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« En Suisse, l’équilibre entre les territoires d’emploi et de résidence ne fait pas débat »


Le maire de Villerupt, Alain Casoni, a pu observer les mécanismes de co-développement entre Genève et ses territoires frontaliers. Et décrire la réalité avec le Luxembourg... (Photo d'archives : Alain Rischard).

Alain Casoni, le maire de Villerupt, a participé à un colloque sur la fiscalité transfrontalière organisé à Genève, par la Fondation européenne pour le développement durable des régions (FEDRE). Il décrit le gouffre qui sépare les zones frontalières suisses et luxembourgeoises en matière de codéveloppement, malgré des situations comparables.

Il existe divers mécanismes de partage de la fiscalité des frontaliers en Suisse. Quel est leur regard sur l’équilibre des territoires entre le Luxembourg et la Lorraine ?

C’est bien simple : Savoyards et Genevois ont essentiellement discuté d’une renégociation de la compensation financière, de 3,5% de la masse salariale brute des frontaliers à 4,5%. Et nous les Lorrains,  on est arrivés en disant : « Il n’existe aucun mécanisme avec le Luxembourg. » Au moins c’était rapide… Ils étaient scotchés ! Genève c’est presque 100 000 frontaliers français, donc comme la Lorraine avec le Luxembourg. Chez eux, on discute pour réévaluer la compensation. Mais sur le fond, à savoir l’équilibre entre les territoires d’emploi et de résidence, elle ne fait pas débat. Chez nous c’est tabou, même si les lignes bougent.

En quoi ce colloque a-t-il été fructueux alors?…si les situations sont si décalées.

Différents acteurs européens ont participé à cette réunion. Claude Haegi, le président de la FEDRE mais également Karl-Heinz Lambertz, le président du comité européen des régions. Cet organe consultatif est une voix qui compte auprès de l’UE, que ce soit vis-à-vis de la Commission ou du Parlement. M. Lambertz va faire un rapport sur les échanges du colloque, avec des recommandations à la clef. Vous le voyez, ce débat si caricaturé à la frontière trouve un écho favorable à d’autres échelons. En cela, oui, c’est un pas important.

il s’agit d’être pragmatique, et de voir comment ça se passe ailleurs

 On vous reproche votre couleur politique (NDLR : communiste) à la frontière. Ça ne vous a pas freiné dans un pays comme la Suisse ?

Mais nous n’avons pas parlé de politique ! C’est un argument facile qui est utilisé contre moi par des gens qui ne font pas l’effort de se pencher sur le sujet. C’est de la paresse intellectuelle. Je défends un meilleur partage de la fiscalité sans arrière-pensée idéologique : il s’agit d’être pragmatique, et de voir comment ça se passe ailleurs. Je constate que partout en Europe, dans les zones frontalières, des mécanismes de rééquilibrage existent. Entre la France et l’Allemagne, avant 2015, la France gardait tout l’impôt des frontaliers qui travaillaient Outre-Rhin (NDLR : comme si les frontaliers lorrains étaient prélevés en France !) Madame Merkel a pointé une situation déséquilibrée : en deux ans la règle a été changée. Désormais, la France conserve toujours l’impôt des frontaliers, mais reverse 70 millions d’euros par an à l’Allemagne. L’interdépendance des territoires amène les Etats à conclure ce genre d’accord. Avec le Luxembourg, rendez-vous compte, la totalité des ressources financières produites par les frontaliers est conservée au Grand-Duché. À charge pour les communes comme la mienne (NDLR : plutôt démunie…) de se débrouiller.

Vous êtes optimistes pour la suite ? François Bausch a tout de même opposé une fin de non-recevoir brutale en septembre (« dans 20 ans, ça sera toujours non »).

Je reste optimiste car si l’on pèse objectivement les arguments, il n’y a aucune raison que cette situation perdure. Nous partageons une histoire commune avec le Luxembourg : hier avec la sidérurgie, aujourd’hui avec le phénomène frontalier. Il ne faut pas être dans une logique d’opposition. À ce titre, la phrase de François Bausch est assez regrettable.

Je m’interroge toutefois sur le manque d’implication de l’Etat français à notre frontière. On parle de zones franches partagées ou de mesures similaires. Pourquoi pas, mais ne nous trompons pas : ça n’a pas l’ampleur d’un véritable codéveloppement comme en Suisse ! (cf : chiffres du tableau) C’est d’ailleurs ce que m’ont dit les responsables suisses comme haut-savoyards : « mais que fait l’Etat français sur ce dossier ? »

Entretien avec Hubert Gamelon

Ce que touchent les communes frontalières de Genève

Le partage de la fiscalité des frontaliers entre le canton de Genève et les départements de l’Ain et de la Haute-Savoie permet un retour d’environ 150 millions d’euros chaque année. Pourtant, il faut le noter, le budget global du canton de Genève est de 8 milliards d’euros par an… loin des 15 milliards d’euros du Luxembourg ! Voici quelques exemples, basés sur des statistiques de 2015, cités lors de la conférence.
• Annemasse : 9,1 millions d’euros ( 8 332 frontaliers/35 678 habitants)

• Annecy : 7,7 millions d’euros ( 6 971 frontaliers/129 589 habitants)

• Saint Julien en Genevois : 5,1 millions d’euros ( 4 639 frontaliers/14 318 habitants) > En comparaison Longwy, commune similaire, possède un budget d’investissement global de 7,3 millions d’euros en 2018.

• Gaillard : 3,9 millions d’euros ( 3 552 frontaliers/11 711 habitants)

• Thonon-les-Bains : 2,6 millions d’euros ( 2 363 frontaliers/36 110 habitants)

• Gex : 3,4 millions d’euros ( 2 126 frontaliers/11 949 habitants)

• Ferney-Voltaire : 3,0 millions d’euros ( 1 863 frontaliers/9 702 habitants)

• Saint-Genis Pouilly : 3,0 millions d’euros ( 1 861 frontaliers/11 044 habitants)

• Prévessin-Moëns : 2,5 millions d’euros (1 551 frontaliers/8 049 habitants)

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