoise


L’artiste qui gagnera la finale nationale, prévue le 27 janvier prochain, ira ainsi représenter le Grand-Duché à Malmö, en Suède, au mois de mai 2024.(Photo Julien Garroy)

Cinquante demi-finalistes de l’antenne nationale de l’Eurovision ont défilé devant un jury, la semaine dernière à la Rockhal. Le Luxembourg compte faire son «come-back» dans le concours avec une nouvelle génération d’artistes motivés et talentueux, qui savent aussi prendre le recul nécessaire.

Ce sont 50 artistes luxembourgeois qui se sont succédé, la semaine dernière, sur la scène du Club de la Rockhal, devant un public très particulier : les cinq membres d’un jury international formé pour choisir le visage et la voix du Luxembourg au prochain concours Eurovision de la chanson.

L’artiste qui gagnera la finale nationale, prévue le 27 janvier prochain, ira ainsi représenter le Grand-Duché à Malmö, en Suède, au mois de mai 2024.

Lorsque RTL, diffuseur et organisateur de l’évènement au Luxembourg, avait annoncé au printemps le retour du pays à l’Eurovision après trente ans d’absence, «ça a secoué toute la scène musicale», jurait Edsun en sortant de sa performance devant le jury.

Pour preuve, ce sont 459 chansons qui ont été reçues lors de l’appel à candidatures. Têtes connues, artistes émergents, indépendants ou anonymes : «L’Eurovision rend curieux tout le monde! Cette initiative donne de la motivation, de l’envie et de l’espoir», poursuit cet artiste complet, chanteur, musicien et danseur, qui a présenté Finally Alive, titre hyperénergique qui continue de creuser la veine R’n’B et pop qui lui sied si bien.

«Une forme de pression»

Edsun est l’un des noms incontournables de la nouvelle scène luxembourgeoise, à l’instar de deux camarades signés eux aussi sur le label Beast Records, CHAiLD, représentant d’un R’n’B étincelant aux accents electro, et Maz, qui se démarque par l’agressivité libératrice du mélange entre rap et metal.

Amis depuis le lycée, CHAiLD et Maz n’ont jamais eu peur de faire s’entrechoquer leurs univers respectifs le temps d’une chanson, voire d’un concert, comme en octobre 2021 à la Kulturfabrik. L’Eurovision se devait donc d’être une aventure vécue en tandem.

«Dès l’annonce officielle du retour du Luxembourg à l’Eurovision, on en a tout de suite parlé, raconte Maz. Pour nous, c’était l’occasion de travailler dans une dynamique différente.»

Dans Night Call, la mélancolie de CHAiLD, portée par un accompagnement délicat au piano, est stoppée en plein élan par le «flow» découpeur de Maz, avant que les deux se rejoignent sur un puissant refrain pop-rock. Le très bon accueil de la chanson, parue début novembre, par le public, est ce qui a «porté» les deux artistes, conscients de «cette forme de pression» induite par leur prestation devant le jury.

«Si ça casse, tant pis, tranche CHAiLD, qui a proposé une autre chanson avec son binôme, ainsi qu’un titre en solo. La clé, c’est de se dire : « Je viens en tant que chanteur, je donne tout ce que j’ai, et si ça ne passe pas, c’est simplement que ça n’est pas ce que le jury recherche. » Il est important que tout le monde s’en rende compte.»

Les mots de l’artiste de 25 ans n’auront pas su calmer le stress d’Irem, dernière artiste de l’écurie Beast à proposer un titre à l’Eurovision, qui se disait «encore nerveuse» au sortir de sa prestation. Ce qui fait relativiser l’interprète du dansant i love you?, c’est la «fierté» de pouvoir participer à un tel évènement et porter haut les couleurs du pays.

Le sentiment est par ailleurs partagé par tous les participants. Une certaine partie d’entre eux n’étaient pas nés, ou encore trop jeunes pour se souvenir de la précédente participation du Luxembourg au concours, en 1993. «On connaît l’histoire, mais pour nous, le Luxembourg à l’Eurovision, c’est une nouveauté», glisse CHAiLD.

«Parler au plus grand nombre»

Le Luxembourg, qui est l’un des sept pays fondateurs de l’évènement né en 1956, a déjà un beau palmarès à son actif, avec cinq victoires entre 1961 (Nous les amoureux, de Jean-Claude Pascal) et 1983 (Si la vie est cadeau, de Corinne Hermès). Mais, sur les neuf artistes de nationalité luxembourgeoise qui ont chanté pour le Grand-Duché à l’Eurovision, seul Camillo Felgen a réussi à se hisser sur le podium : Petit Bonhomme lui a valu la troisième place en 1962, soit deux ans après sa précédente participation qui l’a vu arriver… dernier!

Pour le «come-back» de 2024, des règles ont été imposées. À commencer par l’obligation, pour chaque candidat, de posséder la nationalité luxembourgeoise (ou, du moins, d’être résident depuis plus de trois ans). De l’avis général, c’est une très bonne chose, même si «ce n’est pas ça qui nous rendra France Gall», blaguent certains, en référence au tube Poupée de cire, poupée de son, qui a fait gagner le Luxembourg en 1965.

Ce qui n’empêche pas les artistes de mettre toutes les chances de leur côté. Du côté des organisateurs, on souffle même que le principal producteur de la Suédoise Loreen, double vainqueure et actuelle tenante du titre grâce à Tattoo, aurait composé cette année pour un artiste luxembourgeois…

Certains artistes préfèrent unir leurs forces – et CHAiLD, qui a «beaucoup regardé l’Eurovision», mise sur les débuts de carrière solo prometteurs de lui et de son coéquipier, pour aller jusqu’en finale, comme l’ont fait deux artistes italiens en 2022.

«Si Mahmood et Blanco ont pu le faire, il n’y a pas de raison que CHAiLD et Maz n’aient pas le droit chanter ensemble!» D’autres y sont plutôt allés l’esprit libre, comme les punks en chemise blanche de Schëppe Siwen. Eux ont été parmi les rares à oser les paroles en langue luxembourgeoise – un principe du groupe formé en 2009 – et à avoir passé le premier tour.

Comme la grande majorité des participants, Irem était «sûre de vouloir chanter en anglais». «Je crois que, pour le retour du Luxembourg à l’Eurovision après tant d’années, l’important est de parler au plus grand nombre. Et puis, chanter en luxembourgeois, c’est un peu violent, ajoute-t-elle dans un rire. En tout cas, ça me vient moins naturellement.»

Briser les règles

Pour beaucoup, la question de la langue est une affaire d’habitude et d’instinct – même pour ceux qui chantent la langue de Dicks. À 45 ans et avec une carrière déjà bien remplie, Enzo Guitti a pu montrer son aisance en anglais et en italien (sa langue natale); pour «marquer le coup», l’auteur-compositeur-interprète, installé au Luxembourg depuis ses 19 ans, a candidaté à l’Eurovision avec sa première chanson en français, une «power ballad» intitulée La Nuit.

«Chanter en français, c’est une façon de me démarquer, mais aussi de me poser le défi d’écrire dans une langue à la sensibilité presque féminine, celle des grands poètes.» Son français parlé est irréprochable, mais «pour écrire une prose ensuite mise en musique, il m’a fallu apprendre comment faire», confie-t-il.

Ses efforts n’ont malheureusement pas payé : Enzo Guitti a été éliminé au premier tour, «sans même avoir eu l’occasion de défendre ma chanson devant le jury». Mais il se voit déjà revenir l’année prochaine «en anglais, en italien… ou peut-être en luxembourgeois».

L’artiste pluridisciplinaire Filip Markiewicz a, lui, présenté Midnight Sun, chanson pop dans l’esprit des années 1980, avec son projet musical Raftside. En l’occurrence, une chanson en anglais. «Je me questionne beaucoup : qu’est-ce que l’identité européenne au sein de l’Eurovision?

Tous les pays participants ne se trouvent pas en Europe… Et si l’on prend le concept au pied de la lettre, je devrais chanter en luxembourgeois, non?» Dans sa démarche artistique, Markiewicz a vu avec l’appel à candidatures l’occasion de s’amuser, tout en poursuivant une thématique qui lui est chère. «Je travaille souvent sur l’Europe… et même sur l’Eurovision, puisque j’avais dédié à cet évènement une installation, exposée à Londres pendant le Brexit. Donc, je me suis dit, autant y aller à fond!»

Avec, en tête, l’envie de briser les règles, comme l’avaient fait les «monstres finlandais» de Lordi en 2006 ou, avec beaucoup moins de succès, Sébastien Tellier pour la France en 2008 – une performance que Filip Markiewicz juge pourtant exemplaire.

«Certains artistes du pays, plus jeunes et plus formatés, méritent beaucoup plus que moi d’aller à l’Eurovision!», s’exclame l’artiste, qui n’a pourtant pas boudé le plaisir de «transformer» Midnight Sun, une chanson prévue à l’origine pour son prochain album, «selon le format Eurovision».

Maz et CHAiLD soulignent eux aussi l’intérêt d’avoir «une stratégie dans notre composition, pour que la chanson colle à la fois à ce que l’on attend de nous, mais aussi de l’Eurovision». «Ça ne veut pas dire que notre approche était seulement tactique!, poursuit le rappeur. Écrire ce morceau était un procédé naturel pour nous, ça vient du cœur. C’est honnête, mais on a vu ça aussi comme un challenge.»

«Tout est politique»

Une règle a particulièrement fait tiquer nombre d’artistes : l’interdiction de chanter des «propos politiques». Figure incontournable de la chanson luxembourgeoise engagée, Serge Tonnar s’est fendu d’une lettre ouverte chez RTL, fustigeant «la décision éminemment politique» de faire revenir le Luxembourg à l’Eurovision, «quand les paroles à caractère politique sont interdites».

Filip Markiewicz donne raison à son collègue musicien : «Il me semble que tout est politique, alors cette règle est assez paradoxale. On parle d’un évènement où chaque pays montre son drapeau. Comment peut-on y voir autre chose qu’une forme de « branding » politique?»

Pour sa part, Enzo Guitti rappelle que, si le sujet est banni des chansons de l’Eurovision, la victoire de l’Ukraine en 2022, moins de trois mois après l’invasion russe du pays, avait pourtant tout l’air d’«une décision politique».

S’il ne «boude jamais le plaisir de regarder l’Eurovision», Filip Markiewicz considère néanmoins que cet évènement ultrapopulaire «n’a jamais évolué depuis les années disco». «Politiquement, ça montre la faiblesse de la culture européenne, comme un vide qu’il faut combler.

La mise en valeur de la culture par le bling-bling, c’est très symptomatique de ce qu’est réellement l’Europe – même si l’évènement est produit par les diffuseurs télé.» Et de s’interroger, sourire aux lèvres : «Dans ce cas, pourquoi ne pas faire un Eurovision de l’art contemporain, par exemple?» Davantage intéressé par «le phénomène» que par «son contenu artistique», l’artiste souligne qu’«au-delà du foot, l’Eurovision est le seul moment où l’Europe se regarde».

Cinq à dix finalistes

À l’échelle du Luxembourg, et sur un autre registre, Enzo Guitti ose aussi la comparaison footballistique : «Le Luxembourg est un pays bourré de talents remarquables. Comme l’équipe nationale, qui mériterait de se hisser parmi les meilleures du monde. Dans les deux cas, le problème, c’est la mentalité qui conditionne le tout.»

L’ancien du groupe Moonlight in the Desert se dit «très heureux» que le Luxembourg «ait ouvert la porte à tout le monde, professionnels ou non» pour l’Eurovision, mais note aussi que «certains artistes sont déjà désignés favoris par les radios».

Des signaux contraires qui ont vite fait d’être décourageants, précise Enzo Guitti : «J’ai souvent joué en France et en Italie, mais il n’y a qu’au Luxembourg que j’ai senti qu’il me fallait forcer le destin. Je suis loin d’être le seul à avoir été éliminé au premier tour, mais ce sentiment-là est partagé par de nombreux collègues, même luxembourgeois.»

Avant la fin de l’année, «entre cinq et dix artistes» seront sélectionnés par le jury pour participer à la finale nationale, retransmise en direct sur RTL et au cours de laquelle le public pourra voter pour son candidat préféré. En attendant, les 50 artistes encore dans la course gardent espoir.

«On est des « entertainers », et on a tous montré au jury qu’on méritait d’être là», dit Edsun, définitif. Filip Markiewicz, lui, relativise, en garantissant par expérience que «tout geste artistique est fait dans le but d’entamer un dialogue. Ma doctrine, c’est que chaque geste mène quelque part, même si ça n’est pas là où on veut aller.» Quoi qu’il en soit, c’est bien vers Malmö que tous les yeux sont tournés…

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