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Il y a cinquante ans naissait le pont de Beauregard : «On a détruit notre quartier»


Le pont de Beauregard a littéralement coupé la ville en deux. Le tracé a surtout fait disparaître la rue Laydecker, épicentre de la vie du village d’autrefois comme on peut le voir sur cette carte postale colorisée.

Il y a cinquante ans, le viaduc de Beauregard était inauguré. Considéré comme un ouvrage d’art exceptionnel, le plus long pont autoroutier de l’Est de la France a surtout rayé de la carte tout un quartier. Nous sommes partis sur les traces de ce Beauregard d’avant. Édifiant quand on y pense.

Le saviez-vous? «À l’origine, l’autoroute devait passer à Manom, mais les propriétaires du château de La Grange s’y sont évidemment fortement opposés. Alors un autre tracé a été choisi, par Beauregard».

Aujourd’hui, plus personne ne se souvient de cette genèse, mais Pascal Bertrand, amateur d’histoire connu pour coloriser les anciennes cartes postales de la ville et administrateur de la page Facebook Thionville en photos et vidéos, ne peut passer outre. «Beauregard, j’y suis né. Ma famille y était présente depuis de nombreuses générations. À l’époque, c’était un faubourg de Thionville : cela ressemblait à un village avec une vraie vie. Il y avait une épicerie, une boulangerie, un cordonnier, le coiffeur, l’école, l’école ménagère, un café, des brasseries et plus tard les usines sidérurgiques…»

Tout autour, il y avait surtout des habitants ; une cinquantaine de familles essentiellement installées rue Laydecker. Toutes ont été expulsées au moment de la construction du second pont autoroutier et de l’extension de l’A31 vers le Linkling, à partir de 1976. Georges Ditsch, maire de l’époque, est l’homme qui a mis sa signature en bas de documents nécessaires aux travaux. Depuis, l’avancée de la bande de bitume est une injure au quartier historiquement maraîcher puis devenu celui des industries sidérurgiques au début du XXe siècle.

Regain d’intérêt récent

Et puis il y a l’église. Cette fameuse vigie baptisée «la cathédrale de la Fensch» qui autrefois bordait la rue Laydecker et aujourd’hui l’A31. De nombreux automobilistes de passage se demandent comment on a pu construire un édifice religieux aussi près de l’autoroute, «mais en réalité c’est l’inverse : l’église était là avant!» Édifiant.

«Selon les plans d’origine, elle devait être détruite, mais la mobilisation des paroissiens a empêché que cela se fasse», souligne notre historien local. Partagé entre les besoins de la modernité et la nostalgie de sa jeunesse, il ne le cache pas : «Quelque part, avec le viaduc, on a détruit notre quartier…»

Après l’arrivée de l’autoroute, l’environnement de Beauregard n’a pas été la priorité des pouvoirs publics. «C’est longtemps resté un peu glauque ; aujourd’hui, il redevient un peu plus beau», admet Pascal Bertrand. Il faut attendre les années 2000 pour voir du nouveau : la démolition du V120 ; la construction de l’hôtel Formule 1 et du gigantesque parking ; la transformation de l’ancien hôpital en logements, la démolition de certaines friches et l’arrivée de Lidl, entre autres.

Plus récemment encore, de nouveaux immeubles et commerces ont poussé dans le quartier, devenu à nouveau prisé en raison de la pression foncière sur la Moselle nord. L’A31 coupe toujours Beauregard en deux mais les gens s’y installent désormais en connaissance de cause.

Un pont très long

Ce fut, à l’époque, le plus grand ouvrage d’art de l’Est de la France. Un viaduc de 520 m traversant la Moselle, construit en quatre ans, inauguré il y a 50 ans le 16 décembre 1974, et ouvert à la circulation en janvier suivant. Dans ce premier volet consacré aux 50 ans du pont de Beauregard, nous revenons sur sa conception et sa mise en service.

En 1965, les deux branches autoroutières de Metz-Richemont-Florange sont mises en service, mais la liaison Metz-Thionville, malgré le très important trafic qu’elle supporte (elle dépasse les 25 000 véhicules par jour) reste incomplète. Les usagers de l’autoroute sont obligés, pour parvenir à Thionville, d’emprunter le chemin départemental N°1, très mal adapté à ce trafic. La raison est que le prolongement de l’autoroute jusqu’à Thionville et au-delà, est stoppé par la nécessité de construire un important ouvrage franchissant la Moselle.

Les travaux démarrent alors en 1970 et concernent une section de 4,5 km entre Illange et Thionville Beauregard. Coût de l’opération : plus de 30 000 000 francs! Le pont est exceptionnel, tant pas son importance que par les techniques mises en œuvre pour sa réalisation. Sa longueur totale est de 520 m répartis sur huit appuis.

Son inauguration a lieu le 16 décembre 1974 en présence de 200 personnalités, dont le préfet de Région. Malgré une bise sibérienne, les «invités» foulent 9 500 m3 de béton, 1 050 000 kg d’acier, 240 000 kg de câbles, 1 000 tonnes de matériaux enrobés… Dernier franchissement par l’A31, le pont doit écarter du cœur de la ville la circulation de transit qui congestionne le pont des Alliés et les artères centrales. Il doit aussi tripler la capacité de passage de la Moselle pour le trafic quotidien de l’agglomération Thionville-Fesnch.

Le top départ à la circulation a lieu le 31 janvier 1975.