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OpenLux : une parenthèse vite refermée à la Chambre


Le gouvernement va améliorer son dispositif de contrôle des bénéficiaires effectifs, mais rejette toujours son étiquette de paradis fiscal, se targuant au contraire d'agir en toute transparence. (photo Julien Garroy)

Le ministre des Finances a pu compter sur le soutien de la quasi-totalité des députés, mardi à la Chambre. La parenthèse OpenLux s’est vite refermée.

« Nous sommes un État de droit », lance le ministre des Finances, Pierre Gramegna (DP), après avoir répété, s’il le fallait encore, que le Luxembourg respectait tous les traités, règlements et autres directives qui lui dictent ses obligations en matière de finances propres. La transparence y joue un rôle important et le pays peut se targuer d’avoir été un des premiers à mettre en place un registre des bénéficiaires effectifs et de l’avoir laissé en accès libre.
Il est loin le temps du secret bancaire et des généreux avantages fiscaux, le Luxembourg, depuis 2014, a fait le ménage, explique en substance le ministre à une assemblée toute acquise à sa cause. « Xavier Bettel a décidé de s’engager sur la voie de la transparence », insiste le ministre. Sorti des listes noires et grises, le Grand-Duché n’a pas pour autant réussi à se faire oublier. Le gouvernement, qui a agi en faveur d’un règlement européen sur la question des rescrits fiscaux, n’a eu de cesse, depuis, d’améliorer son arsenal législatif pour montrer patte blanche. « Nous modifions nos accords bilatéraux avec des pays tiers qui eux figurent sur des listes noires », illustre encore Pierre Gramegna pour démontrer les efforts permanents que déploie le gouvernement, désireux d’offrir l’image d’une place financière intègre. Mais qui accueille aussi la pègre, comme l’a établi l’enquête du consortium journalistique. Là encore, le ministre des Finances estime qu’il y a des « moutons noirs » partout et la réponse ne peut venir que de Bruxelles, raison pour laquelle le Luxembourg soutient l’initiative de la Commission de créer une agence européenne de lutte contre le blanchiment, comme l’annonce le ministre.

Si les autorités ne poursuivent ni les multinationales, ni les milliardaires, ni les artistes, ni les sportifs, en revanche, les criminels ont des comptes à rendre. Les dossiers sensibles relevés par l’enquête journalistique internationale (à laquelle ont pris part Le Monde, Le Soir ou encore Woxx) citent les noms de sociétés liées à la ‘Ndrangheta, et à la pègre russe. On y apprend aussi que la Ligue, le parti d’extrême droite italien, dissimule au Luxembourg une cagnotte recherchée par les autorités transalpines ou encore que des proches du régime vénézuélien y ont recyclé des fonds de marchés publics viciés.

« Les professionnels doivent connaître leurs clients et, s’ils ont des soupçons, ils doivent en faire part à la cellule de renseignement financier qui est là pour échanger avec ses homologues », rappelle de son côté Sam Tanson. Quant aux effectifs de la justice, « un sujet qui lui tient à cœur », la ministre informe qu’un avant-projet de loi est prêt concernant le recrutement de 20 référendaires. « Je rappelle encore qu’il y a des centaines d’infractions relevées chaque année et autant de condamnations », ajoute Sam Tanson.

L’année dernière, 120 déclarations de soupçons ont émané des cabinets d’avocats et les notaires ne sont pas en reste, selon la ministre.

Que des jaloux ?

Pour conclure sur le registre des bénéficiaires effectifs, le fameux RBE, Sam Tanson indiquera encore que la recherche nominale n’est effectivement pas possible dans un souci de respect de la vie privée. « Je ne comprends pas les critiques dans le contexte de la transparence alors que le pays était plutôt progressiste en matière d’accès au registre », dit-elle, en précisant qu’il y a bien 90 % de remplissage et non 50 % selon l’analyse des médias qui ont une définition divergente du bénéficiaire effectif.

Les 4 000 demandes introduites afin de ne pas faire figurer un nom sur le registre ont toutes été refusées. Les 300 qui sont en cours sont suspendues à une décision de la Cour de justice de l’Union européenne à la suite d’une question préjudicielle relative à la protection de la vie privée, justement.

Alors que reproche-t-on au juste au Luxembourg ? Bien sûr, le contrôle doit être renforcé, tout le monde en convient et il faut des effectifs pour cela. Mais quoi d’autre ? Pierre Gramegna y voit de la jalousie : « Comment accepter que ce petit pays dispose d’une grande place financière ? » C’est la question qui taraude les esprits outre-frontières, selon le ministre des Finances. « Nous avons aussi besoin de champions européens de la finance et pourquoi Paris ou Berlin seraient-ils les seuls à revendiquer ce titre ? », interroge encore Pierre Gramegna.

Le succès de la place financière, selon lui, repose sur la stabilité politique du pays, sa paix sociale, son triple A, l’innovation et la prévisibilité. Il ne parlera pas de fiscalité. Son discours a été salué à une écrasante majorité.

Geneviève Montaigu

David Wagner : «Je ne suis pas la place financière !»

Seule voix dissonante dans ce concert de louanges pour les performances de la Place et pour la réaction du gouvernement, celle de David Wagner.

(archives Fabrizio Pizzolante)

Le député de la Gauche est d’ailleurs passablement énervé par cette belle unité très appréciée d’ailleurs par Pierre Gramegna. Il y a eu d’abord Laurent Mosar (CSV), qui avoue pouvoir signer des deux mains les discours des deux ministres blanchissant la Place et louant l’action gouvernementale. Le député chrétien-social suggère même aux journalistes d’aller enquêter ailleurs, dans leurs pays respectifs, parce qu’on y fait des choses pas très jolies non plus. Fernand Kartheiser suggérera la même chose. David Wagner leur prouvera en quelques clics sur son smartphone que les médias en question ont déjà noirci des pages entières sur des sujets pas très glorieux comme le marché de l’armement. Laurent Mosar proposera finalement de créer pour les lois à venir une «fiche d’impact sur la réputation de la place financière», comme on fait des fiches d’impact financier.

Il y a eu aussi Gilles Baum (DP) et Georges Engel (LSAP) qui ont montré du doigt les moutons noirs qui n’ont rien à faire dans le pays. Des criminels, des mafieux qui ne devraient pas passer entre les mailles du filet. David Wagner se montre exaspéré : « Je vous entends tous parler de moutons noirs, parce que, bien sûr, ici on ne veut pas avoir de sang sur les mains, on veut rester bien propres sur nous. On veut juste briser quelques vies, pourvu qu’on puisse faire de l’optimisation fiscale ! », lance le député déi Lénk.

Dossier clos

Les moutons noirs, pour David Wagner, ce sont précisément toutes ces multinationales qui payent des impôts dérisoires, et il se moque que « ce soit légal ou pas ». Cela le révolte. « Quel salarié, quel artisan ou commerçant paie 0,1 % d’impôt dans ce pays ? Je ne soutiens pas ce modèle, je ne suis pas la place financière ! », lance-t-il avant de quitter la tribune.

Fernand Kartheiser (ADR), de son côté, condamne sans ménagement les journalistes qui ont livré dans leurs colonnes des noms de personnalités, trouvant « dégoûtante » cette « grave atteinte à la vie privée ». Sven Clement (Parti pirate) plaide pour la création d’un registre européen des bénéficiaires effectifs afin d’avoir une « vision plus transparente » de la situation et invite le gouvernement à faire pression sur ses partenaires pour qu’il voie le jour.
Mardi, au terme de ces deux heures consacrées à l’enquête OpenLux en séance plénière, le dossier semblait clos.

G.M

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