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Violences et migration : «Les droits de ces femmes sont bafoués» au Luxembourg


Marion Dubois, de l’association Passerell, dénonce l’attitude des autorités face à des femmes en grande détresse. (photo Fabrizio Pizzolante)

Alors que le Luxembourg a ratifié la convention d’Istanbul contre la violence à l’égard des femmes il y a trois ans, dans les faits, les victimes peinent à faire valoir leurs droits. L’association Passerell se bat à leurs côtés.

L’association Passerell, active dans la défense et l’exercice des droits des demandeurs, bénéficiaires et déboutés du droit d’asile, organisait mardi une visite guidée de l’exposition de Stefania Prandi consacrée aux proches de victimes de féminicide (lire ci-dessous). L’occasion d’aborder le thème du non-respect de la convention d’Istanbul par le Luxembourg, pourtant signataire avec 44 autres pays.

Ratifié il y a maintenant trois ans, ce traité établit qu’être une femme constitue, en soi, un facteur de risque d’être exposée à des violences et vise à la fois à prévenir ces violences et à garantir que les victimes bénéficient d’une protection et d’une prise en charge adaptées.

Or, selon l’équipe de Passerell, composée de juristes bénévoles et de trois agents opérationnels, la réalité est bien différente de ce que prévoient les textes : «Nous constatons au quotidien que les droits de ces femmes sont bafoués par les autorités. Les femmes migrantes victimes de violence ne sont pas accueillies suivant les standards de la convention d’Istanbul, loin de là», déplore Marion Dubois, chargée de projets.

Et de citer des propos attribués à certains fonctionnaires de la direction de l’Immigration : «On a dit à une jeune femme qu’il ne suffisait pas d’être enceinte pour échapper à l’expulsion ou à une autre, victime de violences dans les camps grecs, qu’elle ne serait pas mieux traitée au Luxembourg», s’agace-t-elle, tandis que deux participantes à la visite guidée, employées dans le secteur social, confirment qu’elles constatent, elles aussi, de graves manquements sur le terrain.

L’association souligne à quel point la violence est partout, jusque dans les lettres exposant les motifs de refus de protection internationale. Marion Dubois sort des documents pour les lire à voix haute : «Vous craignez que votre père vous marie de force comme il l’aurait déjà fait avec vos sœurs. (…) Ces motifs de fuite n’entrent pas dans le champ d’application de la convention de Genève. C’est un problème strictement familial.»

Autre cas et autre exemple de ce que l’association n’hésite pas à qualifier de «violence administrative» : «Vous précisez avoir subi une excision totale (…) donc il est anatomiquement impossible que vous subissiez à nouveau un tel traitement dans le futur.»

Un groupe d’experts attendu l’an prochain

Passerell dénonce aussi le fait que les juridictions administratives rechignent à s’appuyer sur la convention, si bien que lorsqu’une femme est violentée par son compagnon dans son pays et demande la protection internationale au Luxembourg, le tribunal administratif affirme qu’il ne s’agit pas de violences fondées sur le genre, mais d’un comportement lié à la «personnalité agressive» du conjoint. «Du coup, l’application de la convention d’Istanbul est écartée», résume Marion Dubois.

Enfin, l’équipe rapporte que de nombreuses femmes migrantes victimes de violences, parfois avec leurs enfants, voient le ministère de l’Immigration leur refuser toute protection au prétexte qu’elles disposent d’un droit de séjour en Grèce : «Pourtant, la convention précise que les mesures s’appliquent à toute femme sur le territoire d’un État signataire, peu importe son statut», détaille la chargée de projets.

En 2022, le groupe d’experts européens chargé de veiller à la mise en œuvre de la convention d’Istanbul par les États parties sera en visite au Luxembourg et l’association Passerell a déjà prévu de lui adresser la longue liste de ses constats et une série de recommandations.

Christelle Brucker

«Les conséquences», l’expo à voir aux Rotondes

En plein air, l’exposition «Les conséquences – Les féminicides et le regard de celles et ceux qui restent» présente un reportage de la journaliste et photographe italienne Stefania Prandi consacré aux proches de Giulia, Rossana ou encore Jessica, toutes mortes sous les coups de leur conjoint.

Durant trois ans, elle a rassemblé des images d’objets, de lieux, de visages ainsi que des récits, qui présentent le point de vue des personnes qui vivent au quotidien les conséquences du féminicide – le meurtre d’une femme en raison de son sexe, par haine, mépris, plaisir ou sentiment de possession. Le but : faire comprendre que ce qui est arrivé à ces familles prend sa source aux fondements de nos sociétés et dans une culture sexiste.

Ceux qui subissent les conséquences d’un féminicide sont les mères, les pères, les sœurs et les frères, les enfants. Souvent ignorés, il leur reste la douleur, les souvenirs figés dans des cadres, les frais de justice, les humiliations devant les tribunaux, le traitement médiatique, la victimisation secondaire. Néanmoins, de plus en plus de familles de victimes de féminicide s’engagent : certaines écrivent des livres, organisent des rencontres dans des écoles, lancent des pétitions, collectent des fonds ou font de l’activisme en ligne.

Au Luxembourg, le féminicide n’existe pas officiellement, car il n’est pas catégorisé en tant que tel par la justice. Les meurtres de femmes sont donc noyés parmi les statistiques des homicides. Seules les violences domestiques sont décomptées par le ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes : en 2020, la police a été appelée 943 fois pour intervenir dans des cas de violences et 278 ordres d’éloignement du domicile ont été prononcés contre l’auteur.

Prolongation jusqu’au 10 décembre, sur le parvis des Rotondes. Gratuit.

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