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[Critique série] «Swarm» : qui s’y frotte…


Comme dans Atlanta, le commentaire politique et social est complexe et implicite. (Photo Amazon Prime video)

La nouvelle série de Donald Glover, créée avec Janine Nabers, continue d’explorer les limites du contrôle que la star a sur son pouvoir, celui de façonner la conscience collective de tout un spectre qui s’étend de ses fans les plus fervents jusqu’à ses pires «haters».

Dans un épisode de la quatrième et dernière saison de la série Atlanta, Earn (Donald Glover), devenu manager d’artistes pour gros clients, tente de signer le pilier de la neo soul D’Angelo. Pour le rencontrer, rendez-vous est donné dans… un fast food qui cache une porte secrète menant à une étrange salle d’attente, où Earn traversera un voyage absurde. D’Angelo, personnalité aussi influente que mystérieuse, a beaucoup lutté avec sa popularité depuis son explosion au milieu des années 1990, mettant régulièrement sa carrière sur pause.

En tournant un fait connu en récit surréaliste, la série s’empare de cette image publique pour disséquer son influence sur la pop culture, comme elle l’avait fait auparavant avec des stars comme Drake, Michael Jackson et Justin Bieber. Swarm, la nouvelle série de Donald Glover, créée avec Janine Nabers, continue d’explorer les limites du contrôle que la star a sur son pouvoir, celui de façonner la conscience collective de tout un spectre qui s’étend de ses fans les plus fervents jusqu’à ses pires «haters».

Pousser la réalité fictionnalisée dans ses derniers retranchements

Si l’on parle de vraies stars, on ne fait pas mieux que la plus fameuse des natives de Houston, Texas : lauréate de 32 Grammy Awards, elle forme le «power couple» ultime avec son époux, un rappeur milliardaire, est unanimement citée en symbole de l’émancipation des femmes noires et est surnommée «Queen» par sa communauté de fans, qui seraient autant d’abeilles prêtes à piquer pour défendre leur reine. On se rappellera d’autres épisodes moins glorieux, ce jour où elle s’est fait mordre au visage ou un incident dans un ascenseur entre la sœur et le mari de la star. Vous avez dit Beyoncé ? Dans la réalité alternative présentée par Swarm, elle prend le nom de Ni’jah. Mais le lien est parfaitement transparent, ainsi qu’un carton prévient : «Ceci n’est pas une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes vivantes ou mortes, ou avec des situations réelles, est intentionnelle.» Ce qui n’empêche pas Swarm de pousser très vite la réalité fictionnalisée dans ses derniers retranchements.

La série suit Dre (Dominique Fishback), fidèle «stan» de Ni’jah (le mot, qui désigne les fans obsessionnels d’une célébrité, vient de la chanson d’Eminem et est aussi un mot-valise pour «stalker» et «fan») vivant en paria, encore bloquée à l’âge adolescent. Au contraire de sa sœur et colocataire, Marissa (Chloe Bailey, chanteuse de R’n’B et protégée de Beyoncé), qui vit la vie normale d’une jeune adulte. Mais lorsque celle-ci est retrouvée morte après une dispute avec son petit ami, le jour même où Ni’jah sort un nouvel album, c’est aussi la vie de Dre qui vole en éclats.

Sur Twitter, les «stans» affirment que Marissa s’est suicidée en écoutant les nouveaux titres de leur idole; les «haters» s’en mêlent aussi… Alors Dre s’embarque dans un voyage sanglant à travers les États-Unis, cherchant à approcher sa reine et massacrant quiconque aurait l’audace de répondre autre chose que «Ni’jah» à la question : «Quel est ton artiste préféré ?» Elle est membre de «l’Essaim», et qui s’y frotte s’y pique…

Des thèmes communs à Atlanta

De cette tueuse en série en quête de sens, on accompagne le parcours sous forme de mosaïque, chaque épisode la retrouvant à un endroit différent du pays. Le concept narratif d’Atlanta trouve un prolongement dans Swarm, et malgré la dose de gore qui sert à merveille l’humour noir, la série défie les genres. On est dans le côté obscur de l’«Atlantaverse». Dans un premier temps, les créateurs jouent la carte de la critique des réseaux sociaux à travers l’aliénation et les dérives des communautés de fans; la série de meurtres commise par Dre exacerbe bruyamment les colères féroces piquées par les «stans» de (insérez ici le nom de votre star préférée), mais cet aspect du récit n’est que la partie émergée de l’iceberg.

On s’éloigne du modèle à la Misery pour s’engouffrer dans une variation sur American Psycho à l’heure de l’iPhone. Comme dans Atlanta, le commentaire politique et social est complexe et implicite. Pour une jeune femme socialement inadaptée comme Dre, le meurtre est un moyen d’exister dans le monde, une preuve que son asocialité est ce qui la rend vivante. Son obsession de fan n’est d’ailleurs pas son unique motivation : elle tue aussi par vengeance ou pour exorciser son expérience de la misogynie. L’acte criminel est le seul moyen pour Dre de mettre en pratique les préceptes d’«empowerment» que Ni’jah porte en slogans dans ses chansons et ses interviews.

Au gré des situations, le commentaire s’étoffe. On teste le rapport de Dre à la sororité alors qu’elle travaille comme stip-teaseuse dans le Tennessee ou qu’elle intègre une pseudo-secte féministe dirigée par la troublante Eva (Billie Eilish, brillante dans ses débuts d’actrice). D’autres thèmes examinés dans Atlanta existent ici – le rapport conflictuel avec la bourgeoisie afro-américaine, la place occupée par les personnages blancs –, mais en fin de compte, Swarm questionne surtout le concept de féminité noire si cher à Beyoncé.

La performance intense de Dominique Fishback dépasse ce qui s’est vu de mieux ces dernières années

Comme sa star préférée, Dre est une femme noire née à Houston, et c’est à peu près tout ce qui les lie. Ni’jah est irréprochable, indiscutablement parfaite, mais la portée de son discours féministe a pour conséquence directe sur la culture que l’image de la «femme noire» doit lui ressembler. Dre est son parfait inverse : introvertie, immature et invisible aux yeux de tous. Alors, où est sa place? Aux antipodes : elle devient un monstre, un diable, le contrepoint de celle révérée comme une «déesse».

Un vrai «showcase» pour Dominique Fishback

Swarm adopte tout du long le point de vue de Dre (à l’exception d’un épisode, l’avant-dernier, qui prend la forme d’un documentaire de «true crime» s’amusant toujours plus de l’irruption de la fiction dans le réel). En traversant autant d’épreuves avec elle, et bien que sa soif de sang semble ne jamais se tarir, on la voit se transformer à plusieurs reprises. Le rôle est un vrai «showcase» pour Dominique Fishback – déjà bluffante dans la série de David Simon The Deuce –, intense de bout en bout et jusque dans les moindres détails. Certaines séquences promettent de rester en mémoire comme exemples de son excellence : citons seulement le premier craquage émotionnel de Dre, lors d’une séance de thérapie qui donne des sueurs au spectateur. On a assisté, au cinéma comme à la télé, à des performances époustouflantes. Ce que Dominique Fishback fait ici dépasse ce qui s’est vu de mieux ces dernières années.

Toute exceptionnelle qu’elle soit, la prestation de l’actrice n’efface pas quelques égarements scénaristiques. Des questions restent sans réponse, à l’image du mystère de la mort de Marissa. Mais le portrait incomplet de Dre fait écho à la construction en puzzle de la série. La pièce manquante ouvre la porte à toutes les interprétations. La vérité définitive, elle, est peut-être à trouver dans les parallèles entre Beyoncé et son calque…

Swarm de Janine Nabers et Donald Glover. Avec Dominique Fishback, Chloe Bailey, Nirine S. Brown… Genre thriller/horreur. Durée 7 x 35 min – À voir sur Amazon Prime Video

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