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L’héroïne médicale plutôt que l’héroïne de rue


Julie Quintus et le Dr Alain Origer ont présenté hier le rapport d’évaluation du projet pilote, qu’ils qualifient de «réussite». (Photo : Tania Feller)

Dans le cadre d’un projet pilote, des héroïnomanes ont pu recevoir un traitement assisté à base d’héroïne. Après cinq ans de test, les résultats sont positifs.

C’est en 2008 déjà que l’idée émerge au Luxembourg de fournir un traitement assisté à la diacétylmorphine – le terme pharmaceutique de l’héroïne – aux personnes gravement dépendantes chez lesquelles d’autres approches thérapeutiques ont échoué ou dont l’état de santé ne permet pas d’autres types de traitement.

Après plusieurs visites et échanges avec des centres de substitution en Allemagne, en Belgique et en Suisse, le Grand-Duché lance en 2017 son propre programme de traitement assisté à la diacétylmorphine (TADIAM) dans le cadre d’un projet pilote.

Le programme se déroule dans les locaux de la fondation Jugend-an Drogenhëllef (JDH), situés rue d’Anvers à Luxembourg. L’idée est non seulement de superviser la prise d’héroïne par une équipe médicale, mais aussi de fournir le produit, afin d’offrir aux héroïnomanes un cadre sécurisé et une assistance médicale si nécessaire, ainsi qu’un produit pur.

Les doses achetées auprès de dealers sont en effet coupées avec d’autres substances (souvent de la caféine et du paracétamol), comme l’explique le Dr Alain Origer, coordinateur national drogues : «Sur le marché noir, le produit est constitué à 17 % d’héroïne. Le reste, c’est de la crasse. Venir au centre de la JDH permet d’avoir un dosage stable».

Les bienfaits de la stabilisation

De plus, en étant assurés de pouvoir prendre leur dose (une à deux fois par jour), les héroïnomanes se voient enlevée une épine du pied quant à la recherche de drogue et peuvent alors se recentrer sur eux-mêmes.

«Ces personnes ne font généralement rien d’autre que se lever, aller chercher de l’argent (au risque de verser dans la criminalité), trouver une dose et la prendre. Puis tout recommence, encore et encore. Leur donner une molécule propre, de manière contrôlée, permet de décélérer ce rythme», explique le Dr Origer.

En offrant une stabilisation, les héroïnomanes ont alors la possibilité de «s’éloigner de la scène», assure le coordinateur : «Il est possible de s’en sortir. Plein de gens ont fini par arrêter l’héroïne parce qu’ils se sont totalement intégrés. Ils ont réussi à travailler et à avoir une famille, au moins en prenant de la méthadone [un médicament de substitution, NDLR]».

Des patients satisfaits

Les résultats du projet pilote, qui entre dans sa cinquième année et dont l’évaluation a été rendue publique hier, semblent en tout cas le confirmer : 76 % des patients ont arrêté totalement la consommation d’héroïne de rue, indique le rapport, et la plupart des clients ont trouvé une stabilité médico-psycho-sociale.

Depuis la création du programme en 2017, 66 clients ont été substitués à la diacétylmorphine. Vingt-cinq le sont encore actuellement, qui participent au programme depuis plus de deux ans (la durée moyenne est de 27 mois). Les patients eux-mêmes se disent satisfaits tant de la substance (à laquelle ils attribuent en moyenne une note de 8,3/10) que de la prise en charge (8,7/10), qui leur donne un sentiment de sécurité.

«On est absolument satisfaits de cette expérience. Ces résultats nous poussent à continuer et à développer le programme», a commenté le Dr Origer. De fait, le programme, qui fonctionne essentiellement par le bouche-à-oreille, va être prochainement décentralisé.

Décentralisation à Esch

Une autre infrastructure devrait voir le jour à Esch-sur-Alzette, plus de la moitié des patients actuels ayant leur domicile dans le sud du pays. Une décentralisation qui permettrait en outre de toucher davantage de toxicomanes, les locaux de la capitale ayant pratiquement atteint leurs limites.

Il est également envisagé de fournir de l’héroïne par injection intraveineuse. Jusqu’ici, la diacétylmorphine était en effet donnée sous forme de comprimés, le public visé étant des personnes ayant parfois plusieurs dizaines d’années de toxicomanie derrière eux, et donc des veines lésées. Ce qui explique d’ailleurs que la majorité des clients (74 %) a entre 40 et 60 ans et qu’aucun n’a moins de 30 ans (la voie intraveineuse étant préférée).

«L’héroïne provoque un « flash ». C’est d’ailleurs pour cela que la méthadone ne fonctionne pas pour un certain nombre d’héroïnomanes, car il n’y a pas cette période d’environ 30 minutes pendant laquelle ils sont dans un état nirvanesque», explique le Dr Origer. «En proposant cette possibilité, cela pourra attirer une population différente, qui préfère encore s’injecter le produit dans les veines, mais recherche une certaine stabilité.»

Aucun désordre pour les riverains

Ce projet pilote a impliqué que les toxicomanes se rendent une à deux fois par jour dans les locaux de la JDH situés rue d’Anvers, à Luxembourg, la dose devant obligatoirement être prise sur place. L’installation d’un tel centre inquiète parfois les riverains.

Toutefois, a indiqué Julie Quintus, la responsable du programme de substitution, au cours de ce projet pilote mis en place en 2017 : «Il n’y a eu aucune victime de surdosage, pas d’intervention de la police ou de la justice, pas de doléances du voisinage, pas de nuisances aux alentours et pas de tentative de cambriolage de la JDH».

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