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La Moselle ne bradera pas son crémant


En refusant de rogner sur leur qualité, comme il en est question en France, les crémants luxembourgeois poursuivent leur route en avant. (Photos : erwan nonet)

Drôle d’ambiance dans la fédération française des producteurs de crémants. Alors qu’il est question d’abaisser les normes, les Alsaciens font sécession tandis que les Luxembourgeois, sûrs de leurs bulles, regardent de loin.

Faut-il encore présenter le crémant? En un peu plus de 30 ans, il s’est imposé comme le produit incontournable des vignerons de la Moselle luxembourgeoise. Tous, ou presque, en élaborent une, voire plusieurs cuvées et les domaines reconnaissent que pratiquement toutes les commandes qu’ils reçoivent comportent au moins un carton.

Et finalement, qu’est-ce qu’un crémant? C’est un vin, souvent composé de plusieurs variétés de raisins (assemblage) mais pas forcément (monocépage riesling, pinot blanc…), qui profite d’une deuxième fermentation en bouteille grâce à l’ajout d’une liqueur de dosage. C’est au cours de cette étape qu’il acquiert ses bulles caractéristiques.

Aujourd’hui, seule la récolte manuelle garantit la qualité nécessaire

S’il est interdit de l’exprimer sur l’étiquette, il s’agit bien de la méthode champenoise, que l’on appelle désormais méthode traditionnelle pour éviter les foudres des gardiens du temple de la région reine des bulles.

Sans cesse comparés aux fameux champagnes, que valent-ils vraiment? Eh bien, pour un prix souvent largement inférieur, les crémants se défendent de mieux en mieux. Et les cuvées haut de gamme n’ont parfois plus grand-chose à leur envier. La raison est simple : les procédés de fabrication sont exactement les mêmes et puisque les bons vignerons mettent de plus en plus de soin dans leurs crémants, le delta entre les deux se rétrécit.

Parce que les consommateurs ne sont pas idiots, au cœur d’un marché morose où la surproduction mondiale fait chuter les prix de nombreuses bouteilles (enfin, surtout les entrées de gamme, l’inflation sur les grandes étiquettes continue de galoper), les ventes de crémant se portent très bien. Au Luxembourg, ils frôlent le tiers de la production totale et ils se vendent toujours aussi bien. Autour de 30 %, c’est beaucoup, mais on est sans doute parvenu à un plateau et il sera difficile de faire plus. À moins d’exporter, mais il faudrait alors affronter d’autres régions productrices particulièrement moins chères, ce qui ne sera pas évident.

Mais que font les Français ?

Tout roule, alors? Au Luxembourg, oui, mais en France, la crise couve. L’an dernier, les Alsaciens ont fait sécession de la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de crémant (FNPEC). Le Luxembourg n’en fait pas partie, bien sûr, mais les relations avec les voisins sont très proches, puisque ceux-ci permettent notamment la participation des Mosellans au Concours des crémants de France et du Luxembourg. Les cahiers des charges luxembourgeois et français sont d’ailleurs presque identiques.

En cause, la volonté sous-jacente de certaines régions d’autoriser l’utilisation de la machine à vendanger pour récolter les raisins qui seront utilisés pour l’élaboration des bulles AOP. Aujourd’hui, c’est totalement interdit, les vendanges doivent être manuelles. Autre souhait d’entorse au règlement : le temps sur lattes, qui dit beaucoup de la qualité et de l’élégance du futur vin, pourrait être réduit de 12 à 9 mois. Ce retour en arrière est justifié par les besoins du marché. Après plusieurs petites récoltes, les caves se sont vidées et certains producteurs voudraient mettre leurs cols plus vite sur le marché pour éviter les ruptures de stock.

À dire vrai, cette réaction va à l’encontre du bon sens. Les vignerons ont passé des décennies à construire une belle image de ce produit autrefois peu valorisé et les voilà que, soudain, ils veulent casser l’outil. L’unité alsacienne a, d’ailleurs, complètement explosé sur ces questions puisque les coopératives et certains gros négociants se sont désolidarisés des producteurs qui, eux, souhaitent rester sur la ligne plus qualitative.

Et au Luxembourg? Paul Thill, le contrôleur des vins de l’Institut viti-vinicole (l’antenne du ministère de l’Agriculture sur la Moselle), est très clair :  «Autoriser les vendanges à la machine pour les crémants et la réduction du temps sur lattes est en fait contraire aux démarches qualité que nous imposons aux viticulteurs».

C’est très simple, ici, «il n’y a pas de débat!», lance à son tour Aender Mehlen, directeur du plus gros faiseur : les Domaines Vinsmoselle. «On ne se pose même pas la question de récolter les raisins pour le crémant avec une machine. Aujourd’hui, seule la récolte manuelle garantit la qualité nécessaire», affirme-t-il. Il ne ferme pas la porte pour le futur, «puisque ces machines sont constamment améliorées et deviennent de plus en plus performantes», mais il n’en est pas question pour l’instant.

 La réglementation au Luxembourg n’évoluera pas vers le bas

Pour Guy Krier, président des vignerons indépendants, l’utilisation de la machine n’est pas une option non plus : «la récolte 2023 a démontré l’importance d’une vendange manuelle si l’on souhaite faire de la qualité.» L’humidité à la fin de l’été avait provoqué pas mal de pourriture dans les vignes, ce qui avait nécessité de trier rigoureusement les raisins pour ne conserver que les plus beaux grains. Et la machine n’est toujours aussi précise que la main du vendangeur.

Quant à la durée de vieillissement sur lattes, la profession est unanime et va même dans le sens inverse puisqu’elle a validé le passage de 9 à 12 mois. «À partir du 1er janvier 2027, tous les crémants luxembourgeois seront au moins un an en cave», confirme Paul Thill. Notons que cette décision n’émane pas d’une autorité supérieure, mais des vignerons eux-mêmes. Ce sont eux, et personne d’autre, qui établissent leur cahier des charges.

«L’élevage sur lies tient une influence considérable sur la qualité de nos crémants. Et c’est dans notre intérêt de maintenir cette qualité élevée. D’ailleurs, presque tous les crémants des Domaines Vinsmoselle reposent déjà sur lies pendant 12 mois», relève Aender Mehlen. Guy Krier est exactement sur la même ligne : «Le temps sur lattes va monter de 9 à 12 mois, mais c’est déjà maintenant le cas pour la majorité des cuvées.»

Dès la création de l’appellation en 1991, les producteurs de crémants luxembourgeois ont fait le pari de la qualité plutôt que celui d’une production de masse bon marché. Ce faisant, ils comptent énormément sur un marché intérieur dont la fidélité ne se dément pas. «Les marges sur le vin et le crémant deviennent de plus en plus étroites et la concurrence des prix dans ce secteur est impitoyable, reconnait Aender Mehlen. Mais nous refusons de participer à ces jeux et trouvons cette évolution regrettable. Nous comprenons les réflexions de nos collègues alsaciens, mais ne pouvons pas les soutenir.» Guy Krier abonde : «Ce qui est certain, c’est que la réglementation au Luxembourg n’évoluera pas vers le bas.»

Malgré tout, le concours des crémants aura bien lieu

Malgré le psychodrame qui se joue depuis l’année dernière au sein de la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de crémants français, le Concours des crémants de France et du Luxembourg aura bien lieu cette année. Le rendez-vous se tiendra le 19 avril à Limoux, dans le sud de la France. Les Alsaciens qui n’y participeront pas, ont créé leur propre concours. Comme chaque année, le Grand-Duché enverra ses bouteilles et ses dégustateurs et «toute la délégation se réjouit déjà!», apprécie Aender Mehlen, directeur des Domaines Vinsmoselle.

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