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Luxembourg : le nouveau départ des théâtres de poche


Myriam Muller : «La grandeur d’une salle se mesure à la qualité artistique qu’elle propose, pas à sa taille!» (Photo : Bohumil Kostohryz)

Depuis plus de deux ans, à la suite de la crise sanitaire, le Centaure et le TOL sont fermés. Malgré l’appui extérieur, vital, des confrères, les intéressés se disent heureux de retrouver «leurs» petits théâtres. Un bonheur porté par un climat aujourd’hui prospère.

Cette semaine, au TOL, on respire à nouveau à pleins poumons. Un parfum de reprise, un air de recommencement «pour de vrai», affirme sa directrice artistique, Véronique Fauconnet.

Il y a bien sûr ce retour sur scène, depuis jeudi soir, avec la création de Tullio Forgiarini, mais aussi d’autres gestes, d’apparence anodine, qui aujourd’hui signifient beaucoup. Comme le fait, par exemple, de remplir à nouveau le frigo… «Le bar est fermé depuis fin 2019 et la pièce Rabbit Hole. Acheter des boissons, c’est quelque chose de tout bête, mais ça fait un bien fou! Ici, la convivialité est essentielle», dit-elle.

Il y a deux ans, à la suite des mesures sanitaires restrictives et les distanciations imposées, le TOL s’est trouvé dans une impasse. Avec ses maigres 65 places, le calcul était vite fait : il aurait fallu jouer devant sept personnes. Ingérable, ubuesque même. Et bien loin de l’ADN du lieu qui, par sa petitesse, privilégie la proximité et l’échange avec le public.

«Quand on est sur scène ou dans la salle, on ressent le souffle de chaque spectateur. On l’entend réagir, bouger comme une vague. C’est très charnel. Et après la représentation, aller à la rencontre des spectateurs, discuter avec eux, c’est essentiel», soutient-elle encore.

Le Centaure et ses quelque 50 sièges n’en mène pas plus large, confronté à un quota plus restrictif encore. Sa directrice artistique, Myriam Muller, replonge dans ses souvenirs, forcément fâcheux. «À l’époque, on l’a mal pris, mais on ne pouvait que s’y plier. Comment faire autrement? Avec du recul, et en se remettant dans le contexte de la pandémie, on va alors parler de sens civique.»

Le discours, à la longue, est rodé, et l’incompréhension (voire la colère) dissipée, surtout quand la semaine prochaine, son théâtre «de poche», comme elle le définit, rallume les lumières et accueille la production de Marilyn Mattei.

Quand solidarité rime avec flexibilité

Ce qui enthousiasme le comédien Jules Werner, longtemps l’un de ses piliers (il a quitté le conseil d’administration en avril dernier) : «C’est génial de pouvoir retourner dans ce petit espace, à la fois bizarre, sympa et extraordinaire. Même si on descend dans la cave, on a l’impression de rouvrir toutes les fenêtres après un long hiver.» C’est vrai que depuis mars 2020, la saison froide fut longue, bien que soulignée d’une fraternité chaleureuse (et, à ce niveau, nouvelle).

Selon l’équation imparable avancée par Myriam Muller – «eux n’avaient plus de programmation et nous, plus de lieu pour jouer» – les différents théâtres de Luxembourg (Kinneksbond, TNL, Capucins, Grand Théâtre) ont ainsi joué au grand frère, mettant à la disposition de leurs modestes camarades tous les moyens logistiques et techniques pour ne pas les laisser dans le marasme.

«C’est une chance d’avoir un milieu aussi bienveillant», appuie-t-elle, bien que la flexibilité réclamée par un calendrier (pour le coup partagé) serré et les changements de plateaux n’ont rien d’une évidence. «Ne pas savoir dans quelle salle on va se retrouver, c’est compliqué, pour un metteur en scène comme ses acteurs.» Elle lâche même une analogie osée : «C’est comme quand on part en vacances et qu’on se dit que l’on est finalement bien chez soi!»

Oui, on est toujours mieux à la maison, comme le fait valoir sa consœur Véronique Fauconnet, avec quelques nuances : «Cette crise nous a rendus solidaires. Et puis, quand on passe d’une petite salle à une grande, mieux équipée, il ne faut pas bouder son plaisir! Mais parallèlement, on se rend compte à quel point travailler au TOL, c’est agréable : à part nous, il n’y a aucune contingence. On peut gérer à notre guise le planning, travailler dix heures d’affilée, investir le plateau quand on en a envie…»

Cuisine, mariage et vent nouveau

Pour appuyer sa réflexion, elle se rappelle notamment les préparatifs de la pièce Sexe with Stangers, répétée à domicile, mais jouée au studio du Grand Théâtre. «En deux petits jours, il a fallu prendre la mesure de la scène. Ça, c’est rock’n’roll!»

De son côté, Jules Werner se remémore encore Hamlet, répétée et jouée aux Capucins l’année dernière. Et comme sa compagne Myriam Muller, il apprécie les métaphores : «C’est comme quand on a un restaurant familial où tout le monde bosse en cuisine et que d’un coup, on fait des mariages dans d’autres lieux. Le cœur est là, c’est certain, mais il y a une chose qui manque.»

Fábio Godinho, qui sera à nouveau à l’affiche du Centaure en mars 2023, va même plus loin, avouant que le «charme» confiné du petit théâtre ne le quitte jamais vraiment, comme ce fut le cas lorsqu’il travaillait sur EROP, en équilibre entre Mersch, Niederanven et les Capucins. «Certes, on est dans des lieux plus grands, mais on n’oublie à aucun moment que c’est une production maison. Tout est pensé – du décor à la mise en scène – dans l’optique d’y revenir un jour.»

Celle-ci, évidemment, lui a manqué, d’où la joie de l’avoir retrouvée il y a deux semaines à l’occasion d’une séance de travail : «Pour la création, c’est un des meilleurs endroits. Ça peut paraître paradoxal : c’est petit, il y a peu de moyens techniques… mais il y a une liberté folle! Là-bas, je crée sans stress», avoue-t-il. Un attachement qui se renforce avec son tout récent statut de trésorier.

Pour mieux préparer l’avenir, le Centaure a en effet «renouvelé» son équipe avec les arrivées au sein du comité de nouvelles figures (Raoul Schlechter, Daliah Kentges).

Une nécessité selon Myriam Muller : «C’est un vent nouveau dont on avait besoin, car il faut être soudé et volontaire pour faire vivre un tel lieu, souvent comme bénévole et sur son temps libre. Mais on croit à la diversité culturelle : il faut de grands opéras dans de grandes salles, mais aussi des pièces plus modestes dans de petits théâtres. Et il ne faut pas l’oublier : c’est un vivier pour les créateurs et une pépinière pour la culture locale.» La crise sanitaire a d’ailleurs bien mis en évidence cette «force vive», vu que les productions d’ampleur ne «pouvaient plus voyager».

Au frais pour la prochaine canicule

À cela s’ajoute une atmosphère propre à ces théâtres de «promiscuité», adepte du système D et de la communication sans filtre. Actuellement sur la scène du Grand Théâtre pour la reprise de Hedda Gabler, Myriam Muller, comédienne pour le coup, remarque ce besoin presque instinctif d’être «ensemble».

«Ce sont les premiers rangs qui se remplissent, preuve que les gens veulent être près des comédiens. Au Centaure, qu’importe la place où vous êtes assis, c’est le cas!», lâche-t-elle dans un rire. «Ce partage direct, c’est ce que le public apprécie le plus. Idem pour les comédiens», poursuit Jules Werner.

Ce n’est sûrement pas Véronique Fauconnet qui dira le contraire, elle qui, en octobre dernier, avait tenté de faire revivre le TOL avec Le 20 Novembre, unique pièce jouée à domicile cette saison (en dehors d’un spectacle proposé par le lycée Michel-Rodange). «On était content de réinvestir les lieux, mais tout était frileux : il y avait le Covid Check, les tests dans le nez, les masques…»

À l’heure où la bise revient à la mode et que les mains se serrent sans gel hydroalcoolique, cette reprise ouvre d’encourageantes perspectives. «C’est comme un bateau auquel on n’aurait, tout ce temps, utilisé que la voile. Là, on ressort le moteur, les rames… On va aller plus vite!», soutient-elle.

Ce n’est pas la taille qui compte

Même le public semble suivre – la première, jeudi soir, du Retour de Lucienne Jourdain, affichait complet. Cachée au cœur de la salle obscure, la directrice artistique avoue que son «cœur risque sûrement de battre un peu plus fort» que d’habitude.

Celui de Myriam Muller aussi, mais pour d’autres raisons, craignant que le Centaure accuse le coup du fait de cette trop longue absence. «Avant la crise, on était presque à 95 % de remplissage. Là, il va falloir repartir de zéro, ce qui, à mes yeux, est plus difficile que de dire « oh, ma salle a été fermée« . Il va falloir regagner ce public qui s’est dispersé et qui a de nouvelles habitudes. C’est ça, le vrai coup dur.»

Pour elle, donc, un travail de médiation s’impose afin de mieux repartir de l’avant. En attendant, le Centaure prépare sa nouvelle saison et était déjà à l’œuvre mercredi, avec la séance annuelle de photographies illustrant les affiches et la nouvelle brochure.

Dans un dernier élan promotionnel, Jules Werner tient à rappeler tous les bienfaits de cette «cave voûtée», un endroit où l’on sera «au frais» durant la canicule estivale promise.

Myriam Muller n’est pas en reste, et comme pour se sentir plus forte, lâche une énième formule, définitive celle-là : «La grandeur d’une salle se mesure à la qualité artistique qu’elle propose, pas à sa taille!» Un slogan qui pourrait s’avérer utile au prochain confinement…

Le Retour de Lucienne Jourdain
Mise en scène : Tullio Forgiarini
TOL – Luxembourg.
Jusqu’au 10 juin.

Pour quoi faire?
Mise en scène : Marilyn Mattei
Centaure – Luxembourg.
Du 18 au 21 mai. 

La grandeur d’une salle se mesure à la qualité artistique qu’elle propose, pas à sa taille!

Même si on descend dans la cave, on a l’impression de rouvrir toutes les fenêtres après un long hiver…

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