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« Le Luxembourg doit changer »


Christian Chavagneux s’intéresse aux paradis fiscaux depuis 25 ans. (Photo : François Aussems)

Invité par le collectif Tax Justice Luxembourg à donner une conférence aux Rotondes, ce mercredi, l’économiste Christian Chavagneux veut croire en la fin des paradis fiscaux.

Avec deux millions d’auditeurs tous les samedis matins, l’émission On n’arrête pas l’éco, sur France Inter, est un modèle de vulgarisation économique. Christian Chavagneux, éditorialiste pour le magazine Alternatives économiques, est un de ses débatteurs.

Dans un des billets de votre blog, on apprend que les investissements industriels du Luxembourg sont supérieurs à ceux de l’Allemagne ou de la France. Comment l’expliquez-vous?

Christian Chavagneux : C’est la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement qui a donné la solution. Entre les flux d’investissements étranger qui arrivent au Luxembourg et ceux qui partent, il y a entre 5 et 8 % de flux réels. Le reste, c’est l’offre d’opacité financière et fiscale de la place luxembourgeoise.

Peut-on croire que les choses vont changer avec la mise en place du mécanisme de lutte contre la fraude fiscale par le G20 et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)?

Le Luxembourg et l’ensemble des grands pays subissent la pression du G20. Le Premier ministre, Xavier Bettel, a dit qu’il fallait remodeler l’image du Luxembourg. Je crois qu’il a raison, l’image est dégradée. De ce point de vue, l’engagement du Luxembourg pour l’échange automatique d’informations va se faire, j’en suis persuadé. En même temps, il y aura sûrement des acteurs économiques qui vont chercher à contourner ça par plus d’opacité. Il faut savoir que plus d’opacité, cela voudra dire qu’il faudra payer plus cher et que le risque réputationnel sera beaucoup plus fort. À Genève, on est bien, au Luxembourg, on est bien. Lorsque vous vous retrouvez à chercher des produits d’opacité fiscale et financière dans des coins un peu difficiles, comme le Panama, par exemple, vous vous retrouvez avec le baron de la drogue thaïlandais, le baron de la prostitution russe…

La fraude fiscale va-t-elle se déplacer?

Il va rester quelques petites niches qui vont essayer de poursuivre l’offre d’opacité financière, mais quand les dix plus grands centres financiers mondiaux pratiqueront autre chose, cela sera difficile de résister à la pression politique. Mais de fait, il y aura toujours un marché.

En combien de temps peut-on espérer voir les choses changer?

L’OCDE nous a dit que sur tous les sujets sur lesquels elle avance aujourd’hui, il y aura un retour en 2020. À cette date, on va voir s’il n’y a pas trop de trous dans la raquette et qui profite de ces trous. Moi, j’aimerais qu’il y ait, tous les ans, un débat régulier dans les parlements nationaux. On n’en est qu’à la première phase… Maintenant, on entre dans la phase où les grands principes deviennent la loi et on va voir comment celle-ci va être appliquée. C’est la première fois depuis cent ans que l’ensemble des grands pays essaie d’établir de nouvelles règles fiscales internationales pour une économie mondialisée. On a essayé de le faire dans les années 20, cela n’a pas fonctionné.

Les multinationales vont-elles continuer à pratiquer de l’optimisation fiscale?

Chez soi, il y a déjà les niches fiscales. Ensuite, il y a la concurrence fiscale. Le taux d’imposition sur les sociétés est de 33 % en France contre 12,5 % en Irlande. Le problème de l’Irlande et du Luxembourg, ce n’est pas seulement la concurrence fiscale, mais ce sont des places qui ont une offre d’opacité financière. On sait que Apple paie 2 % d’imposition en Irlande. Les sociétés qui se sont fait prendre dans LuxLeaks sont imposées entre 1 et 3 %. Là, on n’est plus dans la concurrence fiscale, mais on est dans l’offre qui vise à soustraire de la fiscalité des autres États. Ce n’est plus acceptable. Le Luxembourg doit changer.

Les projections de croissance pour le Luxembourg en 2015 se situent entre 5 et 6 % selon le Statec. Comment le pays peut-il continuer à avoir une telle prospérité économique?

Le problème luxembourgeois est plus important que pour d’autres paradis fiscaux à cause de l’hypertrophie de son système financier. L’OCDE nous dit que la valeur ajoutée produite par la finance équivaut à un quart du PIB du Luxembourg. Un quart du PIB! La City, qui est le premier marché mondial, c’est entre 8 et 10 % du PIB du Royaume-Uni. C’est énorme. Le Fonds monétaire international dit que si vous faites la somme des activités de bourse, de marché financier et de banque, vous êtes à 30 fois le PIB du Luxembourg. Le deuxième pays, c’est l’Irlande avec 10 fois son PIB. À la fois l’OCDE et le FMI nous disent que le système financier luxembourgeois est trop gros, qu’il faut qu’il recule car il est trop ouvert aux abus.

Jean-Claude Juncker, qui a participé à la mise en place de ce système, est dans le rôle du shérif à la tête de la Commission européenne. Peut-on croire en sa volonté de lutter contre l’évasion fiscale?

Il y a des côtés très positifs au travail de Jean-Claude Juncker. Il a été très rapidement un de ceux qui, en Europe, ont remis en cause une certaine forme d’austérité. Il a soutenu le gouvernement Tsipras. Il a permis que se développent des règles qui autorisent les grands États européens à aller plus doucement en matière d’austérité. Il a un discours sur la fiscalité qui est assez étonnant compte tenu de ce qu’ont été ses fonctions auparavant. Mais je crois qu’il est d’autant plus obligé qu’il est sous surveillance extrême, qu’on ne lui pardonnera rien. À sa fonction, il a besoin d’une très forte crédibilité politique. Mais en même temps, il ne règle pas la crise des réfugiés, avec les moyens dont il dispose. Il a dit que c’était la Commission de la dernière chance. Je ne trouve pas, aujourd’hui, qu’il soit parvenu à mobiliser les Européens pour une poursuite de la construction européenne. Et ça, c’est un vrai souci.

Recueillis par Christophe Chohin

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