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[Cinéma] Liliana Cavani à la recherche du temps


Le face-à-face le plus touchant du film est celui entre Enrico et Paola, restés éperdument amoureux malgré leurs trajectoires de vie différentes. (Photo : vision distribution)

Amour, amitié, trahisons et fin du monde se donnent rendez-vous dans L’ordine del tempo, dernier film de Liliana Cavani, doyenne du cinéma italien, toujours aussi curieuse mais vaguement inspirée.

En 1987, le groupe américain R.E.M. prévenait : «It’s the end of the world as we know it», avant de temporiser. «And I feel fine…» Quand Luciano Ligabue reprendra cette chanson en italien, dans une version taillée pour les stades, le refrain deviendra une question : «A che ora è la fine del mondo?» L’acceptation de la fatalité, ou l’anxiété de son imminence. On n’entend ni l’une, ni l’autre version de la chanson dans L’ordine del tempo, mais il semble que ce sont ces mêmes sentiments face à la fin du monde que croise et questionne Liliana Cavani.

Dans sa dernière fable (et son premier film en vingt ans), la cinéaste livre une œuvre sur le temps et sa fin. Ou pas… Car, en se réappropriant L’Ordre du temps, un essai de Carlo Rovelli entre réflexions sur les mystères du temps et vulgarisation scientifique, elle s’inspire des théories du physicien (et autorité scientifique sur le film) pour conter sa propre conception du sujet.

«Persécuté par le temps»

«On est persécuté par le temps», assurait Liliana Cavani au Corriere della Sera, en marge de la présentation du film hors compétition à la dernière Mostra de Venise, qui l’avait en même temps récompensée pour l’ensemble de sa carrière. Et la doyenne du cinéma italien (91 ans) d’ajouter, sûre d’elle : «Personnellement, je ne me sens pas persécutée par le temps ! Mais disons que c’est ainsi que vont les choses.»

C’est aussi ce que vivent les personnages de son film, un groupe d’amis réunis dans une villa en bord de mer pour célébrer les 50 ans d’Elsa (Claudia Gerini) : en couple ou anciens amants, infidèles endurcis ou rivaux inavoués, tous vont se confesser leurs secrets, leurs regrets, leurs trahisons, et tenter de refermer de vieilles plaies en attendant la fin du monde, annoncée comme imminente lorsqu’un astéroïde entrera bientôt en collision avec la Terre.

J’ai toujours voulu savoir ce qu’il y avait dans le ciel, connaître un peu l’univers

L’acteur Edoardo Leo, qui dans le film incarne Enrico – un physicien qui tente de comprendre en temps réel les probabilités d’impact de l’inéluctable rocher –, analyse : «Je n’ai pas la compétence scientifique ni pour réfuter ni pour confirmer des choses de type académique, mais il est certain que le film (tourne) autour de la perception que nous avons de notre temps, (…) inévitablement liée à notre état d’âme.» Son personnage est, lui, doublement anxieux de retrouver ses amis, pour la terrible nouvelle d’abord, et surtout parce qu’il redoute de revoir Paola (Ksenia Rappoport), dont il est resté éperdument amoureux.

Leur face-à-face, troublé par la présence de Viktor (Richard Sammel), compagnon de Paola, est le plus touchant du film. D’autres révélations incluent les infidélités de Pietro (Alessandro Gassman), mari d’Elsa et hôte des retrouvailles; les moments perdus, manqués, envolés, reviennent au présent à l’heure des comptes.

«J’ai toujours voulu savoir ce qu’il y avait dans le ciel, connaître un peu l’univers», confiait la réalisatrice, toujours à Venise en août dernier, cette fois au Hollywood Reporter. Elle qui a «étudié les lettres antiques» rappelle que les premières questions sur l’univers remontent à la Grèce, six siècles avant notre ère. Selon Liliana Cavani, l’homme n’a pas uniquement besoin «de se nourrir, mais aussi de savoir. Sinon, il n’y aurait pas eu la science.» Alors elle-même a tenté de comprendre le temps, grâce aux longues discussions eues avec Carlo Rovelli, qui a «souhaité partager (avec elle) son goût pour les mystères scientifiques».

Une cinéaste qui n’est «pas seulement une réalisatrice»

Comme le reste de la troupe d’acteurs, Claudia Gerini ne tarit pas d’éloges sur la cinéaste, «pas seulement une réalisatrice», mais «une sorte d’icône, une « maestra » qui a fait l’histoire du cinéma italien». Liliana Cavani, auteure de films coups-de-poing tels que les sulfureux Portiere di notte (1974) et Al di là del bene e del male (1977), ou le superbe film d’anticipation I cannibali (1970), s’est aussi démarquée par ses documentaires politiques ou sa fascination pour François d’Assise (à qui elle a dédié trois films!). Si son actrice ne manque pas de clamer que «ses films ont toujours été en avance, visionnaires, forts, spéciaux» et qu’elle «a toujours contribué à raconter les aspects de l’humain les plus sauvages, donc les plus vrais», encore selon Claudia Gerini, Liliana Cavani tord l’ordre du temps pour en faire un moteur du scénario, à hauteur des humains et de leurs sentiments.

Le concept, osé, marque surtout dans ses rares épiphanies «cavaniennes», à l’image de discussions entre une scientifique en mal de compréhension et une nonne. «Soyons sincères, réclame la cinéaste. Un film, on le fait avant tout pour soi. On se le raconte à soi-même, en espérant qu’il y ait beaucoup de gens qui nous ressemblent.» Mais celui-ci, malgré une certaine délicatesse, ressemble en bien des aspects à un téléfilm – qui, sur la fin du monde comme sur les sentiments, ne nous apprendra pas grand-chose…

L’ordine del tempo, de Liliana Cavani.

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