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Claude Wiseler : «J’ai une certaine conception du mandat de président»


«J’essaie de trouver des compromis, d’arrondir les angles et je n’aime pas devoir faire preuve d’agressivité. Aujourd’hui, cela m’aide à jouer mon nouveau rôle.» (Photo : julien garroy)

Le nouveau président de la Chambre des députés, Claude Wiseler, réputé pour sa nature consensuelle, souhaite changer la façon de travailler de l’institution, plus forte que jamais auparavant.

Vous êtes désormais le premier citoyen du pays. Est-ce un titre que vous avez revendiqué ?

Claude Wiseler : Je ne revendique jamais de poste. Mais je suis heureux qu’on me l’ait proposé. Et je n’ai pas hésité à l’accepter. Je suis bien évidemment content d’avoir eu un vote unanime à la Chambre des députés qui a un rôle primordial à jouer, et le poste de président me permet aussi de jouer un autre rôle en politique, que je ne connaissais pas et que j’apprends à connaître.

Le fait d’avoir été élu par 60 députés, comme d’ailleurs la plupart des autres présidents avant moi, démontre la confiance que les parlementaires accordent au président. Maintenant, je découvre ma mission et je me rends bien compte que je ne peux plus parler de politique quotidienne, que je ne peux plus vraiment intervenir en salle plénière ou ailleurs. Et après une trentaine d’années passées à différents postes au sein du CSV, y compris comme tête de liste, j’ai encore des réflexes que je dois maîtriser.

J’ai une nature plutôt consensuelle, et on me l’a parfois reprochée. J’essaie de trouver des compromis, d’arrondir les angles et je n’aime pas devoir faire preuve d’agressivité. Aujourd’hui, cela m’aide à jouer mon nouveau rôle qui est celui de veiller sur une institution qui ne représente pas seulement la majorité, mais également l’opposition.

Comment décrivez-vous votre rôle ? Plutôt comme un arbitre ?

Mon rôle est de garantir que les débats d’idées se déroulent dans des conditions dignes d’une démocratie. Le président de la Chambre doit veiller à ce que les vrais débats se passent à la Chambre, là où est institutionnellement leur place. La liberté d’expression, dont l’immunité parlementaire est le symbole, doit être garantie, même si le président n’est pas forcément d’accord avec toutes les opinions exprimées. J’estime cependant également que le président peut jouer un autre rôle, qui est de s’exprimer sur des sujets généraux de politique, sur les grandes questions sociétales, de lancer des débats qui paraissent importants pour la société. C’est un rôle que j’espère avoir l’occasion de jouer.

Vous avez émis le souhait de moderniser le Parlement. Quelles seront vos priorités ?

Mon second rôle est, effectivement, de veiller à moderniser cette institution vénérable. La Chambre aujourd’hui a des difficultés à véhiculer vers l’extérieur tout ce débat d’idées qui se passe à l’intérieur de la Chambre. Les grandes discussions qui y sont menées n’ont pas toujours le retentissement qu’elles méritent. Donc nous devons moderniser notre façon de travailler. C’est un des gros chantiers.

Comment comptez-vous vous y prendre ?

J’ai proposé à la Conférence des présidents d’aller à la rencontre de tous les groupes parlementaires et toutes les sensibilités politiques pour discuter d’un certain nombre de sujets, par exemple de la publicité des commissions à laquelle je suis favorable pour des raisons de transparence. Reste à voir comment c’est réalisable, techniquement, et sous quelles conditions. Ce n’est pas à moi de décider, car le président n’a pas de pouvoir de décision, mais de proposition. D’ici le mois de janvier ou février, je soumettrai des idées aux députés. Pour les journalistes, cela va changer beaucoup de choses et il faudra voir comment faire avec notre communication par la suite.

Il faut que la Chambre prenne conscience des nouveaux pouvoirs qui lui sont attribués

La publicité des commissions va-t-elle forcément entraîner des changements pour les débats en plénière ?

Oui, bien sûr. Des débats qui ont déjà eu partiellement lieu en commissions n’ont plus besoin d’être repris dans toute leur complexité technique en plénière. Il faudra revoir les temps de parole et le rythme de nos débats. Je propose de revoir le déroulement des plénières, de les rendre plus audibles et accessibles pour ceux qui se donnent la peine de les suivre. Je pense aux journalistes qui doivent écouter des discours d’une heure pour en extraire une ou deux phrases et c’est le même problème pour les députés, d’ailleurs. Si on arrive à condenser les débats pour les rendre plus intéressants, on rend service à tout le monde.

Quel travail réaliser en commissions et quels débats mener en plénières ? Les choses seront plus distinctes ?

Tout le travail technique et légistique ainsi que l’analyse des différents avis reçus doivent se dérouler en commission. Il ne suffit pas d’analyser l’avis du Conseil d’État et de se limiter à rectifier les oppositions formelles, comme cela se passe parfois parce qu’on est pressé par le temps.

C’est exactement ce que regrettent les chambres professionnelles et toute autre institution qui formulent des avis peu pris en considération par les députés…

Exactement. Il faut essayer ensemble de mieux définir le travail du rapporteur qui, en plénière, doit présenter le texte et le résultat des discussions menées en commissions. Les orateurs des différents partis ne sont pas censés répéter ce qui a déjà été dit, mais livrer leurs opinions politiques. En résumé, il faudrait être plus court et plus précis sur ce que l’on veut, politiquement parlant. Le débat technique doit se faire en commissions, en toute transparence.

Vous êtes également le président de la « nouvelle Chambre » à qui la Constitution accorde plus de pouvoirs. Comment allez-vous les utiliser ?

Il faut que la Chambre prenne conscience des nouveaux pouvoirs qui lui sont attribués. Juridiquement et institutionnellement, c’est la Chambre la plus forte que ce pays ait connue. Il faut utiliser ces moyens de façon efficiente. L’opposition a le pouvoir de demander, aujourd’hui, une commission d’enquête avec 20 députés et la majorité ne peut pas la bloquer. La commission d’enquête a des pouvoirs importants et une retombée médiatique conséquente.

Il appartient à l’opposition, ou à la majorité si nécessaire, de l’utiliser à bon escient, car c’est un moyen de contrôle très efficace. Si on ne veut pas qu’ils perdent en crédibilité, il ne faut pas les utiliser à tort et à travers, mais trouver un équilibre satisfaisant. Nous avons aussi, comme autres instruments, le vote de confiance et le vote de défiance qui renforcent le Parlement. La Constitution nous a donné une place plus centrale dans la vie politique luxembourgeoise.

Je crois fondamentalement que nous devons faire très attention à ne pas faire un simple travail de communication, mais veiller au contenu, aussi. Nous sommes responsables des textes que nous faisons et que nous amendons. Le Parlement, c’est une grande machine dans le traitement législatif qui a une exigence de qualité.

Disposez-vous de ressources humaines suffisantes pour mener à bien cette modernisation ?

Oui. Je n’en étais pas conscient à l’époque, je l’avoue, mais je viens de faire le tour de quasiment tous les services et je vois que l’on dispose d’énormes ressources de qualité à la Chambre des députés. Cette administration fournit un impressionnant travail de support avec, entre autres, un service des commissions, un service juridique, un service de logistique, une section scientifique, des historiens, des archivistes qui sont autant de personnes-ressources à la disposition des députés.

Les questions parlementaires sont très nombreuses, mais le gouvernement ne prend pas toujours la peine de fournir des réponses claires à des questions claires, et pèche parfois par omission…

Je suis tout à fait prêt à accepter qu’on repose les questions auxquelles le gouvernement n’a manifestement pas répondu. La Constitution et nos textes disent très clairement que les députés ont le droit de poser des questions, donc implicitement de recevoir des réponses. Lorsqu’il y a une réponse que, pour une raison ou pour une autre, l’on ne peut pas donner, alors on le dit.

Les citoyens peuvent déposer une pétition, ils peuvent aussi, sous certaines conditions, proposer des textes de loi. Est-ce suffisant pour satisfaire votre volonté d’ouverture vers l’extérieur ?

Toute cette poussée participative est très positive, je pense aussi aux multiples forums et comités de citoyens, mais elle ne remplace pas la légitimité démocratique qui reste au Parlement. Il faut trouver cet équilibre entre participation, discussions, ouverture et prise de responsabilités qui, elle, revient toujours aux députés.

D’aucuns, comme déi Lénk ou l’ADR, remettent en cause la légitimité démocratique du Parlement qui, avec 47,9 % des voix, dispose d’une majorité de 35 sièges. Faut-il songer à une réforme de la loi électorale ?

Tout système peut être critiqué et a ses torts. Il faut cependant faire attention aux changements de systèmes électoraux qui ont servi et ont été acceptés pendant des décennies sans être véritablement contestés. Je suis d’avis que tout changement de système électoral nécessite un large consensus.

«L’opposition a le pouvoir de demander, aujourd’hui, une commission d’enquête avec 20 députés et la majorité ne peut pas la bloquer.»

Et le nombre de 60 députés, faut-il revenir sur ce nombre pour coller à l’essor démographique ?

Ce nombre permet aujourd’hui de représenter la large palette des opinions politiques et même de permettre l’entrée à la Chambre des nouveaux partis, comme les pirates en 2018. Je ne suis pas un défenseur inconditionnel du système, on peut en imaginer d’autres, mais, encore une fois, il faut obtenir un large consensus sur le sujet avant de changer de système. Ce qu’il faut éviter, c’est la remise en question de la crédibilité de notre processus électoral et, par conséquent, de la Chambre.

Vous avez abandonné votre casquette de président du CSV. Était-ce une décision difficile ?

C’était important et très difficile pour moi. Important, parce que rien ne m’y obligeait, juridiquement. Mais j’ai une certaine conception du mandat de président de la Chambre des députés et l’exigence de neutralité liée à l’exercice de la fonction était à mes yeux incompatible avec les tâches d’un président de parti. C’était très difficile aussi parce que j’adorais ce job de président de parti.

De plus, je considère qu’il faut se consacrer à plein temps à la tâche de président de la Chambre et qu’il était complètement inconcevable de préparer par exemple en même temps une campagne électorale européenne, charge revenant cependant à un président de parti. On ne peut pas tout faire en même temps. Aujourd’hui, je suis content de voir une nouvelle génération de femmes et d’hommes politiques qui se met en place.

Est-ce que vous étiez malheureux dans l’opposition ?

Malheureux, non. J’ai beaucoup mûri au cours de ces dix années et être dans l’opposition vous apprend l’humilité et la patience.

Repères

Études et formations. Après des études secondaires à l’Athenée de Luxembourg (1972-1979), Claude Wiseler s’inscrit à l’université Paris-III (Sorbonne-Nouvelle), où il obtient une maîtrise de lettres modernes et une licence en littérature générale et comparée (1983). En 1989, il passe son doctorat à l’université de Paris-Sorbonne.

Fonctions ministérielles. Claude Wiseler est nommé ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, ministre des Travaux publics en date du 31 juillet 2004. Et enfin, ministre du Développement durable et des Infrastructures de 2009 à 2013.

Opposition. Après les élections de 2013, Claude Wiseler rejoint les rangs de l’opposition. Chef de la fraction CSV à la Chambre des députés, il est désigné tête de liste pour les élections législatives de 2018. Il échoue et reste dans l’opposition.

Profession. De 1983 à 1987, il est professeur de français. Il est ensuite professeur attaché au ministère de l’Éducation nationale, avant d’occuper le poste de conseiller de gouvernement au ministère de la Famille et de la Solidarité sociale ainsi qu’au ministère des Classes moyennes et du Tourisme.

Président. À la suite de la démission de Frank Engel, Claude Wiseler reprend la présidence du CSV en avril 2021. Il sera tête de liste en 2018. Il est désormais le nouveau président de la Chambre des députés depuis le 21 novembre 2023.

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