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Bofferding juge l’accord de coalition : «Il ne suffit pas de faire des promesses»


«Claude Meisch doit désormais gérer le Logement et l'Aménagement du territoire, sans pouvoir négligerl'Éducation. De l'autre côté, le Tourisme, à lui tout seul, hérite de deux ministres…», s'étonne Taina Bofferding. (photos Tania feller)

Taina Bofferding, fraîchement nommée cheffe de fraction du LSAP, fustige les premières annonces fiscales du nouveau gouvernement, notamment dans le domaine du logement. La désormais ex-ministre ne compte toutefois pas se montrer «frustrée» ou «amère».

Encore ministre jusqu’à vendredi, Taina Bofferding entame ce lundi un tout nouveau chapitre. Demain, elle sera assermentée comme députée et prendra officiellement les commandes de la fraction du LSAP. Les premiers éléments du programme du nouveau gouvernement inspirent un sentiment mitigé à la nouvelle femme forte du LSAP, prête à en découdre avec l’équipe conservatrice-libérale emmenée par un Premier ministre, Luc Frieden, qualifié de «paternaliste».

Vous n’avez jamais caché vouloir prolonger votre mandat de ministre de l’Intérieur, afin d’achever les grandes réformes engagées sur les taxes de lutte contre la spéculation immobilière et sur l’organisation communale. Quel sentiment prédomine chez vous au moment de voir Léon Gloden (CSV) reprendre en main votre ressort ?

Taina Bofferding : Je suis en premier lieu reconnaissante d’avoir obtenu la chance, en tant que jeune femme, de devenir membre du gouvernement. Il y a aussi de la fierté au vu des grandes réformes qui ont été initiées. Je pense bien entendu à la réforme de la loi communale, placée sous le leitmotiv « Ensemble pour une commune moderne« .

En deuxième lieu, je pense avoir surpris beaucoup de monde en ayant eu le courage de m’attaquer à l’impôt foncier et de finaliser un projet de réforme dans les temps. Je dois également dire que le travail en tant que ministre m’a énormément fait plaisir, en dépit du rythme effréné que l’on vit au quotidien. J’aurais donc bien aimé pouvoir aller jusqu’au bout de ces réformes avec mes équipes, qui vont me manquer.

Le logement est la priorité numéro 1 dans ce pays

Le nouveau gouvernement s’engage à mener à bien la taxation sur le foncier, la spéculation et la mobilisation de terrains. Une annonce positive pour vous et le LSAP ?

Il est positif que ces projets figurent sur leur agenda. Ils ne devraient, donc, pas disparaître au fond d’un tiroir. Mais il faudra bien entendu voir quelle sera la teneur exacte de la réforme. J’espère que les principes retenus seront confirmés, d’autant plus que le DP a soutenu les mesures préparées par le gouvernement sortant.

Selon vous, ces nouvelles taxes demeurent indispensables pour l’offensive que la nouvelle coalition compte lancer et qui vise à contrer la crise du logement ?

Le logement est la priorité numéro 1 dans ce pays. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut lutter contre la spéculation. La taxe de mobilisation de terrains constructibles laissés vides est un des instruments pour inverser la tendance. Elle doit enfin être votée et mise en œuvre. Tout est dit. Le LSAP soutiendra le nouveau régime si la direction engagée sous ma responsabilité est maintenue. La même remarque vaut pour les nombreux autres projets de loi qui ont été signés par les ministres du gouvernement sortant. Ce n’est pas parce que l’on se retrouve maintenant dans l’opposition qu’on va se mettre à tout fustiger et bloquer. Il faut rester fair-play.

De vieilles recettes, restées sans effet, sont ressorties du tiroir

Le nouveau Premier ministre, Luc Frieden, a longtemps refusé de publier l’intégralité de l’accord de coalition. Il a enfin dévoilé des éléments plus concrets jeudi, après la signature de cette feuille de route. Que vous inspirent les éléments qui sont déjà connus ?*

On voit très clairement la touche personnelle d’un Luc Frieden qui a passé dix ans dans le secteur privé. Pour preuve, les entreprises auront droit à un large soulagement fiscal. Il existe aussi un risque que l’accord ne soit pas aussi équilibré et socialement équitable que souhaité. Si je prends l’adaptation du barème à l’inflation, ils comptent compenser 4 au lieu des 2,5 tranches indiciaires décidées lors de la dernière tripartite.

Le coût reste à estimer, mais il aurait mieux fallu miser sur des mesures plus ciblées. Car, ici, les gros salaires vont profiter considérablement plus que les gens en bas de l’échelle salariale. La sélectivité sociale ne semble pas être une priorité du nouveau gouvernement. Je reviens encore à la politique du logement. L’ouverture du périmètre de construction est présentée comme la formule magique, sans tenir compte de la crise de la biodiversité à laquelle on fait face.

Au-delà du volet de la taxation, vous doutez donc de la capacité du nouvel exécutif à résoudre la crise du logement ?

De vieilles recettes, restées sans effet, sont ressorties du tiroir. Je songe aux mesures fiscales, dont l’amortissement accéléré, abolies par le gouvernement sortant, car elles dopaient la spéculation et la flambée des prix. Il se confirme que le nouveau Luc est, en fait, toujours l’ancien Luc. Il ne suffit pas de jouer sur les adjectifs. Les propositions qui sont sur la table vont en premier lieu profiter aux gens qui disposent d’un capital suffisant. Cela n’aide en rien à briser la spirale des prix.

Le Premier ministre affirme toutefois que l’État va bien continuer à investir dans le logement abordable, avec un nouveau ministre du Logement qui serait en priorité en charge des promoteurs publics.

Je vois pourtant que l’on a plutôt tendance à servir un seul camp, à savoir les investisseurs privés. Je constate aussi que le logement n’a pas constitué une « affaire de chef« . Luc Frieden affirme qu’il s’agit d’une priorité absolue, mais on a refilé le portefeuille à Claude Meisch, qui doit désormais gérer le Logement et l’Aménagement du territoire, sans pouvoir négliger l’Éducation, qui demeure extrêmement importante. De l’autre côté, le Tourisme, à lui tout seul, hérite de deux ministres…

Doutez-vous du bien-fondé de la répartition des ressorts ministériels ?

La répartition laisse clairement apparaître quel parti donne le ton au gouvernement. Il est évident que le CSV dicte la direction et que le DP est le partenaire « junior«  de la coalition.

Une cure d’austérité, fortement redoutée notamment par votre collègue de parti Franz Fayot, l’ex-ministre de l’Économie, ne ferait pas partie des plans. Avez-vous confiance en ces propos ?

Il ne suffit pas de faire des promesses. Moi, je préfère voir des faits. C’est pourquoi il nous faut maintenant suivre de très près ce que le gouvernement compte mettre en œuvre. Franz Fayot a surtout souligné l’importance de continuer de garder à un niveau élevé les investissements publics, à l’échelle nationale et communale. Mais nous connaissons bien le passé de Luc Frieden comme ministre des Finances (NDLR : de 1998 à 2013) et savons qu’il n’a aucun problème à mener une politique d’austérité. Je me rappelle des discussions où il était question de couper dans les prestations familiales. Cela laisse un goût amer. Il ne peut pas nous reprocher d’être sceptiques.

En tant que nouvelle cheffe de fraction, vous êtes de fait aussi la leader de l’opposition parlementaire. Le LSAP compte avec 11 députés le plus grand nombre d’élus en dehors de la majorité. Comment comptez-vous assumer cette lourde tâche ?

Elle promet d’être excitante. Je l’aborde avec un grand plaisir et j’ai hâte d’être enfin assermentée pour pouvoir en découdre, en prenant position par rapport au programme gouvernemental. D’une manière plus globale, j’apprécie la grande diversité de notre fraction. Comme l’a souligné Paulette Lenert, il n’existe aucun automatisme selon lequel ce serait toujours aux mêmes personnes de se retrouver en première ligne. Elle restera très active, même si elle a décidé de ne pas devenir cheffe de fraction. Cela ne veut pas dire que je serai seule en première ligne.

Paulette Lenert sera à mes côtés, tout comme les neuf autres députés socialistes. Je pense à l’énorme potentiel dont nous disposons, notamment avec nos deux jeunes néodéputées (NDLR : Liz Braz, 28 ans, et Claire Delcourt, 34 ans). Je compte vraiment profiter des forces en présence, y compris celles de nos anciens ministres, qui n’ont plus rien à prouver en termes de compétences et de capacité de travail.

L’OGBL est aussi dirigé par une jeune femme. Il importe que les forces où les idées se chevauchent s’allient

La « nouvelle » Taina, nommée cheffe de fraction, compte adopter son propre style de direction. En quoi consiste-t-il ?

Je vais pouvoir profiter de l’expérience acquise en tant que ministre pour diriger la fraction. Il ne sera pas question de dicter les choses du haut vers le bas, même si à un moment, il faut savoir trancher. Ce que l’on va éviter, c’est d’entamer le travail d’opposition comme l’a fait le CSV, en 2013, en se montrant frustré et amer. L’opposition n’est pas quelque chose d’ingrat. Il est important d’avoir à la fois un gouvernement qui fonctionne et une forte opposition. Nos instruments pour agir sont différents, mais il est tout à fait possible de s’engager dans l’intérêt des gens.

On continuera à défendre nos principes et objectifs. Le LSAP n’a pas perdu ces législatives. Il est même sorti renforcé du scrutin. Nos idées sont donc soutenues par un grand nombre de personnes, ce qui nous motive à continuer à aller de l’avant. Je compte saisir l’occasion de travailler davantage avec la société civile et inclure plus largement nos membres, afin de créer une nouvelle dynamique.

Un rapprochement avec l’OGBL est-il envisagé ?

Cela peut s’avérer intéressant, car l’OGBL est aussi dirigé par une jeune femme. On voit que pas mal de choses ont changé au sein de la société. Il importe que les forces où les idées se chevauchent s’allient. Ce sera aussi ma devise dans l’opposition. Si nécessaire, on n’hésitera pas à mettre le doigt dans la plaie. Parallèlement, on compte toutefois mettre des alternatives sur la table. Un important travail est à mener pour pouvoir monter dans l’arène afin de critiquer tout en soumettant des alternatives. On va se pencher sur des projets spécifiques et formuler des propositions de loi. L’expérience de la rédaction de projets de loi par nos ministres sortants nous aidera à avancer dans cette voie.

Vous clamez que le LSAP sait aussi bien travailler dans la majorité que dans l’opposition. Avec Mars Di Bartolomeo, vous ne disposez toutefois que d’un seul élu qui a déjà été député d’opposition. Ne s’agit-il pas d’un handicap ?

Nous sommes aussi plusieurs à avoir collecté de l’expérience dans l’opposition à l’échelle des conseils communaux. Mars Di Bartolomeo est un politicien expérimenté, mais, en même temps, on compte de nouveaux visages dans nos rangs. Je pense qu’il s’agit d’un bon mélange, où les plus expérimentés peuvent apprendre des plus jeunes, et vice versa. Ma mission sera de s’assurer que chaque membre de notre fraction puisse mettre en avant ses qualités et compétences. L’objectif est de pouvoir avancer ensemble dans le consensus. Il s’agit d’un système de direction moderne, contrairement à ce que l’on voit chez Luc Frieden, qui compte garder la main sur tout et adopte une approche paternaliste.

En face de la nouvelle coalition conservatrice-libérale se trouve une opposition de gauche qui compte peser à la Chambre. Envisagez-vous des alliances avec déi gréng et déi Lénk ?

Nous avons très bien travaillé avec les verts au gouvernement. Je retrouve avec Sam Tanson une bonne collègue comme cheffe du groupe de déi gréng. Notre entente a toujours été bonne, ce qui me rend optimiste sur le fait que l’on pourra former une alliance. Chez déi Lénk, je retrouve avec Marc Baum un ancien collègue du conseil communal d’Esch, où l’on a aussi déjà collaboré. La constellation s’annonce très intéressante. J’aborde donc avec optimisme le travail d’opposition.

En tant que ministre sortante de l’Égalité entre les femmes et les hommes, quel regard posez-vous sur la composition du nouveau gouvernement, qui ne compte que cinq femmes parmi les 15 ministres ?

Plus globalement, je n’apprécie guère le déséquilibre qui existe au sein de notre société, pourtant formée pour moitié de femmes. Le gouvernement en place est très loin de la parité. Une chance a été ratée. Il faudrait que la composition de la société se reflète aussi dans les lieux de pouvoir.

* L’entretien a été mené avant la fuite, vendredi, de l’accord de coalition intégral dans plusieurs médias.

Repères

État civil. Taina Bofferding est née le 22 novembre 1982 à Esch-sur-Alzette. Elle fêtera mercredi son 41e anniversaire.

Formation. Éducatrice de formation (depuis 2005), elle décroche un master en sciences sociales en 2011 à l’université de Trèves.

Conseillère. Également en 2011, Taina Bofferding est élue au conseil communal de sa ville natale. Elle est confirmée lors des communales de 2017.

Ministre. Fin 2018, Taina Bofferding est nommée ministre de l’Intérieur et ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes, au sein du gouvernement Bettel II, formé par le DP, le LSAP et déi gréng.

Députée. Après un premier mandat de 2013 à 2018, Taina Bofferding va retrouver demain un siège de députée. Elle mènera la fraction du LSAP, renvoyée dans l’opposition après les législatives du 8 octobre.

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