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Cabinet d’audit, ton univers impitoyable


Le chercheur Sébastien Stenger publie un ouvrage sans concession sur la dureté du milieu (Photo : dr)

Le chercheur Sébastien Stenger signe «Au cœur des cabinets d’audit et de conseil, de la distinction à la soumission», aux Presses universitaires de France (PUF). Il décrit le système de management en vigueur, le fameux «Up or Out». Le travail y est vécu comme une discipline sportive.

PwC, EY, Deloitte et KPMG ne sont pas des noms inconnus au Luxembourg. Ces cabinets d’audit et de conseil y ont pignon sur rue, comme dans de nombreux pays. On les surnomme d’ailleurs les Big Four. Ces quatre grandes firmes occupent une place centrale dans l’économie et constituent pour ceux qui y travaillent une sorte de «carte de visite» de prestige permettant de donner un coup d’accélérateur à une carrière d’auditeur.
Sébastien Stenger, enseignant-chercheur dans une école de commerce à Paris (ISG) et à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, a récemment rédigé un livre sur ces cabinets. Au cœur des cabinets d’audit et de conseil, de la distinction à la soumission met au jour les coulisses d’un univers professionnel très particulier.

Il s’est glissé dans la peau d’un stagiaire en cabinet
Pendant trois mois, Sébastien Stenger s’est glissé dans la peau d’un auditeur stagiaire dans l’un de ces cabinets «prestigieux». Lors de ses études à HEC, l’École des hautes études commerciales, il a été intrigué par l’engouement de ses camarades pour ces structures. «Mes camarades faisaient un récit quasi héroïque de leur investissement dans ces cabinets», nous a-t-il raconté. Ces firmes font partie, selon lui, des dix employeurs préférés des étudiants français de grandes écoles. Mais attention, travailler dans un cabinet d’audit n’est pas une sinécure. «On y trouve des horaires (NDLR : de travail) à rallonge et une vie privée quasiment inexistante», prévient-il. L’audit est «un métier attractif et paradoxal», pointe-t-il.
Les entretiens menés par l’enseignant et intégrés dans le texte révèlent le ras-le-bol des auditeurs face à la charge de travail et au rythme qu’ils doivent tenir. La pression et la compétition font aussi partie du jeu. Bien qu’il n’ait pas de formation comptable, Sébastien Stenger, qui s’est présenté comme un étudiant en thèse voulant découvrir ce milieu, a pu enquêter. Il a eu l’occasion de rencontrer des auditeurs de tout grade et de réaliser 46 entretiens.

«Ils ne veulent pas défaillir»
Son enquête met en lumière un système de management appelé «Up or Out». «Les auditeurs sont évalués à chaque fin de mission. Chaque année, il y a un comité d’évaluation» et les auditeurs sont classés en fonction de leur note, explique-t-il. Les moins bons sont invités à quitter l’entreprise. Les meilleurs, eux, peuvent accéder «au grade supérieur». Certains ne ressentent pas forcément l’envie de devenir associés, mais tous souhaitent être promus. Ils veulent réussir à grimper les échelons. «Ils sont tous pris au jeu du système « Up or Out »», souligne l’auteur du livre. Cela ressemble un peu au film Hunger Games. «Même s’ils ne veulent pas rester, ils ne veulent pas défaillir», résume Sébastien Stenger. Le système «Up or Out» stimule d’un côté ces spécialistes de l’audit, mais il génère «de l’incertitude intrinsèque». C’est également une source de souffrance, d’anxiété et d’inquiétude. «Il y a une idée que ce n’est pas la vraie vie.» Une phrase que l’on retrouve dans un chapitre de l’ouvrage, prononcée par plusieurs personnes interrogées.

Sentiment d’appartenance à une élite
Cependant, cette expérience en cabinet d’audit donne aux auditeurs «un sentiment d’appartenance à une élite». La résistance au stress est «un marqueur d’appartenance à une élite sociale», ajoute-t-il. Le système décrit dans le livre ressemble à s’y méprendre à celui des prépas. D’ailleurs, «leur socialisation scolaire» est une préparation à la vie en cabinet, selon l’enseignant. Ces personnes employées dans les cabinets sont à la fois révoltées et dépendantes. «Elles ont l’impression de faire des sacrifices importants. Les juniors font des nocturnes.» Les associés, plus expérimentés, vont pouvoir se plaindre des conditions de travail. Il semble que le système rencontré dans les Big Four n’apprécie guère les femmes enceintes et les jeunes mères de famille. Même s’il existe des actions RH, elles rencontrent des limites. Une femme avec des enfants est vue comme «moins disponible». Et cette «indisponibilité» peut «porter préjudice à la réputation» de l’auditrice, voire à la progression de sa carrière.

Aude Forestier.

L’auteur présentera son livre mercredi 28 mars à 12 h 15. Lieu : Salle Rheinsheim – 5 avenue Marie-Thérèse, Luxembourg
Un repas suit : réservation obligatoire auprès de events@etika.lu avant lundi.

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