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[Série] Le choc des époques


Une série japonaise, volontairement moqueuse, convoque les excès des années 1980 pour mieux réfléchir au présent. Et qui sait, réconcilier les générations.

Les excès du passé face au politiquement correct d’aujourd’hui : une série humoristique nippone mettant en scène un père de famille des années 1980 parachuté dans le présent remporte un franc succès au Japon, où ses auteurs disent vouloir «provoquer une réflexion». Dans Extremely Inappropriate!, actuellement disponible sur Netflix, le passé n’est pas vraiment reluisant, avec ses bus enfumés, du harcèlement moral et sexuel omniprésent et des châtiments corporels à tour de bras, mais l’époque actuelle en prend aussi pour son grade.

Ainsi, Ichiro Ogawa, enseignant dans un collège en 1986, choque tout le monde lorsqu’il se retrouve involontairement en 2024, avec ses remarques déplacées sur les questions de genre, la famille et les droits du travail. Mais ses propos interrogent aussi implicitement sur les valeurs de la société contemporaine, avec ses bonnes intentions en matière de diversité et d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Cette satire, coincée entre deux époques, a touché une corde sensible chez de nombreux téléspectateurs, figurant plusieurs semaines au sommet des vues sur la plateforme au Japon.

Société plus «restreinte»

La productrice, Aki Isoyama, pensait au départ qu’il serait «très difficile» de se moquer des valeurs de la société d’aujourd’hui sans provoquer de réactions négatives, a-t-elle confié. La série, écrite par Kankuro Kudo, scénariste également derrière d’autres succès télévisés redécouverts grâce au streaming comme Ikebukuro West Gate Park ou Tiger and Dragon, refuse de considérer une époque supérieure à l’autre, ajoute la productrice. Mais l’une de ses sources d’inspiration est l’idée que «la vie est devenue plus difficile à certains égards».

«Notre société s’est certainement améliorée, mais elle est aussi plus restrictive. Tout est dicté par la conformité et les protocoles», selon Aki Isoyama. Aujourd’hui, lorsque quelque chose est déclaré inacceptable, «on accepte souvent cette explication sans poser de questions», estime-t-elle. Pour Mao Yamada, une fan de la série, celle-ci est un rappel que «notre société accepte désormais mieux la diversité, y compris les droits des LGBT+». «C’est une bonne chose que nous soyons plus attentifs à des choses comme le harcèlement sexuel», même si «trop de choses sont peut-être restreintes».

«Harcèlement» et «sexisme»

Dans Extremely Inappropriate!, en 2024 des mots d’encouragement à l’intention de jeunes recrues d’une entreprise sont dénoncés comme du harcèlement, et un producteur de télévision exaspéré tente de censurer tout ce qui est dit à l’antenne. Pendant ce temps, le protagoniste du passé, en roue libre, multiplie faux pas, sorties sexistes et invectives à l’encontre de ses élèves masculins à qui il demande «s’ils en ont». Il découvre les notions de non-binarité et de consentement sexuel et apprend que le mariage n’est plus la définition du bonheur.

Pour Kyo Maeda, 68 ans, la série offre une représentation fidèle de «ce qu’était notre vie quotidienne» dans les années 1980. «Elle était pleine de ce qui pourrait être considéré aujourd’hui comme du harcèlement et du sexisme», dit-il. En 1986, le Japon baignait encore dans le lustre de sa mutation d’après-guerre en superpuissance économique, et de nombreux travailleurs étaient obsédés par le succès, peu importe les heures supplémentaires. Par contraste dans la série, les nouveaux employés de 2024, une génération façonnée par les «décennies perdues» après l’éclatement de la bulle spéculative, quittent le travail à l’heure.

Thèmes «audacieux»

«J’ai l’impression qu’il y avait plus d’espoir et d’enthousiasme pour l’avenir dans les années 1980 qu’aujourd’hui», remarque Kyo Maeda. «Les créateurs voulaient manifestement nous faire réfléchir sur le statu quo de notre société», estime Takahiko Kageyama, professeur d’études des médias à l’université Doshisha. «Mais si cette intention avait été trop directe ou moralisatrice, elle serait tombée à plat.»

Les thèmes abordés sont «audacieux», pour ce dernier, compte tenu des scandales qui ont récemment secoué l’industrie japonaise du divertissement, comme la révélation de décennies d’abus sexuels par le propriétaire de l’agence de boys band Johnny Kitagawa ou de faits de harcèlement dans la troupe théâtrale Takarazuka. «C’est comme si des choses bien plus étranges que la fiction se déroulaient autour de nous», dit Aki Isoyama. Mais «cela nous a fait sentir que le moment de la diffusion était bien choisi, étant donné que l’industrie est en train de changer comme elle le doit».

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