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Queen & Slim : l’amour en fuite dans une Amérique divisée


Dans Queen & Slim, ce n'est pas un énième Afro-Américain qui se retrouve sur le carreau, victime d'une nouvelle bavure, mais un flic blanc, nerveux et trop zélé dans son interpellation... (Photo : DR)

Deux jeunes Afro-Américains partent en cavale après un contrôle policier qui tourne mal. Une histoire d’amour et de mort, sur les terres du fatalisme racial.

L’année dernière, Hollywood sacrait Green Book, road movie convenu qui se déroulait en pleine ségrégation, au début des années 60. Sa moisson aux Oscars rappelait que les États-Unis apprécient les histoires pleines d’humanité et de clichés. Un «feel good movie» qui, l’espace d’un instant, gommait la triste réalité d’un pays n’arrivant toujours pas à panser les plaies de son histoire, et ce, plus d’un demi-siècle plus tard.

La récente mort de George Floyd et la résurgence du mouvement Black Lives Matter confirment, à nouveau, la tension qui règne au cœur d’une Amérique divisée, entre racisme ordinaire et violences policières.

C’est dans cette actualité brûlante que Melina Matsoukas choisit de placer son premier film, Queen & Slim. Sauf qu’elle corrige le tir et pour le coup, ce n’est pas un énième Afro-Américain qui se retrouve sur le carreau, victime d’une nouvelle bavure, mais un flic blanc, nerveux et trop zélé dans son interpellation.

Pourtant, ses meurtriers n’en ont pas la carrure : soit Angels, avocate de profession, solitaire et inhibée; et Earnest, garçon tranquille, honnête et droit. Ils se sont rencontrés sur Tinder et goûtent à leur premier repas ensemble. Entre les deux, l’histoire semble mal engagée. Et elle prend une tournure dramatique après un banal contrôle routier.

Comment alors justifier la légitime défense dans un pays qui pratique le délit de faciès, surtout quand on est du mauvais côté de la barrière ? Reste, finalement, une seule et unique solution : la fuite.

Bref, on est bien loin des profils à la Bonnie et Clyde, et pourtant, leur cavale, suivie par toute une nation, va les imposer comme un couple mythique. Celui qui, bien malgré lui, a su braver l’autorité, venger l’injustice, s’affranchir de la condition qui stigmatise tout un peuple, et oser la liberté, même avec toute la police américaine à ses trousses. Un jeune garçon, militant et remonté, leur lâche un «c’est un honneur» de vous servir car, quelle que soit l’issue de leur évasion, «vous serez immortels». Plus tard, quelqu’un leur dira aussi : «Grâce à vous, on peut y croire à nouveau» et un autre les croisera, le poing levé, avec un «Power to the people».

Un costume bien trop grand pour nos deux fuyards, qui comprennent toutefois tout le sens de ces messages, au fur et à mesure qu’ils descendent dans le sud, de l’Ohio à la Floride – à rebours, donc, de la migration des descendants d’esclaves.

Oui, comme d’autres films qui racontent ce permanent climat d’oppression – Fruitvale Station (2013) ou The Hate U Give (2018), pour ne citer qu’eux –, Queen & Slim est éminemment politique.

Dans leur grande traversée à contresens, les deux personnages voient ressurgir des images du passé, comme celles, marquantes, de prisonniers noirs travaillant sous la surveillance de gardes armés et à cheval.

Ici, on cite Assata Shakur, là, on écoute Fela Kuti, et les régions traversées, comme celle de La Nouvelle-Orléans, dévastée par l’ouragan Katrina puis oubliée, suggèrent que l’histoire tourne en boucle et semble toujours s’acharner sur les mêmes victimes.

Mais Queen & Slim, c’est aussi une histoire d’amour à fleur de peau. Celle de deux êtres contraires, emportés par l’élan de leur fugue, célébrée avec brio par une réalisatrice qui, rappelons-le, a fait ses premières armes sous le patronage de Beyoncé, avec les clips de l’album Lemonade. Derrière, parfois, des discours un peu faciles et quelques scènes qui auraient pu être évitées, Melina Matsoukas laisse parler les corps, met en lumière le moindre geste, capte, tout en esthétisme, la douceur des intentions. L’épopée devient alors solaire, flamboyante.

Le duo (saluons les deux acteurs, excellents, Daniel Kaluuya et Jodie Turner-Smith), entre humour et tendresse, s’éloigne alors, à son rythme, de la colère portée par certaines œuvres de la «blaxploitation». À la violence, préférons donc la passion, même si celle-ci est risquée, et éphémère.

Grégory Cimatti

Queen & Slim, de Melina Matsoukas.