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[Gardiens de la nature] Natur&ëmwelt : «Nous n’avons plus le temps d’attendre»


Pour Roby Biwer, «il n’est pas nécessaire de détruire la nature pour bâtir des logements». (Photo : archives editpress)

Acteurs essentiels de la sensibilisation du grand public et de la protection de l’environnement au sens large, les responsables de natur&ëmwelt livrent leur regard sur l’actualité.

Nous avons rencontré le 15 décembre Roby Biwer (président de natur&ëmwelt), Claudine Felten (directrice) et Lieke Mevis (conseillère nature, chargée de communication). Au cours de ce long entretien, ils sont revenus sur une fin d’année bien remplie autour des questions environnementales. Changement de gouvernement, COP28 sur le climat à Dubai, COP15 sur la biodiversité à Montréal, derniers chiffres alarmants sur l’état de la biodiversité à l’échelle terrestre, mais aussi luxembourgeoise sont des thèmes sur lesquels leurs avis d’experts comptent.

Voici la première partie de cette grande interview, la seconde paraîtra le week-end prochain.

Pendant dix ans, le ministère de l’Environnement a toujours été tenu par un écologiste. A posteriori, comment jugez-vous cette période?

Claudine Felten (directrice de natur&ëmwelt) : Il s’est passé davantage de choses en faveur de l’environnement que lors des 50 années qui ont précédé. Pour autant, ce n’était pas encore suffisant compte tenu de l’urgence dans laquelle nous nous trouvons.

Roby Biwer (président de natur&ëmwelt) : Pour donner un exemple, le Pacte nature et le Pacte climat ont incité beaucoup de communes à réfléchir à ce qu’elles pouvaient faire. Elles se sont même rendu compte que cela ne coûtait pas forcément beaucoup d’argent. Ne pas utiliser d’herbicides, tondre moins souvent : pour finir, ce sont des économies! Ces outils ne sont pas parfaits et ils devraient être plus précis et plus exigeants. Néanmoins, maintenant ils existent et les communes se les sont appropriées.

Il existe des solutions, il suffit de se réunir pour les mettre en pratique

Avez-vous déjà rencontré le nouveau ministre de l’Environnement, Serge Wilmes (CSV)?

R. B. : Pas plus tard qu’hier, j’ai à nouveau contacté son bureau ainsi que celui de la ministre de l’Agriculture (NDLR : Martine Hansen, CSV) pour leur rappeler que ma demande de rendez-vous était toujours sans réponse. J’ai cru entendre qu’ils n’ont pas encore commencé de rencontres bilatérales et je comprends bien qu’ils aient besoin d’un peu de temps pour se familiariser avec leurs dossiers. Mais nous voulons justement les aider en étant leurs partenaires pour la protection de la nature, de la biodiversité et du climat!

Cet accord de coalition nous laisse sur notre faim, il manque d’ambition

Que pensez-vous de l’accord de coalition, qui devrait définir la politique environnementale du gouvernement?

R. B. : Nous jugerons leurs actes sur pièce, en leur donnant la chance de nous prouver qu’ils sont volontaires. Enfin, cet accord de coalition nous laisse sur notre faim, il manque d’ambition…

C. F. : Il n’approche pratiquement pas la question de la biodiversité, qui est pourtant une question fondamentale aujourd’hui. De prime abord, c’est décevant.

Sur les pancartes électorales, on pouvait voir le nouveau premier ministre scander «  Méi Bauen, méi Schnell » (« Davantage construire, plus vite »). Une fois élu, il exprimait sur RTL que les fonctionnaires du ministère de l’Environnement ne devaient peut-être plus appliquer à la lettre les règlementations. Qu’en concluez-vous?

R. B. : Que c’est inquiétant! D’autant qu’il n’est pas nécessaire de détruire la nature pour bâtir des logements.

C. F. : Aujourd’hui, il est possible de construire en ville des maisons passives qui offrent de bonnes conditions d’épanouissement pour la biodiversité. Avec des toits verts, des façades végétales… Il existe des solutions pour que de nouveaux bâtiments n’écrasent pas la nature. Il suffit de se réunir pour les définir et les mettre en pratique. Mais ce qui m’inquiète davantage, c’est ce qu’a dit ce matin le ministre de l’Économie (Lex Delles, DP) à la radio. Il souhaite construire de nouvelles zones industrielles, donc à l’extérieur des villes et avec de grandes chances pour qu’elles soient dans des zones vertes.

R. B. : C’est exactement le contraire de ce qui a été dit ces dernières années…

Lieke Mevis (conseillère nature et chargée de communication de natur&ëmwelt) : Mais là aussi, nous pourrions trouver des solutions. Il existe encore beaucoup de friches polluées. Utilisons-les pour implanter de nouvelles entreprises! D’autant que je ne pense pas que l’on parle d’industrie lourde.

L’actualité internationale a été beaucoup occupée par la COP28, qui vient de s’achever sur un accord à Dubai. Que vous a inspiré ce rendez-vous?

R. B. : N’oublions pas que cela restera comme l’évènement le plus polluant de l’année. J’ai un avis mitigé sur la question. Oui, un accord a été signé, c’est un progrès. Mais il a fallu 28 COP pour arriver à ça? Je me demande ce que l’on signera lors de la COP50, lorsqu’il sera de toute façon trop tard. Nous n’avons plus le temps d’attendre. Si la prochaine COP n’accouche pas d’une grande décision respectée par tous, nous aurons perdu notre chance d’inverser le cours des choses. La vérité, c’est que nous ne maîtrisons toujours pas l’évolution du climat et que nos problèmes ne vont faire qu’empirer. Or les responsabilités en incombent en grande partie aux « grands joueurs », États ou grandes entreprises, qui trouvent systématiquement le moyen de se ménager des échappatoires par rapport aux décisions qui ne les arrangent pas.

La crise de la biodiversité est peut-être encore plus grave que la crise climatique

En décembre 2022, vous participiez à la COP15 sur la biodiversité qui avait lieu à Montréal. En avez-vous retiré davantage d’éléments positifs?

R. B. : Oui parce qu’elle a incorporé en son sein les entités subnationales – comme les villes, les régions, les communes… – en les considérant en tant que grands acteurs. On a pu se rendre compte que ces questions étaient particulièrement prises au sérieux et que l’on pouvait faire des choses importantes à cette échelle pour lutter contre la baisse rapide de la biodiversité.

Justement, le grand public ne se rend pas bien compte de l’incroyable déclin qu’a connu la biodiversité ces dernières années, comme le montrait cette étude publiée en 2017 qui démontrait que la biomasse des insectes présents dans 63 parcs naturels allemands avait diminué de 75 % en 27 ans…

C. F. : Encore plus récemment, Axel Hochkirch, le conservateur de la section Écologie du musée national d’Histoire naturelle du Luxembourg, a publié une étude reprenant l’état des connaissances sur la baisse de la biodiversité et il en ressort qu’en 2050, la moitié des espèces pourrait avoir disparu. La crise est réelle, nous n’avons plus le temps d’attendre.

R. B. : D’autant que la masse biologique diminue elle aussi. Il y a beaucoup moins d’animaux qu’avant. Les moineaux, par exemple, on n’en voit plus beaucoup aujourd’hui alors qu’ils étaient très communs il y a peu.

C. F. : Et il ne faut pas oublier que nous faisons partie de ce tout, qui est interdépendant. Nous ne connaissons pas toujours la fonction des espèces dans les écosystèmes, mais sans doute que si certaines disparaissaient, tout un pan de la biodiversité pourrait s’effondrer. La crise de la biodiversité est peut-être encore plus grave que la crise climatique.

R. B. : Est-ce qu’il y aura un palier à partir duquel tout finira par s’écrouler? Nous ne le savons pas. C’est un peu comme une toile d’araignée : elle tient quand on enlève quelques fils, mais à un moment, elle s’effondre.

Vous retrouverez la suite de cette interview le week-end prochain. Nous y aborderons les quelques bonnes nouvelles venant de l’environnement, les bonnes pratiques mises en œuvre, mais aussi le corollaire de leur efficacité : les indispensables ressources financières, si difficiles à réunir.

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