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Longwy : aux grandes heures des maisons closes


La Lorraine Marthe Richard a donné son nom à la loi qui a décrété l’interdiction des maisons closes en France. (Photo : archives rl)

Le Pays-Haut ouvrier a aussi été une terre de prostitution. Entre la fin du XIXe siècle et 1946, les maisons closes ont fleuri dans une dizaine de villes.

Disparue en laissant une adresse… Au 9, rue du Vieux-Château, la principale maison close de Longwy n’est plus aujourd’hui qu’un jardin. Derrière l’épais rideau de fantasmes, l’histoire de l’enseigne Aux Lilas résume celle des lupanars officiels de Meurthe-et-Moselle Nord.

Le commerce serait le plus ancien bordel toléré par l’État dans le Pays-Haut. D’après Régis Latouche, maître de conférences et enseignant à l’Université de Lorraine, il ouvre ses portes en 1884. Cette année-là, la loi du 5 avril «repositionne le rôle du maire», écrit l’auteur de La Lorraine des petites vertus. «Il a comme garde-fou le préfet qui peut se substituer à lui en cas de négligence.» L’élu est incité à se faire le gendarme de la prostitution illégale, quitte à devenir le chantre du stupre bien encadré. Pour quelles raisons? «La Lorraine a compté beaucoup de militaires et d’ouvriers immigrés. Elle a donc été une terre importante pour la prostitution officielle», replace Régis Latouche. «On avait là des jeunes hommes étrangers à la ville. Afin qu’ils ne s’intéressent pas de trop aux filles du cru, on créait des maisons pour eux… Et aussi pour la prophylaxie, pour éviter la prolifération des maladies.»

En 1912, un rapport sur la situation hygiénique de la région estime à 10 % la population atteinte de syphilis. La même année, Villerupt prend son premier arrêté d’autorisation d’une maison de tolérance, alors que le Comité des Forges ouvre en ville un bureau d’hygiène sur demande du département.

Fermées par une Lorraine et ancienne prostituée

Avant la Première Guerre mondiale, dix bordels se répartissent dans le Pays-Haut, de Conflans-en-Jarnisy à Longuyon. Audun-le-Roman suivra sur le tard, en 1924. Entre-temps, l’enseigne Aux Lilas connaît une parenthèse que Joseph Brembati détaille dans Promenades à travers l’histoire du Pays-Haut. Jusque-là logée à Longwy-Haut, elle disparaît sous les bombardements d’août 1914. Puis rouvre en 1923, au fameux 9, rue du Vieux-Château. Mais la survivante se retrouve bientôt dans le collimateur des défenseurs de la moralité… Le bouclier légal des lieux de luxure n’interdit pas leur remise en cause. Vers 1928, l’Association longovicienne de vigilance pour la protection morale de la jeunesse se donne, parmi ses missions, celle de faire fermer l’endroit. Le directeur général de la société des Aciéries de Longwy, Alexandre Dreux, se positionne lui-même comme «un ferme partisan de la suppression» de ce que cet industriel voyait comme «un lieu de débauche». Ironique, de la part d’un grand employeur d’ouvriers. Et vain…

Le 11 novembre 1931, L’Est républicain confirme que «la campagne pour la suppression de la maison de tolérance de Longwy n’a pas abouti, les opinions au point de vue sanitaire étant contraires». Les Lilas ne faneront pas avant encore quelques années. À la Libération, l’adresse est citée dans les mémoires d’un soldat américain, Archives of Memory : a soldier recalls World War II.

Comme 1 500 autres, le lupanar n’échappera pas à la loi Marthe-Richard. Née à Blâmont en 1889, cette Lorraine a connu une vie tumultueuse, entre ses débuts de prostituée à Nancy, en 1905, et son élection comme conseillère municipale à Paris, en 1945. Dans cette même Ville Lumière, elle fait éteindre celle des bordels. Puis l’arrêté parisien devient une loi nationale : le 13 avril 1946, ces maisons sont closes pour de bon. De la capitale à Longwy.

Pour la pub ou pour la passe?

De nos jours, la maison de tolérance de Longwy fait encore tourner les têtes… En novembre 2021, un jeton à son effigie s’est échangé à 334 euros sur eBay, au terme d’une série de trente enchères! Son vendeur : Jean-François Muller, président de l’Association des collectionneurs de jetons monnaie. «Au XIXe siècle et au début du XXe, on trouvait des milliers de jetons publicitaires en laiton fourré. L’idée était d’avoir un objet qui interpelle les gens, pour qu’ils ne le jettent pas», explique le Nancéien d’origine. «Le jeton était composé d’un mince feuillard de laiton autour d’un noyau en carton, souvent pour obtenir une pièce d’environ 21 mm rappelant le Napoléon, mais sans que le poids ne laisse penser à une contrefaçon.» Dans sa collection personnelle, Jean-François Muller compte trois versions de la pièce longovicienne.

L’utilité de cette «monnaie de singe»? «Certains l’attribuent aux échanges au sein de la maison, pour éviter que les soumises ne gèrent des espèces dans leur chambre. Personnellement, je fais l’analogie avec les jetons publicitaires… Si ça servait en interne, il n’y avait pas de raison d’y mettre l’adresse!», pointe Jean-François Muller. «Les maisons closes n’avaient pas le droit de faire de la publicité. Donc elles trouvaient tous les moyens possibles pour contourner cette interdiction. Par exemple, les grands numéros sur la façade, d’un mètre de haut», abonde Régis Latouche. «Mais ces jetons étaient aussi des tickets d’entrée. Les deux explications se croisent pleinement», estime l’universitaire.

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