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[Exposition] La grande ménagerie de Rosa Bonheur


Pour fêter le bicentenaire de la naissance de Rosa Bonheur, plusieurs expositions en France sont présentées au public. L’occasion de (re)découvrir l’artiste féministe, une peintre qui «humanisait les animaux».

Rien de moins qu’«une exposition d’intérêt national», selon le préfet de Nouvelle-Aquitaine. Et aussi un rappel par le maire de Bordeaux : «Des engagements écologiques avant l’heure et un insatiable esprit de liberté qui en fit l’une des pionnières du féminisme.» Ce qui vaut bien, au minimum, une belle exposition d’abord à Bordeaux puis à Paris l’automne prochain pour Rosa Bonheur, «la peintre qui humanisait les animaux», selon la définition d’un critique d’art parisien. «Rosa forever!», s’exclament d’une même voix Sophie Barthélémy, directrice du musée des Beaux-Arts de Bordeaux, et Christophe Leribault, président de l’Établissement public du musée d’Orsay-Paris. L’intitulé de l’exposition : «Rosa Bonheur (1822-99)». Tout simplement.

En cette année de bicentenaire de la naissance (16 mars 1822 à Bordeaux) de la peintre et sculptrice, Marie Rosalie Bonheur, dite Rosa Bonheur, est au centre de nombre d’hommages. On évoque «le carnaval des animaux de Rosa Bonheur». On insiste sur le caractère de cette «femme naturellement libre» qui, dans un siècle comme le XIXe, a vécu une existence hors du commun. On chante aussi cette «ménagerie extraordinaire» qui l’entourait, avec chiens, chevaux, singes et même… sangliers! Elle affirmait : «Les bêtes nous comprennent toujours.»

On lit également, dans J’ai l’énergie d’une lionne dans un corps d’oiseau, la biographie de Patricia-Bouchenot-Déchin, des mots de Rosa Bonheur prononcés en 1898 : «Je n’ai jamais consenti à aliéner ma liberté sous aucun prétexte.» Rosa Bonheur, une femme puissante donc – comme il est de bon ton de qualifier aujourd’hui une femme qui ne craint pas de prendre sa vie en main. En présentation de l’exposition, il est indiqué : «Je ne me plaisais qu’au milieu de ces bêtes, je les étudiais avec passion dans leurs mœurs. Une chose que j’observais avec un intérêt spécial, c’était l’expression de leur regard : l’œil n’est-il pas le miroir de l’âme pour toutes les créatures vivantes? N’est-ce pas là que se peignent les volontés, les sensations des êtres auxquels la nature n’a pas donné d’autre moyen d’exprimer leur pensée?».

À Bordeaux, les cocommissaires Sandra Buratti-Hasan et Leïla Jarbouai ont voulu «faire (re)découvrir au public la puissance et la richesse de l’œuvre de Rosa Bonheur» et rappellent les méfaits de l’histoire : «On lui a collé une étiquette de peintre réaliste et académique qui n’intéressait plus après la période des avant-gardes. Et puis ses œuvres, dispersées, étaient difficiles à voir». Elles ont alors plongé dans l’immense corpus de l’artiste et retenu une sélection de plus de 200 œuvres (peintures, sculptures, photographies) issues de collections publiques et privées d’Europe et des États-Unis.

Ainsi, on peut, au fil de la visite, admirer des tableaux essentiels de l’artiste bordelaise, tels Le Roi de la forêt (un majestueux cerf), La Foulaison du blé en Camargue (la beauté et l’énergie de chevaux à demi sauvages), Le Labourage nivernais (des bœufs travailleurs de la terre, acclamé au Salon de Paris 1849) ou encore Le Marché aux chevaux (1853). Rosa Bonheur a grandi dans le quartier St-Seurin à Bordeaux. Famille d’artistes, quatre enfants. Toute jeune, elle griffonne, crayonne – surtout des animaux.

Son père, lui-même portraitiste, lui transmet les bases de l’art qu’il a reçues de Pierre Lacour, directeur de l’école municipale de dessin de Bordeaux qui disait et répétait : «Il ne faut pas s’attaquer d’emblée à une toile définitive. Une pochade ne suffit pas, il faut faire des études sérieuses. Vous recueillerez ainsi des documents qui vous resteront et que vous pourrez consulter sans cesse.» Jamais, de toute sa vie d’artiste, Rosa Bonheur n’oubliera ces recommandations. Elle offrira à la postérité des œuvres au format XXL, à la précision photographique. Sandra Buratti-Hasan commente : «Elle souhaite donner à la peinture animalière les mêmes lettres de noblesse que celles de la peinture d’Histoire».

«Vestale de l’art, égérie du féminisme, éprise de liberté et d’idéal», comme le souligne l’historienne et romancière Patricia Bouchenot-Déchin, Rosa Bonheur a bousculé son époque. Se jouant des règles de la société du XIXe siècle, elle porte le pantalon, ne craint pas d’aller dans les abattoirs pour observer l’anatomie de ses sujets, se moque de la domination masculine… Elle est la première récipiendaire de la légion d’honneur en 1865. Elle est aussi la peintre la plus connue et celle qui vend le plus. Elle voyage à Londres, dans les Highlands, à la French Riviera, croise le chemin de Buffalo Bill, vit avec une femme et sa mère…

Indépendante financièrement, elle est la pionnière de l’écoféminisme. Encore Sandra Buratti-Hasan : «Elle est une icône LGBTQI+ car elle a vécu avec des femmes et s’est libérée des entraves assignées à ce qu’on appelait à l’époque le « sexe faible ». Il y a d’un côté l’image d’une femme virile, cigarette aux lèvres, coupe garçonne et pantalon, qui peint taureaux, lions et étalons. Mais en même temps, elle n’entre pas dans des cases : à côté des animaux puissants, il y a les délicats faons et biches qu’elle peint à l’aquarelle, tout en douceur, avec des pinceaux ronds, les paisibles brebis et moutons qui étaient parmi ses animaux favoris… Elle a toujours déjoué les codes. Tous les codes.»

Les bêtes nous comprennent toujours!

«Rosa Bonheur (1822-1899)»

Musée des Beaux-Arts – Bordeaux.

Jusqu’au 18 septembre.

«Rosa Bonheur intime»

Château de By – Thomery.

17 septembre / 30 janvier 2023.

«Capturer l’âme. Rosa Bonheur et l’art animalier»

Château – Fontainebleau.

Jusqu’au 23 janvier.

«Rosa Bonheur (1822- 1899)»

Musée d’Orsay – Paris.

18 octobre / 15 janvier 2023.

«Il y a une dimension écologique chez elle!»

Conservatrice du patrimoine, directrice adjointe du musée des Beaux-Arts de Bordeaux et cocommissaire de l’exposition bordelaise, Sandra Buratti-Hasan évoque avec enthousiasme une artiste qui a brillé par son engagement, son indépendance et sa liberté d’être au monde. Extraits.

UNE ŒUVRE ABONDANTE

«C’était un peu la gageure de l’exposition : ne pas réduire la liste d’œuvres uniquement à celles exposées et présentes dans les collections publiques françaises telles que Bordeaux, By, Orsay ou Fontainebleau. Afin d’appréhender son œuvre et de présenter le meilleur de l’artiste, il était fondamental d’aller puiser dans les collections publiques et privées, à la fois outre-Manche, en Europe et outre-Atlantique. C’est d’ailleurs ce qui est impressionnant dans cette exposition : avoir autant d’œuvres d’une telle qualité dans un même espace».

UNE MAGNIFIQUE DESSINATRICE

«On est parties des indispensables comme Le Labourage nivernais ou Le Marché aux chevaux, puis grâce à nos travaux de recherche, on s’est concentrées sur des aspects plus inédits. Rosa Bonheur était une magnifique dessinatrice comme en témoigne l’esquisse du Marché aux chevaux qui est présentée au côté de l’œuvre (version de la National Gallery, Londres). On y voit sa force, on a l’impression d’être dans un dessin animé! Elle a aussi travaillé sur des photographies bleues sur lesquelles elle a dessiné au crayon, à la gouache, au graphite, et ce assez tard dans sa carrière… Elle est à la fois peintre, sculptrice et dessinatrice, et il faut préciser que Rosa Bonheur attachait une importance aux études.»

LA CAUSE ANIMALE

Rosa Bonheur est profondément engagée dans la cause animale. Elle propose une autre vision en centrant ses compositions sur le regard des animaux. On a voulu creuser cette question et régler le focus sur le point de vue de l’animal. Bref, regarder différemment l’œuvre de Rosa Bonheur. Ce qui aide à appréhender les enjeux sociétaux actuels, autour de l’environnement et de l’écologie, et à réintégrer aussi l’histoire de l’art, les artistes, la production artistique dans la façon dont on vit au jour le jour (…) Finalement, elle questionne le rapport de pouvoir entre les hommes et les animaux. Il y a une dimension écologique, même si elle n’en a jamais fait un manifeste politique».

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