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Pascale Zaourou (CLAE) : «Le terme intégration me gêne fondamentalement»


À l’approche des élections communales, Pascale Zaourou invite à ne pas considérer le faible pourcentage d’étrangers inscrits sur les listes comme un échec, mais à laisser le temps aux graines semées dans les esprits de germer. (photo Hervé Montaigu)

Festival des Migrations, ministère de la Citoyenneté, élections des étrangers : Pascale Zaourou fait le point sur les projets défendus par le CLAE, qu’elle préside depuis près de deux ans.

Pascale Zaourou, qui vit depuis 14 ans au Luxembourg, est très investie dans la vie citoyenne du pays. Il y a quelques années, elle avait ouvert le Schoki, un café social destiné aux enfants à Esch-sur-Sûre, et a écrit un guide pratique sur le Grand-Duché, Le Luxembourg pas cher. Elle préside depuis deux ans le Comité de liaison des associations issues de l’immigration (CLAE), qui rassemble environ 190 associations, et s’apprête à ouvrir sa propre société de services et d’information sur des sujets qui l’interpellent, comme la question migratoire, le concept de citoyenneté ou la monoparentalité, avec toujours comme leitmotiv cette volonté de libérer la parole.

Le festival des Migrations, qui s’est déroulé fin février, a fêté cette année ses 40 ans et a pu revenir à domicile, à Luxexpo. Comment s’est passée cette édition ?

Le bilan de cette édition est très positif, que ce soit en termes de fréquentation (nous avons atteint les 30 000 visiteurs !), ou de retours des associations, visiblement ravies d’avoir participé à l’évènement. Les débats ont également été plus fréquentés qu’à l’accoutumée, ce qui est fantastique, car on y parle de sujets sociétaux. En l’occurrence cette fois-ci : la situation en Iran, la convention d’Istanbul… Caritas avait par ailleurs organisé un sondage grandeur nature lors du festival, afin de connaître ce qui était le plus important pour la population – le logement est sorti en premier. C’était intéressant de proposer un tel format.

Il faut aussi noter que malgré certaines velléités, tout le monde a répondu présent. La guerre en Ukraine ne s’arrête en effet pas aux portes de ce pays, la population biélorusse par exemple est parfois stigmatisée. Or, tout le monde a pu cohabiter dans cet espace. Parvenir à se construire des îlots comme le festival où c’est simplement l’humanité qui s’exprime, c’est formidable. Le festival devrait être un exemple de ce qu’il serait possible de réaliser, du fait que nous pouvons faire société ensemble.

Vous présidez le CLAE depuis près de deux ans. Quel bilan en tirez-vous à ce stade ?

Tout d’abord, je tiens à dire que je suis fière de présider ce comité ! Je suis d’ailleurs la première femme à le présider et en ce mois de mars, c’est notable ! Je tire à ce jour un bilan positif. Les associations que nous représentons s’expriment davantage lors des réunions. Les nouvelles migrations n’ont pas remplacé les anciennes, je respecte l’héritage, mais on évolue et il faut aussi laisser plus de place à ces associations-là.

Vous militez pour la création d’un ministère de la Citoyenneté. Pouvez-vous expliquer en quoi il consisterait ?

Nous voulons changer de paradigme : passer de l’intégration à la citoyenneté. Le terme « intégration«  me gêne fondamentalement. Déjà, il induit une sorte de parcours : quelle génération sera la plus intégrée ? La première ? La deuxième ? Et puis, quels en sont les indicateurs ? Souvent, on parle d’intégration culturelle. Or, celle-ci ne peut se faire sans une intégration structurelle : l’accès à un logement décent, au travail qu’on mérite, à la formation… La plupart du temps, on ne va pas jusqu’au bout du raisonnement et c’est malheureux. Ce terme signifie aussi qu’une personne peut être intégrée et une autre, non, au regard de celui qui juge.

Au CLAE, nous voulons évoluer vers le concept de citoyenneté qui s’exprime de bien des manières : la participation associative, les élections, les initiatives citoyennes… Un mineur par exemple ne vote pas, mais participe pourtant à des initiatives citoyennes, comme les marches pour le climat. Il faut tenir compte de toutes ces expressions.

Nous avons proposé ce ministère aux partis politiques, que nous avons rencontrés pour la plupart. Quel que soit le résultat, pour moi, cela reste une graine de plantée.

Il faut aussi que les politiques prennent l’initiative du multilinguisme lors des réunions et des débats politiques

Cette année, les résidents non luxembourgeois pourront voter aux élections communales même s’ils habitent au Grand-Duché depuis moins de cinq ans. Un espace dédié à l’inscription sur les listes électorales avait été prévu lors du festival des Migrations. Selon les dernières statistiques, ils ne sont cependant que 12,5 % à s’être inscrits. Quel commentaire faites-vous ?

L’application de ce règlement européen est une belle avancée. Malheureusement, les étrangers sont tellement restés à l’écart de la politique qu’aujourd’hui, beaucoup ne savent pas qu’ils peuvent voter. Il faut aller vers les non-Luxembourgeois pour les informer et leur expliquer que les élections communales sont un vote politique de proximité : c’est la décision de construire ou pas une nouvelle maison relais, de fermer ou pas un parc, etc. Ce sont des problématiques concrètes qui touchent à la vie quotidienne.

Mais il faut aussi que les politiques prennent l’initiative du multilinguisme lors des réunions et des débats politiques. Nous avons trois langues officielles, mais force est de constater que la langue politique est le luxembourgeois. Ce qui signifie qu’on peut se rendre à une réunion politique et n’y rien comprendre du tout. Je ne parle pas de la Chambre et la langue peut être vecteur d’intégration (même si je n’aime pas ce mot !), mais en politique communale, il faut être cohérent et si on veut que son auditoire comprenne, il faut s’adapter.

Je ne pense pas qu’on atteindra les 50 % d’inscrits cette fois-ci. Mais ce ne sera pas un échec pour autant. Il ne faut pas se dire « on leur donne le droit, ils ne le saisissent pas« . Je garde espoir pour la prochaine fois, il faut laisser les choses faire leur chemin.

Vous êtes française et vivez au Luxembourg depuis 14 ans. Quelle évolution concernant la question migratoire avez-vous constatée depuis votre arrivée ici ?

Il y a eu clairement une évolution après la crise financière de 2008, dont, au début, on ne pensait pas qu’elle toucherait le Luxembourg d’ailleurs. Il y a alors eu des vagues de retour. Il y a aussi eu l’arrivée des nouvelles migrations, même si au fond, ce sont en fait les mêmes nationalités avec leurs colonies qui ont suivi. Et j’ai constaté une évolution des stigmates raciaux que je ne connaissais pas… C’est le paradoxe de ce pays, dont la moitié de la population est étrangère.

Pour ce qui est de l’appréciation politique de la situation, je me demande si nous ne sommes pas un peu dépassés… On garde les mêmes outils, alors que les choses ont évolué. Par exemple, il y a eu un flottement dans la manière de concevoir l’accueil avec la guerre en Ukraine : il y a eu d’un côté les citoyens de nationalité ukrainienne et d’un autre côté, les autres, qui pourtant vivaient, eux aussi, en Ukraine et subissaient les mêmes conséquences de la guerre. Or le traitement n’a pas été le même et on est parti du principe qu’ils pouvaient retourner dans leur pays d’origine s’ils n’avaient pas de problèmes particuliers dans ce pays, en ignorant totalement les raisons de leur installation en Ukraine. C’est très dommage. On a l’impression qu’il s’agit de dire : l’Europe aux Européens. Mais partant de ce principe, alors la Terre aux terriens !

Monoparentalité

La monoparentalité, c’est l’un des chevaux de bataille de Pascale Zaourou, elle-même maman solo de trois enfants aujourd’hui âgés de 22, 15 et 12 ans. En 2018, un débat avec la ministre de la Famille, Corinne Cahen, avait été organisé dans l’espoir de susciter une prise de conscience de la part du pouvoir public.

Mais depuis, «rien», déplore Pascale Zaourou : «pas d’autres réunions, aucune avancée». Les difficultés des familles monoparentales (des femmes dans leur très grande majorité et bien souvent stigmatisées) ne sont toujours pas entendues et le temps judiciaire, avec des audiences à répétition qui s’étalent sur plusieurs années, n’aide pas à éviter la précarisation. En attendant un changement, c’est le système D : «Nous sommes un groupe de femmes monoparentales et nous nous organisons de manière informelle», fait savoir Pascale Zaourou.

Lire sur ce sujet : Monoparentalité au Luxembourg : la galère en solitaire

Écriture

Pascale Zaourou est l’autrice des Bleus invisibles, un recueil de poèmes sur la violence psychologique conjugale qu’elle a subie.

«J’aime écrire et j’écris pour partager. L’année où cette violence a eu lieu, je consignais tout dans un carnet, dont une page est d’ailleurs reproduite à la fin du livre. On dit que l’écriture est thérapeutique, c’est vrai.

Et j’avais déjà fait mon parcours lorsqu’un jour ma fille m’a dit : « Mais comment prévenir les autres? La violence physique peut se voir, mais pas la violence psychologique. Comment sa nouvelle copine pourra savoir?« .

L’écriture, c’était la seule manière pour moi de prévenir les femmes mais aussi leur entourage. J’aurais pu occulter certains passages que j’estime gênants, mais ça aurait enlevé quelque chose.

J’ai accepté de me mettre à nu parce que je ne peux pas reprocher le fait qu’on ne parle pas de la violence psychologique et en même temps me terrer. Ce serait jouer le jeu. Si ce livre peut aider ne serait-ce qu’une seule femme, le travail est fait.»

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